"> Interview de Ian Caple - Indiepoprock

Interview de Ian Caple

Ian Caple n?est pas un artiste. Il ne sort pas d?album en son nom. Pourtant il apparaît régulièrement sur des albums essentiels de la scène indie? Ian Caple est producteur et on le retrouve aux manettes des albums des Tindersticks, des premiers Tricky, du « Fantaisie militaire » d?Alain Bashung ou plus récemment avec Yann Tiersen pour une certaine « Amélie Poulain ». Suffisamment pour lui poser deux-trois questions.

Comment en es-tu venu à faire ce métier ? Comment as-tu commencé ?

J?ai toujours voulu travailler dans un studio. Je n?ai jamais été attiré par autre chose. Quand j?étais un petit garçon dans les années 1960, j?ai vu un film à la télé, ??Behind The Scenes in The Pop World??. On pouvait y suivre quelques grands producteurs comme Joe Meek (ndlr :) et George Martin (ndlr :) dans leur travail. Cela semblait être univers à la fois excitant et mystérieux? et pour moi ça l?est toujours.
J?ai commencé à jouer dans un groupe à l?âge de 16 ans mais j?étais un très mauvais guitariste. Puis après de nombreuses tentatives, j?ai été embauché comme assistant aux studios EMI. C?était en 1977.

Il y a des choses qui t?ont marqué dans tes débuts ?

J?ai eu beaucoup de chance car EMI m?a envoyé dans un studio au centre de Londres, KPM qui était une sorte de petit Abbey Road où ils envoyaient les artistes pour travailler sur leurs chansons. Et en 1977-78, ils venaient de signer un tas de nouveaux groupes punks dont ils ne savaient pas quoi faire.

En peu de temps je suis devenu l?ingé-son de ce studio. KPM réalisait en plus beaucoup de musiques électroniques pour le cinéma. Nous avions donc accès à toutes les nouveautés technologiques. Alors que j?apprenais les différentes techniques de prises de son, je fus l?un des premiers à Londres à travailler avec des boîtes à rythmes et des séquenceurs.

Je travaillais 14 heures par jour, 6 jours par semaine. Chaque jour était différent : les artistes, la musique, des groupes rock, du classique, de la dance, des BO? bref de tout ! J?étais tout le temps en train d?apprendre. Je pouvais très bien travailler un jour avec un orchestre et le lendemain avec des punks. C?était génial !

Mes meilleurs souvenirs de l?époque ont été de travailler avec Kate Bush, Simple Minds, Adam & the Ants, Spike Milligan.

Quel album t?a permit de te faire un nom dans ce milieu ? Celui qui a fait qu?après les choses ont-été plus facile pour toi ? L?album déclic ?

De nombreux artistes m?ont permis cela au cours des années. Mais deux ressortent plus particulièrement. Le premier est Shriekback au début des années 1980. Je travaillais toujours chez KPM et EMI venait de signer un groupe composé d?un membre de Gang of Four et d?un autre de XTC. J?ai fait avec eux, « Care » en 1983, un album plutôt audacieux et c?était la première fois pour moi que j?étais crédité en tant que producteur.

Je suis presque devenu un autre membre du groupe, je programmais les machines et je créais les samples, etc. Le groupe a commencé à bien marché et ils ont voulu que je parte avec eux à New-York pour faire des concerts et puis on devait travailler sur le troisième album. J?ai alors du prendre la grande décision de quitter le confort et la sécurité d?EMI pour affronter le monde comme producteur indépendant.

Le premier album des Tindersticks a été également une chose importante pour moi. Je suis très fier de cet album. Il réunissait tout ce que j?aimais depuis le départ : les cordes, les samples, les sons étranges et un net sens de l?aventure. Ils avaient toujours voulu faire un album très personnel, quelque chose de tout à fait différent dans le style, l?attitude et le son, de ce qui se faisait alors. J?ai toujours admiré cette bravoure chez un artiste.

Penses-tu avoir un style particulier qui fait que l?on sait que c?est toi qui a fait le travail ou au contraire penses-tu t?adapter, te transformer par rapport à chaque artiste ?

Non, je me suis toujours refusé à avoir un style ou une formule de production. Je n?ai jamais voulu faire deux fois le même album ! J?ai appris très tôt que chaque artiste est différent, que chaque chanson est différente. Je pense que c?est la raison d?ailleurs pour laquelle je fais encore de bons albums aujourd’hui et avec toujours autant de plaisir.

Evidemment j?apporte ma longue expérience avec moi en studio mais je pense que j?ai toujours l?envie d?essayer des choses et voir ce qui se passe au lieu de m?appuyer sur une formule toute faite. J?aime aborder un nouvel album avec un esprit complètement libre et voir ce dont les chansons ont besoin, plutôt que d?essayer de changer l?artiste et de le faire entrer dans ma façon de travailler.

