"> Sufjan Stevens - Carrie & Lowell - Indiepoprock

Carrie & Lowell


Un album de sorti en chez .

9

Le retour en mode délicatesse du génie de Detroit.

Doubles albums foisonnants et quasi-anthropologiques consacrés aux différents Etats des USA, coffrets de Noël de cinquante titres, projets parallèles parfois complexes, depuis pas loin de quinze ans, le nom de Sufjan Stevens est souvent associé à une certaine démesure, au point qu’on en viendrait à passer sous silence que guitare sèche et mélodie délicate ont toujours fait partie de son univers et que son art a souvent consisté à faire naître la magie de pas grand-chose. Sur la longueur d’un album, c’est évidemment le splendide « Seven Swans » qui illustre le mieux cette veine et, dès l’annonce de ce nouvel album et la divulgation de No Shade In The Shadow Of The Cross, le premier single, beaucoup ont pointé un retour à la simplicité et aux ambiances de l’album pré-cité. A bien des égards, c’est pourtant un raccourci trop facile. La Carrie du titre n’est autre que la mère de Sufjan Stevens, décédée d’un cancer fin 2012. Une mère qui ne l’aura jamais élevé car elle en était incapable, souffrant de graves troubles du comportement. Lowell, c’est l’homme qu’elle a épousé quelques années après avoir quitté le père de Sufjan et avec qui elle a vécu cinq ans. Parfois, la mère de Sufjan allait mieux et, entre cinq et huit ans, en compagnie de ses frères, il a passé trois étés dans l’Oregon avec son beau-père et elle. Ce sont ces moments et l’impact du décès de Carrie qui sont au centre du disque, qui n’a en soi rien de léger ni de simple. En allant fouiller dans sa mémoire d’enfant, en cherchant à recréer des instants, des lieux, à fixer des émotions, essayer de comprendre comment la disparition d’un être qui n’aura finalement été présent dans sa vie que par intermittences peut créer un tel vide, il effectue même un voyage intérieur à l’ambition au moins identique – et bien plus complexe – à celle qui l’a portée quand il s’est lancé dans l’aventure « Michigan » et « (Come On Feel) The Illinoise ». La forme s’est ensuite imposée d’elle-même, guitare, piano et chant chuchoté étant les ingrédients quasi-exclusifs de « Carrie & Lowell ».

Ce n’est pas pour autant qu’on fait plus rapidement le tour de l’album. Et il est impératif de se méfier d’emblée de ceux qui crient au chef d’oeuvre comme de ceux qui pointent l’ennui ou la niaiserie sentimentaliste. En revanche, il est indéniable que « Carrie & Lowell » n’est pas un album qui transporte mais fait plutôt partie de ceux vers lequel c’est l’auditeur qui doit faire l’effort de pousser la porte, d’entrer, essayer de comprendre, ou du moins d’appréhender. Ce qui est d’autant plus compliqué que, dans ce disque, rien n’est hostile, tout semble douceur. Mais la difficulté à écrire un tel disque n’est pas dissimulée, « I Don’t know where to begin », dit Sufjan dès l’introductif Death With Dignity, titre à la fois plein de douleur et de pudeur, alors les efforts doivent être partagés. La première impression est ainsi celle d’une certaine uniformité qui ne laisse souvent pas beaucoup respirer des mélodies prisonnières d’une gangue. Il faut donc y revenir avec patience, morceau par morceau et, il faut le dire, la compréhension de la langue est un plus pour réellement entrer dans ce disque où textes et musiques sont plus que jamais intimement liés. La difficulté de fixer un sentiment, de ne pas le laisser vous ronger, d’aller de l’avant plutôt que vouloir revenir en arrière est au centre de Should Have Known Better, et c’est l’utilisation des choeurs, qui reviennent sur la phrase « Don’t back down » qui permet au morceau de s’élever et prendre toute sa force. Dans All Of Me Wants All Of You, qui file le thème de voir le souvenir d’un être cher vous échapper petit à petit, le chant est touchant à souhait et le pont musical qui prolonge le texte le rend encore plus fort. Sur Fourth Of July, la musique ne tient plus qu’à un petit accord de piano, les paroles sont égrenées lentement comme pour mieux exprimer la difficulté à accepter la réalité « We’re all gonna die », sans tomber dans un pathos ou une dramaturgie déplacée. The Only Thing traite des interrogations pour vivre avec la perte, « How do I live with your ghost/Did you love me at all ?, du risque de fuite en avant qui guette chacun en proie à des questions qui resteront à tout jamais sans réponses, sur un accord léger de guitare et un ton presque serein, comme si, petit à petit, par l’écriture de cet album, les démons étaient exorcisés.

On pourrait encore continuer l’exercice, citer chaque chanson, chaque épiphanie, devrait-on plutôt dire, la décortiquer, et il est d’ailleurs vivement recommandé de le faire, sans quoi l’écoute de l’album pourra rapidement se révéler un peu vaine, voire monotone. Lui chercher un qualificatif n’est d’ailleurs pas particulièrement judicieux. « Carrie & Lowell » se ressent, touche, émeut ou laisse indifférent, c’est un problème de vécu, d’affect, etc… Le seul aspect indéniable, c’est que ce disque se distingue par une tentative de trouver le ton et les mots justes. Pour le reste, à vous de voir.

Rédacteur en chef