"> Nick Cave and The Bad Seeds - Lovely Creatures - Indiepoprock

Lovely Creatures


Un album de sorti en chez .

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Une anthologie luxueuse pour revisiter trente ans de carrière.

« Lovely Creatures » est une anthologie qui revient sur les trente premières années de la carrière de Nick Cave et de ses Bad Seeds. On insiste bien sur la formulation car, comme Nick Cave l’explique lui-même dans le petit mot à la fin du luxueux livret qui accompagne l’objet, elle devait initialement sortir en 2015. Mais alors, la tragédie a frappé et, pour ne pas sombrer, Nick Cave a éprouvé le besoin de se remettre en mouvement, ce qui l’a conduit, toujours en compagnie des Bad Seeds, à enregistrer un nouvel album, qui deviendrait « Skeleton Tree » et est paru en 2016. « Lovely Creatures » paraît donc aujourd’hui et couvre « seulement » la période 1984-2014. En soi, c’est symbolique car, quoi qu’il arrive, Nick Cave ne sera jamais un artiste qui regarde dans le rétroviseur et dresse le bilan. Et, au-delà de l’auto-célébration, « Lovely Creatures » existe avant tout pour rappeler que, Nick Cave And The Bad Seeds, c’est l’histoire d’un type exceptionnel qui, au cours de trois décennies, a été flanqué de personnalités non moins remarquables pour donner vie, album après album, à ce qui est certainement la plus imposante épopée musicale moderne.

3 CD, 45 titres, composent cette anthologie. Ce n’est pas rien mais, évidemment, pour tout fan de Nick Cave, impossible de réduire son oeuvre à cela, sans parler des morceaux qui n’y figurent pas et qu’on y aurait bien mis, etc… Néanmoins, et même quand on possède déjà l’intégralité de la discographie de l’Australien et de ses comparses, « Lovely Creatures » reste un indispensable. Parce qu’on y entend des titres dans un ordre inédit qui, immanquablement, font revenir les frissons, et il arrive même que d’autres prennent une dimension qu’on avait parfois sous-estimée. En outre, dans sa grande simplicité, le déroulement chronologique a le mérite de mettre en perspective l’évolution de Nick Cave et le superbe équilibre qu’il a su trouver entre un constant renouvellement et la préservation de fondamentaux. A ce jeu, sur le premier CD, qui couvre la période 1984-1993, impossible de ne pas relever une énième fois le parfait condensé de tension rentrée de From Her To Eternity et de ses arrangements atypiques, superbe pont entre le punk qui avait déjà rendu l’âme et l’empreinte durable qu’il avait néanmoins imprimée, la géniale composition de Deanna, tellement accrocheuse dans sa dimension tubesque alliée à un chant, une instrumentation et un texte mal élevés, manifeste d’un artiste et d’un groupe capables de tout mais qui tiennent à leur indépendance d’esprit et à leur intransigeance, ou encore l’intensité du chant de Nick Cave et des choeurs de ses acolytes sur Up Jumped The Devil, second titre de « Tender Prey », assez peu souvent cité, rarement joué en live (votre serviteur n’a pas souvenir de l’avoir entendu en huit concerts), magnifique ballade blues en léger crescendo qui vous prend aux tripes.

Le second CD, qui couvre la période 1994-2003, met parfaitement en lumière que Nick Cave, même s’il avait déjà bien entamé le processus, y est définitivement devenu le meilleur songwriter en activité. Passer en revue des monuments de beauté et de finesse d’écriture tels Where The Wild Roses Grow, Into My Arms, People Ain’t No Good, Shoot Me Down pose implacablement le constat, tout comme des fulgurances telles Stagger Lee ou Loverman rappelleront que notre homme est définitivement allergique à l’embourgeoisement. Et les Bad Seeds dans tout ça ? Certains membres ont eu beau partir pour être remplacés par d’autres, l’alchimie ne s’est jamais démentie, au point que, de groupe, ils se sont mués en frères musicaux, évidemment toujours là quand il faut faire du barouf, et pourtant tout aussi capables de la plus grande discrétion quand la forme l’impose, sans pour autant renoncer à la justesse (les quatre titres extraits de la période « The Boatman’s Call », l’album le plus délicat de Nick Cave à ce jour, en sont la plus belle des illustrations).

