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Interview de Bob Mould

Bob Mould - Interview

À chaque génération ses héros. Pour ceux qui ont découvert le rock aux alentours de 1990, peu de musiciens font autant l’unanimité que Bob Mould. Avec Hüsker Dü puis Sugar, Mould a tout simplement forgé l’esthétique punk américaine, celle qui a accompagné les premiers pas en musique d’une génération qui a grandi avec les Pixies, Sonic Youth et Nirvana pour Sainte Trinité, une esthétique encore bien vivante, que ce soit chez les Foo Fighters de Dave Grohl, les furieux Canadiens Japandroids ou encore No Age. Avec de tels états de service, la cinquantaine dépassée, Bob Mould pourrait choisir le retrait, pour ne pas dire la retraite. Il n’en est rien et l’artiste continue à proposer régulièrement de nouveaux albums qui prolongent une carrière solo à la hauteur de ses plus hauts faits d’armes. Son nouvel album, « Beauty and Ruin« , perpétue les obsessions de son auteur avec une vivacité impressionnante.

Rencontrer Bob Mould, c’est donc forcément un moment particulier. L’occasion d’échanger quelques mots avec un tel symbole s’accompagne naturellement d’une bonne dose d’anxiété, qui disparaîtra rapidement dès le début de la conversation. Au début de sa tournée promotionnelle, Bob Mould est affable, souriant, prévenant, disert, remarquablement amène pour quelqu’un dont les chansons trahissent souvent les désordres intérieurs, et lucide à la fois sur sa carrière et sa situation. Entretien avec un tourmenté apaisé.

Cela fait plusieurs années que vous jouez avec les mêmes musiciens (Jason Narducy et Jon Wurster). Pourtant vos albums sortent sous votre seul nom.
Oui, d’abord parce que nous n’avons pas trouvé de nom de groupe qui tienne la route ; ensuite parce que le public connaît probablement mieux mon nom. Pourtant nous nous comportons réellement au quotidien comme un vrai groupe.

Et vous sonnez également comme un vrai groupe !
C’est vrai. Cela fait six ans que nous jouons ensemble : tout devient facile, intuitif, il n’y a plus vraiment besoin d’explications. Pour cet album nous avons enregistré les pistes de base en octobre dernier au studio Electrical Sound à Chicago ; c’est le studio de Steve Albini. Steve n’a pas travaillé sur l’album, mais son studio est génial, il propose plusieurs pièces parfaites pour jouer live. Nous nous sommes enfermés pour apprendre les chansons, les répéter. Nous avons joué les chansons entre quatre et dix fois avant de les enregistrer, donc ce que l’on entend sur le disque correspond à quelque chose de très immédiat.

Qu’est-ce qui vous pousse à continuer d’écrire et enregistrer de nouvelles chansons ? Vous pourriez facilement vous reposer, tirer les dividendes de votre carrière et jouer les parrains de la scène punk…
C’est vrai, je pourrais. Je devrais, non ? Plus sérieusement, je ne sais pas. J’écris de la musique tous les jours : je me lève, je prends trois cafés et je me mets au travail. J’adore ça et je suis heureux d’avoir encore des sujets sur lesquels écrire. Mon livre est paru il y a trois ans, puis en novembre 2012 s’est tenu un concert « hommage » à Los Angeles avec Dave Grohl, The Hold Steady, Britt Daniel (Spoon), No Age … Je n’avais jamais eu l’occasion de me retourner réellement sur ma carrière et de raconter les choses comme je les avais vécues. Avoir cette occasion et en même temps recevoir l’hommage de toutes ces personnes dont j’apprécie le travail m’a permis, pour la première fois, de comprendre ce que j’avais fait de ma vie et d’y jeter un regard rétrospectif. « Silver Age » a été un drôle de disque à cet égard, il est sorti en même temps qu’on fêtait les 20 ans de « Copper Blue » et cela a été l’occasion de se replonger dans le son particulier de cette époque.

Comment « Beauty And Ruin » prolonge-t-il votre carrière ?
Le son est identique à celui de « Silver Age », mais le contenu est très différent, beaucoup plus profond, personnel. Il traite de ce que j’ai vécu depuis la parution du livre, de la perte de mon père ou de certains amis à cause de la maladie. J’arrive à un âge où l’on se dit que c’est génial d’être en vie, que c’est triste de voir les autres partir. En fait, j’ai conçu l’album comme un ensemble. Il traite de quatre thèmes de façon successive, comme un cycle. Les trois premières chansons traitent de la perte, de la fin des choses. Les trois chansons suivantes sont plus liées à l’introspection, à un regard vers le passé, vers l’enfance en particulier. Forgiveness est la première chanson de la deuxième face de l’album, la première du troisième thème qui est la compréhension. Le dernier thème correspond à un regard vers le futur. Perte, réflexion, compréhension, futur : ce sont les thèmes autour desquels j’ai conçu, l’album, dans cet ordre. Donc le disque démarre de façon très sombre…

Avec Low Season notamment ..
… oui, c’est ce que l’on peut faire de plus sombre, mais l’humeur devient progressivement de plus en plus légère.

