"> Interview de Sean Bouchard - Indiepoprock

Interview de Sean Bouchard

Le Festival des Rendez Vous de Terres Neuves fut l’occasion de rencontrer trois importants labels bordelais. C’est ainsi qu’Indiepoprock a pu convenir d’une entrevue avec Sean Bouchard, le fondateur et gérant du label Talitres. Un label qui propose un très beau catalogue, mélange de nouveautés sensibles et touchantes, et de légendes des années 90. Bien installé dans le paysage indie, le label qui a fêté ses dix ans cette année, se dévoile au cours de cet échange.


Peux-tu présenter ton parcours et nous dire comment tu en es venu à créer ton label ?

A la base j’ai une formation d’ingénieur en agronomie. J’ai fait la faculté à Paris puis j’ai travaillé à l’étranger où j’ai notamment fait pousser des framboises. Suite à une mauvaise expérience professionnelle j’ai voulu tenter autre chose, explorer une nouvelle voie. Je me suis dit qu’il y avait une capacité à développer en Europe des groupes américains déjà produits et distribués là bas sans un gros investissement financier. J’ai donc fondé Talitres en août 2000 avec mon ami Xavier Simon, dorénavant propriétaire du label Drunk Dog. La première sortie est le premier album du trio new-yorkais Elk City en mars 2001, que j’avais découvert en les écoutant sur Internet. C’est donc mon premier contrat de licence.

Talitres c’est combien de personnes ?
On est 2 et demi. Guillaume (bassiste de The Automators) qui travaille directement avec moi et présent depuis plus d’un. Il y a aussi Myriam que l’on mutualise avec d’autres structures. Et bien sûr moi qui suis là depuis le début. Xavier a très vite créé Drunk Dog.

Est-ce qu’il existe une identité artistique au sein de Talitres ? Et si oui quelle est-elle ?
C’est une question que l’on me pose souvent. J’imagine qu’il y en a une. Je suis plus orienté vers des artistes anglo-saxons principalement pop et folk, rock. Disons que le noyau dur c’est la pop mais pas la pop « sucrée » que j’ai écouté à une période et dont je ne suis plus trop fan comme le catalogue Sarah Records mais plutôt une pop qui a des cicatrices.

Comment choisis-tu les artistes que tu signes ?
C’est essentiellement en écoutant de la musique sur Internet, en lisant des revues de presse américaine, de temps en temps en les voyant en concert mais très peu. C’est vraiment essentiellement de l’écoute, ce qui peut d’ailleurs être frustrant car c’est bien de voir les groupes en live aussi. Notamment  à l’heure actuelle où la promotion passe essentiellement par la scène mais pratiquement et financièrement c’est compliqué de se balader à travers l’Europe ou les Etats-Unis.

Mais le rendu sur scène n’est pas le même que sur CD étant donné que c’est le support que tu vends ?
Oui mais la scène aide à vendre du cd. Je peux avoir de très bonnes surprises comme Le Loup qui décuplent leurs compositions sur scène. Je peux aussi être déçu mais je suis tolérant avec les groupes que l’on signe et qui sont en développement. Un groupe comme The Organ était critiqué pour reproduire leur album sur scène mais mon discours est le suivant : vous aimez leur musique donc sachez les retrouver sur scène. Mais j’éprouve bien sûr du plaisir à écouter des groupes qui apportent quelque chose de différent sur scène.

Il y a les artistes produits et ceux distribués, peux-tu nous expliquer la différence et quelle est la part de chacun au sein de Talitres ?
Ce sont en fait essentiellement des contrats de licence. Dans un contrat de licence on recueille les droits du master, c’est-à-dire de la bande fixée pour la reproduire, en faire des disques et s’occuper de la promotion et trouver des distributeurs. La différence avec le contrat de distribution est que l’on ne prend pas en charge les frais de studio et les salaires des artistes. On fait une avance sur royauté et on reverse un pourcentage de royalties sur chaque disque vendu. C’est une prise de risque moindre et c’est techniquement et contractuellement plus facile à mettre en place. C’est en revanche frustrant parce qu’on peut difficilement avoir des droits de préférence sur des albums ultérieurs donc les artistes peuvent partir ailleurs. Les contrats de licences représentent 80% du label.
Nous avons quelques artistes en production comme Kim Novak, Flotation Toy Warning ou le nouvel album de Stranded Horse. Sur les contrats de production on prend en charge tous les frais, les cachets des musiciens, des techniciens et autres. Les taux de royauté sont un peu moindres mais les avances de trésoreries sont plus importantes. En revanche le contrat de production est ad vitam aeternam en terme de durée et sur l’ensemble du monde. Je serai ravi de produire plus, notamment des groupes américains, mais il faut les découvrir assez tôt.