Le troisième CD, qui couvre la période 2004-2014, illustre les années au cours desquelles, en plus de ne rien céder à l’exigence et à la qualité, la carrière de Nick Cave est devenue une leçon de vie qui a encore renforcé le lien avec son public. Car lors de ces dix années, l’Australien a vaincu toutes les adversités. Blixa Bargeld, fin 2003, puis Mick Harvey, fin 2008, les deux figures iconiques qui entouraient Nick Cave depuis le début ou presque, ont tour à tour quitté les Bad Seeds. Coup fatal ? Non. En 2004, Warren Ellis « prend du galon » au sein des Bad Seeds et la relation qui se noue avec Nick Cave donne lieu à une nouvelle montée de sève qui irrigue de nouvelles dynamiques et sonorités les albums à venir : la flûte et la structure presque pop de Breathless sur « Abattoir Blues/The Lyre Of Orpheus », les boucles de Night Of The Lotus Eaters sur « Dig, Lazarus, Dig !!!! » pour ne prendre que quelques exemples. Après le départ de Mick Harvey, Nick Cave  relève le défi de ne pas le remplacer et de quasiment se passer de guitare sur « Push The Sky AWay ». En résulte un nouveau sommet de beauté et de complexité, superbement illustré par We No Who U R ou le titre éponyme qui referme le CD. Nick Cave perd son meilleur ami et précieux conseiller en 2003, la réponse, plutôt que le renoncement et la gravité sera le dépassement via la publication d’un double album, « Abattoir Blues/The Lyre Of Orpheus » et ses titres tantôt euphoriques (There She Goes My Beautiful World), tantôt beaux à pleurer (O Children). Au milieu de la décennie, le téléchargement sauvage menace de faire exploser le milieu du disque, certains artistes se voient virer sans ménagement de leur label pour ventes insuffisantes. Plutôt que se résigner ou renoncer à son intransigeance artistique dans l’espoir de gratter quelques « parts de marché » supplémentaires, Nick Cave, qui en plus affiche cinquante ans en 2007, devient omniprésent, redéfinit son écriture, s’empare d’une guitare et compose des morceaux à l’urgence salutaire. Et, bien évidemment, il peut compter sur les Bad Seeds pour accompagner le mouvement et donner puissance et souffle à « Dig, Lazarus, Dig !!! » en 2008. Une écoute de We Call Upon The Author et tout est dit. Depuis, comme on l’a rappelé au début, le destin n’a pas épargné Nick Cave, mais on sait avec quelle grandeur il s’en est relevé, même si cet épisode n’est pas relaté dans « Lovely Creatures ».

Avec tout cela, on espère que vous serez convaincus de la nécessité de se plonger dans cette anthologie. Mais les vrais fans mettront quelques euros supplémentaires sans hésiter dans l’édition super deluxe pour, en plus, avoir le DVD sur lequel on peut voir de nombreux extraits de prestations live ou en studio toujours aussi grandioses et des extraits d’interviews, ainsi que l’imposant livret de 250 pages avec photos inédites et de nombreux textes passionnants sur quelques moments clés de la carrière du grand Nick. Bref, ce n’est plus une anthologie, c’est un festin !

Rédacteur en chef

Tracklist

  1. From Her to Eternity (2009 - Remaster)
  2. In the Ghetto (2009 - Remaster)
  3. Tupelo (2009 Remaster)
  4. I'm Gonna Kill That Woman (2009 Remaster)
  5. The Carny (2009 Remaster)
  6. Sad Waters (2009 Remaster)
  7. Stranger Than Kindness (2009 Remaster)
  8. Scum (2009 - Remaster)
  9. The Mercy Seat (2010 Remaster)
  10. Deanna (2010 Remaster)
  11. Up Jumped the Devil (2010 Remaster)
  12. The Weeping Song (2010 - Remaster)
  13. The Ship Song (2010 - Remaster)
  14. Papa Won't Leave You, Henry (2010 Remaster)
  15. Straight to You (2010 Remaster)
  16. Do You Love Me? (2011 Remaster)
  17. Nobody's Baby Now (2011 Remaster)
  18. Loverman (2011 Remaster)
  19. Red Right Hand (2011 Remaster)
  20. Stagger Lee (2011 - Remaster)

La disco de Nick Cave and The Bad Seeds