Retour attendu des New Yorkais, auteurs de deux albums à la beauté inégalée.
Évidemment, sur « Hospice », le premier véritable album de The Antlers dans sa mouture actuelle, ça ne respirait pas la joie, puisqu’au centre de ce disque, il y avait la maladie et la mort. Mais rarement le récit d’une période difficile s’était révélé aussi poignant, textes et musique, sans faire dans le pathos ni le sensationnalisme morbide, illustrant à la perfection les émotions ressenties. « Burst Apart », le second album du groupe était la suite parfaite d' »Hospice », au propre comme au figuré. Sur le fond, c’était le récit d’un lent processus de reconstruction après la perte de l’être aimé, avec angoisses et frustrations, aussi bien sentimentales que sexuelles et, sur la forme, le groupe soulevait doucement la chape de mélancolie, sans rien céder dans le raffinement de ses arrangements ni la précision de son écriture. Ces deux albums ont créé un lien très fort entre le groupe et ses admirateurs, non seulement par leur qualité, mais aussi parce qu’ils représentent la raison d’être de tout processus créatif : aller puiser en soi et transformer ses états d’âme en énergie positive. Évidemment, ce lien place haut les attentes et on entre avec un brin de fébrilité dans « Familiars ».
Mais la première qualité de Peter Silberman, songwriter et âme du trio, c’est la constance. The Antlers ont beau avoir quitté Frenchkiss, leur label indé new-yorkais, pour signer avec une écurie sensiblement plus grosse, la démarche n’en est en rien affectée. Les textes de « Familiars » traitent de l’identité, de l’aptitude de chacun au bonheur ou pas, de la peur de ne pas se connaître suffisamment, d’abriter un autre qu’on ignore (Doppelganger). Un propos une fois encore en parfaite continuité avec les deux précédents albums. La perte est une épreuve dont il est dur de se remettre, mais quelle part de ce que l’on éprouve en est une conséquence directe et quelle part provient avant tout de ce que l’on est sur le fond ? Bien sûr, on peut considérer Peter Silberman comme un esprit torturé et rester hermétique à sa recherche incessante de catharsis, mais combien de grands artistes, présents ou passés, ont érigé une oeuvre forte en cultivant la légèreté ? Sans doute pas beaucoup.
Musicalement, The Antlers confirment leur prédilection pour les climats en clair obscur, avec une ambition un poil plus affirmée, les neuf morceaux de « Familiars » ne descendant que rarement sous les cinq minutes. Certes, sur « Burst Apart », le groupe avait davantage varié ses arrangements et ses dynamiques alors qu’il s’attelle ici à un travail de broderie autour d’un même tempo. Mais avec quel panache ! Sur chaque morceau, la ligne de percussions est impeccable, l’amalgame entre petits accords de guitare et de piano irréprochable. Le groupe donne en outre une touche jazzy soul à sa musique avec la présence d’une trompette bouchée du meilleur effet sur la plupart des morceaux. Quant à Peter Silberman, s’il avait pris, en tant que chanteur, une dimension supplémentaire sur « Burst Apart », « Familiars » est une consécration. C’est lui qui donne toute sa solennité à l’ouverture de l’album sur Palace, lui encore qui offre toute son ampleur aux magnifiques Intruders et Hotel, sans doute les plus belles pièces qui soient parvenues à nos oreilles cette année. Le groupe réussit enfin encore une fois un beau numéro d’équilibre entre morceaux à forte intensité dramatique et moments plus aérés (Director) sans jamais tomber dans le remplissage. Trois albums, autant de réussites majeures, le doute n’est plus permis : dans le club des meilleurs groupes actuels, The Antlers ont pris une sacrée place.
- Publication 890 vues24 juin 2014
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