Une chanson que j’aime beaucoup dans ce disque est Forgiveness, justement. Elle est à la fois très pop et très mélancolique. Le son de guitare est inhabituel, il détonne par rapport au reste de l’album.
Tout le monde me parle de Forgiveness, c’est drôle, car je ne pense pas qu’elle soit, au final, aussi bonne qu’elle aurait dû être. Elle aurait pu être meilleure. Et ce son de guitare, même si ce n’est pas mon son « classique », a déjà été utilisé par le passé.

Un autre de mes morceaux préférés sur cet album est Fire In The City.
C’est la chanson préférée de Jason. Je n’étais pas sûr de vouloir la garder, mais il a insisté pour que je la finisse et qu’elle soit incluse sur le disque. C’est intéressant, car les chansons que vous citez appartiennent toutes les deux au passage sur la compréhension. C’est le moment où l’album devient plus optimiste.

Pourquoi n’avoir pas choisi Let The Beauty Be pour clore l’album ?
Ça aurait dû être le dernier morceau en effet. C’est la chanson qui donne son titre à l’album, mais finir avec Fix It était plus adapté. Quand j’ai écrit les paroles, j’avais déjà le refrain en tête, mais j’ai écrit les couplets en studio en m’appuyant sur tous les thèmes traités au cours du disque et en en reprenant quelques mots clés. Donc la chanson s’est imposée comme un résumé de l’ensemble de l’album.

Je voudrais aussi parler d’un disque plus vieux : vous assurez actuellement la promotion de la réédition de « Workbook », votre premier album solo.
Ce disque est paru il y a 25 ans et j’ai trouvé que c’était une bonne idée de le rééditer. J’ai joué sept concerts pour accompagner cette réédition. C’était agréable, mais difficile, je ne joue plus de guitare comme cela : les parties de guitare sont si compliquées ! Je ne peux plus (rires). C’est trop de travail. Début 1988, après la fin de Hüsker Dü je me suis isolé, j’ai vécu loin de la ville, loin de tout le monde. Cette année 1988, je l’ai passée tout seul, à trouver un nouveau style, une nouvelle façon de jouer, une nouvelle façon d’écrire mes chansons. Mais c’était une année très importante pour moi, très heureuse. Le fait que les gens aiment ce disque m’a permis de refaire surface avec une nouvelle identité. J’ai rejoué fort par la suite, mais ce calme a été bénéfique. Le son de guitare sur Forgiveness vient aussi de « Workbook » : ce son très clair est celui que l’on trouve déjà sur Heartbreak A Stranger.

Vous parliez du live. Je vous ai vu une seule fois, au festival Primavera l’année dernière, et j’avais été impressionné de voir un concert si fort et si rapide. Comment faites-vous pour continuer à jouer à ce volume et à ce tempo ? Ça ne finit pas par peser ?
Si, bien sûr. Mais tous les trois, nous nous préparons pour la scène comme pour une saison de sport. Sérieusement ! Tout le monde fait du sport, court, nous travaillons avec des coaches. J’ai 53 ans, donc je dois travailler dur pour rester en forme. Ceci dit, un disque comme « Beauty And Ruin », avec beaucoup de chansons rapides, représente aussi ce que nous faisons de mieux ensemble. C’est en jouant comme ça que nous sommes les meilleurs ! Une chanson comme Hey Mr Grey, on la joue presque en dormant. Je fais ce genre de musique depuis Hüsker Dü, Jason avait un groupe punk dès 10 ans, Jon joue du punk depuis 20 ans aussi. Pour nous, c’est naturel, on n’a pas besoin d’aller sur YouTube écouter le premier album de Dag Nasty pour savoir comment on fait … Lorsque nous jouons live, c’est vraiment dingue ! Bien sûr, j’aime l’enregistrement, j’aime écrire des chansons, mais c’est vraiment sur scène que nous prenons le plus de plaisir. Maintenant, tout est une question de timing. On aime ce genre de musique, on la joue bien, on aime jouer ensemble et tout cela correspond à ce que je veux faire maintenant… Alors on en tire parti maintenant. D’ici deux ans, je serai peut-être fatigué, ou j’aurai envie de faire autre chose, donc autant en profiter …

Chroniqueur
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