Un énième retour pour une des dernières icônes de la pop le jour de ses 69 ans.
NDLR : cette chronique a bien sûr été rédigée avant l’annonce du décès de David Bowie, qui vient de tomber et nous a tous pris par surprise. Nous vous la livrons sans recul, avec notre seul ressenti.
Comme le mettait superbement en son et en lumière l’exposition qui lui était consacrée en 2014 et visible entre Berlin, Londres et Paris, Bowie est avant tout une éponge qui donne sa propre vision de tout ce qui le stimule dans le bouillonnement créatif qui l’entoure. Osons donc affirmer que, désormais qu’il n’a depuis longtemps plus rien à prouver, si Bowie revient aux affaires en 2016, cela doit signifier que notre époque n’est pas totalement dénuée d’intérêt. Certes, direz-vous, le véritable retour du Thin White Duke s’est fait en 2013 avec « The Next Day », qui mettait fin à une décennie sans la moindre publication d’album, et le disque n’avait rien de sensationnel. On vous l’accorde bien volontiers, mais « The Next Day », de sa pochette en clin d’oeil à son premier single à la nostalgie assumée, s’apparentait davantage à une remise en jambes, légèrement anecdotique d’un point de vue discographique, mais nécessaire. Blackstar, le premier extrait de ce nouvel album, dévoilé fin 2015, nous a vite fait comprendre que, cette fois, on aurait affaire à un matériau d’une tout autre teneur. Dix minutes envoûtantes, où des arrangements electros qui ne sont pas sans rappeler les travaux de Hundred Waters et où des scories de saxophone qu’on jurerait empruntées à Colin Stetson rencontrent un lyrisme pop qui n’appartient qu’à son auteur, une dynamique complexe et qu’il faut patiemment apprivoiser, il n’en fallait pas plus pour que beaucoup s’excitent et crient au génie. Mais, étant donné les états de service de notre homme, s’extasier de la sorte n’est pas très pertinent et, en outre, il convenait de savoir si un album entier de cette teneur, ou du moins dans le même état d’esprit, serait digeste.
Lazarus, le second extrait, offre une ébauche de réponse. Le morceau revient à une durée plus « normale » et est porté par la voix de son auteur, qui au passage prouve qu’il est très loin d’être à bout de souffle. Lazarus est à la fois limpide, séducteur et, d’une certaine façon, apaisant après la complexité de Blackstar, sans pourtant rogner sur l’ambition. Pas de construction couplet/refrain, mais surtout, une densité sonore qui vous scotche à votre siège : une ligne de basse et une batterie à l’unisson, un saxophone à l’ambiance blues urbain, une guitare qui reste en fond, mais semble prête à gronder, c’est plutôt bluffant. Avec Tis A Pity She Was A Whore, petit à petit, la forme de « Blackstar » se dessine et s’affirme. Les dynamiques traditionnelles sont volontairement laissées de côté, le climat sonore se veut sophistiqué et libre, notamment via la récurrence du saxophone aux boucles tout droit sorties du free-jazz. Pour le meilleur (Lazarus, déjà évoqué), d’autres fois un peu moins, ces dissonances grinçantes prenant parfois un côté trop répétitif et agaçant. En revanche, pas de fuite en avant qui aurait définitivement perdu l’auditeur, le fil mélodique est toujours là, même si, le temps d’un Sue (Or In A Season Of Crime), il se révèle quelque peu poussif. Tis A Pity She Was A Whore est ainsi un vrai titre pop séduisant, Girl Loves Me, avec ses beaux arrangements de cordes discrets, sa rythmique complexe, est un morceau qui glisse subtilement vers la soul et le funk. Avec Dollar Days, on tient une ballade élégiaque qui ne veut pourtant pas se donner complètement, la forme sonore et les arrangements évoluant constamment, le saxophone laissant la place en milieu de morceau à une guitare électrique. En guise de conclusion, I Can’t Give Everything Away vogue tranquillement au gré du chant charmeur de son auteur, et on se laisse porter sans résister.
On sort de « Blackstar » avec des impressions difficiles à interpréter. Tout ne séduit pas, on se sent par moments frustré de ne pas mieux saisir l’objet. Pourtant, on y revient facilement, on se repasse l’album sans saturation et en prenant un vrai plaisir à son écoute. Le principal obstacle à un vrai jugement de ce disque est certainement sa difficulté à le situer, à en restituer une idée globale et « stable ». Sauf que c’est justement ce qui fait sa force… Car sur « Blackstar », Bowie ne cherche nullement à tourner le dos à son passé (pourquoi d’ailleurs le ferait-il et serait-ce seulement possible ?), sans non plus s’y référer explicitement ni se poser en donneur de leçons pop qui se verrait en chantre absolu de l’avant-garde. On vous dit souvent dans nos chroniques que les artistes les plus intéressants d’aujourd’hui sont des affranchis qui ne cherchent ni à se détourner de certaines références ni à les singer. En ce début d’année 2016, avec « Blackstar », Bowie est l’un d’entre eux. Ni plus ni moins.
- Publication 1 359 vues11 janvier 2016
- Tags David BowieSony Music
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Tracklist
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- 'Tis A Pity She Was A Whore
- Lazarus
- Sue (Or In A Season Of Crime)
- Girl Loves Me
- Dollar Days
- I Can't Give Everything Away