Ceux qui ne connaissent pas la musique de Sinéad O’Connor seraient bien inspirés de prêter attention à ce qui suit. Il y a quelque chose de tellement fondamental dans cette collection de chansons pleines de tempérament, traversées par d’étonnantes envies de célébration. Au milieu de l’album, The Wolf is Getting Married semble être conçue, justement, […]
Ceux qui ne connaissent pas la musique de Sinéad O’Connor seraient bien inspirés de prêter attention à ce qui suit. Il y a quelque chose de tellement fondamental dans cette collection de chansons pleines de tempérament, traversées par d’étonnantes envies de célébration. Au milieu de l’album, The Wolf is Getting Married semble être conçue, justement, pour les playlists de mariage : écoutez celle-ci pour éviter de sombrer dans les travers de l’artiste. The Wolf is Getting Married, c’est le triomphe face à l’adversité, la trêve symbolique d’avec les provocations faites à son public ; une façon de les rassurer en leur offrant une belle cérémonie. Une telle félicité est superbement remise à sa place par la chanteuse ; après cette chanson, le bonheur se voit draper d’un drapeau vert-blanc-rouge et abandonné au cortège des histoires d’une vie divisée, fracturée. Ce n’est ainsi qu’un moment, dans un disque qui balance incessamment avec des sentiments plus obscurs.
Sinéad O’Connor est accoutumée aux doutes existentiels, et il n’est pas étonnant qu’elle éprouve autant de facilité à dévider une pelote de sentiments intriqués pour en faire un disque de rock FM. Artiste d’une grande intensité, elle lança sa carrière avec Nothin Compares 2U en 1989 (Chrysalis Records), un tube accompagné d’un clip plutôt raté, avec larmes et images sépulcrales à l’appui d’une déclaration d’amour. Il serait facile de s’en moquer aujourd’hui. Là comme ensuite, O’Connor dégage le pathos d’une âme en errance. Après le Rastafarisme, le diagnostic erroné d’un désordre bipolaire, la drogue, une campagne menée seule contre l’hypocrisie de l’église catholique – soutenue par un rapport sur le problème de pédophilie des prêtres catholiques publié en 2009 dans le pays -, quatre mariages, un album de traditionnels Irlandais ("Sean-Nós Nua" en 2002) et un autre un peu reggae ("Throw Down Your Arms" en 2005), le ridicule et l’ironie ont quitté O’Connor, dont la vie artistique – si ce n’est sa vie privée – a pris corps et sens, rétrospectivement peut-être. Elle garde aujourd’hui une fraîcheur étonnante – particulièrement symbolisée par une voix inaltérée.
Qu’il s’agisse d’être vindicative ou repentante, How About I Be Me… est effervescent, et chacun de ces thèmes, même l’amour, est abordé avec rigueur et profondeur, appuyé juste ce qu’il fut pour ne pas paraître trop lourd. L’ouverture, 4th and Vine, rejoint The Wolf is Getting Married en donnant l’impression que O’Connor est redevenue une jeune femme avec tout l’enthousiasme que cela suppose parfois. Le Reason With Me consécutif, lent et plaintif, provoque un dangereux contraste, avec ses paroles sur l’addiction, le refrain entamant sur «Oh so long i’ve been a junkie ». Le contraste se répète entre le rock entraînant et dégagé d’Old Lady, et la nouvelle condamnation du déni catholique sur Take off Your Shoes. Le plus beau, c’est que, quel que soit où O’Connor porte son humeur, sa voix reste particulièrement juste. L’exercice qu’elle s’impose en reprenant Queen of Denmark, de John Grant (l’album du même nom est à écouter d’urgence!) prouve qu’elle peut recracher le mépris d’un partenaire sans compromettre l’humour noir très présent chez Grant. Sa version a toute la clarté d’une chanson facile à écouter mais n’oublie pas le cru et le sincère. « I casually mention that i pissed in your coffee/I hope you know that all i want from you is sex. »
Ailleurs, sur Back Where You Belong, elle évoque la mort d’un proche avec une tendresse non feinte, ou attaque sur V.I.P. ses compatriotes artistes (U2…) pour leur inertie face à cette hypocrisie religieuse sur laquelle elle ne relâche pas son étreinte. If i Had a Baby est encore un moment curieusement émouvant ; lorsqu’elle évoque la conception de son quatrième enfant. « His eyes are so mean/just like you/And i don’t know what to tell him. » Plus que de commenter ou de confondre les controverses qui font la vie d’O’Connor, "How About I Be Me" semble être la recherche d’un nouvel équilibre spirituel à travers un autoportrait pluridimensionnel, tour à tour inquiétant et attachant.
- Publication 493 vues23 mars 2012
- Tags Sinéad O'ConnorOne Little Indian
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