Est-ce que tu travailles avec la scène locale ?
Avec la scène bordelaise non. Ce n’est pas par manque d’envie mais parce que je n’ai pas trouvé « le » groupe. Je serai ravi de travailler avec la scène locale. On m’a parfois reproché le fait que je défendais un peu trop les groupes anglo-saxons ou américains. C’est un peu moins le cas depuis deux trois ans avec François & The Atlas Mountains, That Summer, Verone ou Stranded Horse.
Les groupes américains savent que leur développement ne s’arrête pas à une page dans les Inrocks ou Uncut. Il y a des étapes à respecter. C’est en ça que The National ont été admirables. En 2003 ils venaient en tournée en Europe pour être payés 300 à 500 euros par date. Ce n’est pas grand-chose quand on est cinq et qu’il faut payer le backline, transport, van, etc… Ils savaient que leur développement passait par une exposition médiatique et sur scène. Je constate parfois que les groupes français sont plus impatients et leur conseillerais de se méfier de la promotion et de l’exposition classique qui ne veulent plus dire grand-chose.

Quelles sont tes plus belles rencontres ?

C’est dur de répondre car ce sont toutes de belles rencontres. Il est vrai que je suis fier de travailler avec des groupes dont j’étais fan dans les années 90 comme The Wedding Present, Swell, Idaho.
Cela fait partie des choses improbables de mon métier. J’ai aussi une grosse fierté de sortir des groupes totalement inconnus comme Flotation Toy Warning en 2004. Je suis attaché à ce groupe parce que leur album ne vieillit pas du tout et humainement ce fut une vraie rencontre. Le Loup et Thee Stranded Horse ont aussi été de belles rencontres. Bref il y en a eu beaucoup.

Neuf ans que le label existe, Talitres semble donc bien installé dans l’industrie du disque, est-ce que c’est ce que tu ressens ? Ressens-tu de la reconnaissance de la part d’autres labels, d’artistes et d’auditeurs ?
Oui je pense que c’est le cas même si j’ai toujours peur pour l’avenir du label. Les ventes ont été bonnes en 2008, ont été plutôt satisfaisantes en 2009 et la fin 2010 sera importante. Ce n’est pas non plus parce qu’on vend plus qu’on est plus installé financièrement, cela implique d’autres frais, d’autres charges et d’autres problèmes. J’ai la chance d’être un peu plus installé et de mieux connaître les rouages du métier, et de savoir un peu mieux comment sortir un disque. Je suis attaché à l’image du label et au fait que des journalistes puissent me dire que lorsqu’ils reçoivent un disque Talitres ils savent qu’ils vont l’écouter. Je suis aussi attaché aux acheteurs qui achètent de façon systématique toutes les productions sur le site du label. On s’adresse avant tout à eux c’est donc la première reconnaissance d’avoir des fans qui achètent régulièrement nos disques. C’est important de dégager une image tant au niveau artistique que humain.

Pour finir, une exclusivité à annoncer ? Une signature prochaine ? Un nouvel artiste à écouter d’urgence ?
Mes exclusivités sont surtout les projets à venir comme le dernier album d’iLiKETRAiNS, le nouvel album de Stranded Horse qui sort tout début 2011. Et puis c’est une rencontre fabuleuse, à l’image des Wedding Present ou Idaho, avec The Apartments dont nous allons rééditer Drift, leur album mythique, prévu pour fin novembre.

Merci beaucoup à Sean de m’avoir reçu dans ses locaux  et d’avoir répondu à mes questions.

Chroniqueur
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