Par définition, le punk et les soubresauts qu’il a provoqués à la charnière de la fin des années ’70 et du début des années ’80 a engendré beaucoup de carrières éphémères et rarement servi de tremplin, quand il n’a pas carrément envoyé certains vers l’abîme. Birthday Party, le premier groupe de Nick Cave, n’a pas échappé à […]
Par définition, le punk et les soubresauts qu’il a provoqués à la charnière de la fin des années ’70 et du début des années ’80 a engendré beaucoup de carrières éphémères et rarement servi de tremplin, quand il n’a pas carrément envoyé certains vers l’abîme. Birthday Party, le premier groupe de Nick Cave, n’a pas échappé à la règle, le groupe ayant cessé d’exister après trois albums et, au compteur, quelques tournées chaotiques et un mort par overdose. Pourtant, dès 1984, Nick Cave, lui, était de retour sous son propre nom avec « From her to eternity », prouvant qu’il avait davantage en lui qu’un besoin de déverser sa rage et son énergie dans des morceaux cataclysmiques. Mais, pour durer, il fallait laisser de côté un des principes du punk, qui était de foncer tout droit sans se retourner, en niant quasiment l’existence du passé. « From her to eternity » s’ouvrait ainsi sur une reprise d’Avalanche, de Leonard Cohen et contenait également une version du In the ghetto d’Elvis Presley. Sur « The first born is dead » son second album, Nick Cave reprenait cette fois-ci Dylan et surtout approfondissait sa passion pour le blues. Mais quand on a commencé punk, on ne devient pas songwriter du jour au lendemain, ni même forcément un chanteur accompli. Pour les Bad Seeds, le défi consistait à devenir un groupe capable de garder son urgence tout en adoptant une véritable musicalité. Avec « Kicking against the pricks » Nick Cave décide donc de se lancer dans l’exercice souvent controversé de l’album de reprises, de se confronter aux maîtres qu’il assume de se reconnaître – Muddy Waters, Johnny Cash, le Velvet… – pour tourner définitivement une page et se trouver lui-même.
Mais si l’exercice de l’album de reprises est souvent sujet à caution, c’est qu’il est extrêmement difficile d’adopter la juste distance : faut-il s’emparer complètement d’une chanson, en faire sa chose, quitte à tuer l’esprit de l’original, ou bien au contraire faire preuve d’un grand respect au risque cette fois-ci de tomber dans l’académisme inutile ? Pourtant, Muddy Waters, qui ouvre l’album, est un choc. Sur les premiers accords, Nick Cave sussure, puis, lentement, la voix se pose, sûre d’elle et incroyablement juste. C’est un choc car, plus qu’une reprise, plus qu’une chanson, c’est la naissance d’un chanteur immense. Oubliées les outrances vocales de Birthday Party, les grondements parfois (trop) forcés et bavards de « From her to eternity », le registre encore parfois trop limité de « The first born is dead », cette fois, on n’entend plus que les qualités, décuplées. Derrière lui, les Bad Seeds sont également superbes de justesse, la caisse claire de la batterie notamment, soulignant parfaitement l’intensité dramatique du morceau. La même justesse va se retrouver sur l’ensemble de l’album, Nick Cave alternant tous les registres, se faisant charmeur sur le Something’s gotten hold of my heart de Gene Pitney, poignant sur By the time I get to Phoenix, loser magnifique sur The singer de Johnny Cash, menaçant et grave sur Hey Joe ou I’m gonna kill that woman. Les Bad Seeds, eux, adoptent une approche à la fois moderne, en jouant tendu, dense, et intemporelle, l’instrumentation restant dépouillée et parcimonieuse.
L’intérêt de l’album vient aussi du fait qu’évidemment, on ne trouve pas ici une collection de standards mais la plupart du temps de morceaux peu connus ou oubliés, qui révèlent l’univers intime de Nick Cave et éclatent en pleine lumière. Enfin, « Kicking against the pricks » est un album au sens premier du terme car le choix et l’ordre des morceaux, qui font osciller le disque entre tension et beauté pure, à l’image du The carnival is over qui le referme, répond à une exigence de cohérence. C’est ce qu’on appelle un album-clé, un album où son auteur s’invente et se réinvente, regarde derrière lui pour y trouver un horizon, assume une filiation pour mieux affirmer sa singularité. Un très beau geste.
- Publication 888 vues14 mars 2013
- Tags Nick Cave and The Bad SeedsMute
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Nick Cave and The Bad Seeds sur la route
Tracklist
- Muddy Water
- I'm Gonna Kill That Woman
- Sleeping Annaleah
- Long Black Veil
- Hey Joe
- The Singer
- All Tomorrow's Parties
- By the Time I Get to Phoenix
- The Hammer Song
- Something's Gotten Hold of My Heart
- Jesus Met the Woman at the Well
- The Carnival Is Over