Ces derniers temps, David Byrne, le célèbre chanteur des Talking Heads, est plus envahi de joie et de clairvoyance créative que de paranoïa et d’anxiété, des sentiments qu’il a peu à peu relégués en marge de son système. Il peut, avec une lucidité toujours plus grande, voir les nuances qu’il a contribuées à créer dans […]
Ces derniers temps, David Byrne, le célèbre chanteur des Talking Heads, est plus envahi de joie et de clairvoyance créative que de paranoïa et d’anxiété, des sentiments qu’il a peu à peu relégués en marge de son système. Il peut, avec une lucidité toujours plus grande, voir les nuances qu’il a contribuées à créer dans la musique des autres. « Je perçois une acceptation de la mélodie, sans aucune crainte, dans la musique d’Annie, ce qu’elle ne partage pas avec beaucoup de musiciens qui débutent. Mais ces belles mélodies sont souvent sous-tendues par des thèmes glauques et perturbants. » C’est à Annie Clark de se démarquer dans ce qui va être une relation forcément à l’avantage de Byrne : il a plus d’expérience, et un ascendant sur elle qui fait qu’à l’écoute d’une chanson comme Surgeon sur « Strange Mercy », on songe aux Talking Heads. Au final, « Love This Giant », se rapproche, sans surprise, davantage d’un album des Talking Heads que de « Strange Mercy », le dernier St Vincent. Cette suprématie d’un groove funky qui n’a pas vieilli joue en faveur de l’album, et permet au duo de révéler encore davantage leur approche commune de la musique. Leur excentricité, leur méthode, leur exactitude, leur approche stratégique de l’écriture et leur talent à extraire l’émotion du processus même de création musicale sont des forces conjurées avec un plaisir palpable.
Revitalisé mais aussi étrangement tiré vers l’auto-contemplation. Les duos sur Who et Lazarus sont une bonne idée mais, ailleurs, chacun chante séparément. Travailler avec Annie Clark est pour Byrne à la fois une bonne idée et un piège ; un piège parce que celle qui a appelé l’un des ses albums « Actor » (2009) semble prête jouer sa partition comme un rôle au cinéma. Sur cet album, sa présence évasive empêchait l’auditeur de l’identifier aux personnages bizarres qu’elles décrivait ; ici, cela contribue à rendre Byrne plus possédé encore par ses propres idées. Avouer qu’il devrait davantage regarder la télévision tout en préférant se rendre à Walt Whitman (sur I Should Wach T.V.) annonce un maniérisme que le timbre flottant, voire réflexif de Clark, s’il est intéressant, ne vient pas contrebalancer. Byrne opère, lui, dans le mode le plus idéaliste, à gorge déployée, ou bien sur le mode d’une étrange conversation (de type “I took a walk down to the park today”, un style adopté dès les Talking Heads). Chacun a conjuré son lot d’images mystérieuses, comme cette ‘statue of a man who won the war’ sur I am a Ape. Comme le reste, la nature, la télévision, les mots de Whitman, deviennent partie d’un mouvement plastique qui trouve son apogée dans la pochette frappante de l’album – une interprétation peronnelle de la Belle et la Bête. Ce n’est pas un hasard si les mots sont aussi surprenants, les histoires aussi excentriques, et que le résultat est à la fois ludique et parfois profond ; à la manière typique et toujours plus raffinée de Byrne, phrases et musique doivent entrer en conversation. « J’ai réalisé qu’écrire des paroles pour ces compositions centrées sur les sonorités cuivrées impliquait que je devais changer mon approche des textes. Les cuivres sont associés à de nombreuses choses – les marching bands, les fanfares italiennes, les groupes de la Nouvelle-Orléans, le rythm and blues et le funk. En général, ce n’est pas un son très subtil, et les mots devaient répondre à cette franchise. »
Comme pour ses propres disques, Annie Clark s’est saisie à nouveau de Garage Band, et un échange de fichiers s’est engagé, à distance, entre les deux, qui a duré de long mois. « Parfois, c’est Annie qui m’envoyait des versions synthétisées de cuivres ou de riffs de guitares, que j’arrangeais un peu, et pour lesquelles j’écrivais une ébauche de mélodie et des paroles ; d’autres fois c’était l’inverse, c’est moi qui fournissais les idées musicales. Ces bribes jonglaient entre nous. Il y a des chansons pour lesquelles l’un d’entre nous chantait sur la démo, et l’autre finissait par interpréter la version terminée. » Dans l’effervescence de leurs échanges, les musiciens ont veillé à ce que « Love This Giant« regorge de grooves funk et afrobeat. Weekend in the Dust, Dinner For Two ou Lightning en sont des exemples. Les rythmes électroniques proposés par le producteur/musicien John Congleton ont aussi été un élément déterminant pour transformer ces essais en une collection de chansons pop cohérentes. Le résultat final est à la fois engageant et cérébral, parcouru de sonorités grondantes et fauves. C’est ainsi que les Talking Heads devraient sonner s’ils existaient encore, si ce n’est pour ces moments bizarrement optimistes : « Sing along with the one who broke your heart /Sing it loud, it will keep you safe and warm”, sur The One Who Broke Your Heart.
- Publication 919 vues16 octobre 2012
- Tags David ByrneSt. Vincent4AD
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Tracklist
- Who
- Weekend in the Dust
- Dinner for Two
- Ice Age
- I Am an Ape
- The Forest Awakes
- I Should Watch TV
- Lazarus
- Optimist
- Lightning
- The One Who Broke Your Heart
- Outside of Space and Time