Même dans un même album j?essaie d?appréhender chaque morceau de manière différente, pour que chacun ait sa propre personnalité. Alors que je travaillais sur le deuxième album des Tindersticks, je travaillais également avec Tricky. Un jour, j?enregistrais six personnes jouant live dans le studio avec une section à cordes et le lendemain je programmais des beats.

Est-ce qu?aujourd’hui tu choisis les groupes avec lesquels tu travailles ou y a-t-il encore des albums que tu réalises pour des raisons ?alimentaire? ?

Ils ont tendance à me choisir ! Mais je dois sentir une accroche avec l?artiste. Si je n?ai pas l?impression de pouvoir apporter quelque chose à l’album alors je n?ai aucune raison d?y participer.

Quand je m?investis dans un disque c?est quelque chose de très fort pour moi. Je sais que je vais passer plusieurs semaines en studio avec les artistes donc il est très important de pouvoir travailler ensemble et si possible? de passer aussi de bons moments !

Je ne pense pas que je pourrais travailler sur un album que je n?aime pas. Ce serait une vraie torture ! Il y a des moyens plus simples de payer son loyer.

Alain Bashung, les Têtes Raides, les Hurleurs, Katonoma, Autour de Lucie? As-tu une affection spéciale pour les artistes français ou les français affectionnent-ils plus particulièrement ton travail ?

Travailler avec Bashung a été une expérience incroyable. J?ai appris énormément sur la musique française grâce à lui, ainsi que sur l?importance des paroles et de l?atmosphère qui se dégage d?une chanson.

J?ai été très chanceux que mon premier album français soit « Fantaisie Militaire ». Ce fût un grand album et son succès m?a permis d?en faire d?autres albums d?artistes français. Cela m?a permis également de découvrir un tout nouvel univers musical dont la plupart des anglais n?ont jamais entendu parler. Brel, Ferre, Gainsbourg? J?adore travailler en France. Il y peu de temps j?ai travaillé avec Rodolphe Burger dans les Vosges, c?est un coin magnifique, et le vin est très bon !

Comment s?est passé ta rencontre avec Tindersticks ? Vous ne vous êtes plus quitté depuis?

Oui, c?est comme un mariage ! Au début des années 1990, j?avais un studio à Londres et un nom suffisamment connu pour travailler avec de nombreux bons groupes indie anglais : The Mekons, My Bloody Valentine, Spiritualized, Compulsion…

J?ai fait un album en deux ou trois jours avec The Asphalt Ribbons, prémisses des Tindersticks. Nous nous sommes très bien entendus? et plus tard, Stuart m?a demandé d?écouter des démos qu?il avait fait dans sa cuisine sur un vieil enregistreur. C?était les chansons du premier album? et le début d?une grande aventure

La fidélité des artistes avec lesquels tu travailles semble assez singulière dans ce métier? Quel est ton regard là dessus ?

Non, je n?ai aucune explication. C?est toujours agréable de rester en contact avec des artistes avec lesquels j?ai travaillé et certaines de mes amitiés durent depuis plus de vingt ans. Je suppose que j?ai été très chanceux de travailler avec des gens bien (sourires).

Tu as travaillé sur la BO d? »Amélié Poulain ». Comment s?est passé cette collaboration avec Yann Tiersen ? Est-ce que tu travailles souvent sur des musiques de films ?

C?était bien de travailler avec Yann. Il a vraiment un talent incroyable. Il aimait le son des cordes sur les albums des Tindersticks et il voulait que ce soit moi qui travaille sur son album « L?Absente ». Je devais au départ enregistrer et mixer mais j?étais trop occupé avec Katonoma, alors finalement je l?ai simplement mixé. J?ai fait quelques mixes instrumentaux de ses chansons et ceux-ci ont-été utilisé pour la B.O. d? « Amélie Poulain ».

Normalement sur les musiques de films, je travaille avec les images? J?en ai fait quelques-unes pour des films de Claire Denis avec les Tindersticks. J?aimerais bien travailler sur ce genre de projet un peu plus car il est toujours plaisant d?écouter la musique sur des images en Dolby !

Je pense que certains artistes ont une forte personnalité comme Tricky ou semble plus effacé comme Stina Nordemstam ? Est-ce qu?il est difficile de gérer ce type d?artistes ?

Je pense que la plupart des artistes ont une personnalité forte. Tous les meilleurs veulent simplement faire leurs disques à leur idée en gardant leur propre identité. Tricky, Stina ou Stuart, par exemple, ont tous des personnalités assez similaires et font leurs disques comme ils l?imaginent.

Par expérience, les seuls artistes avec lesquels il est difficile de travailler sont ceux qui ne sont pas écoutés par leur label ou leur producteur. Pendant toutes ces années j?ai travaillé avec beaucoup d?artistes dont certains ont parfois la réputation d?être difficile et j?ai découvert qu?en fait, le seul problème est que personne autour d?eux ne prête attention à ce qu?ils veulent ! Le plus important dans mon travail est d?écouter. Ecouter la musique et écouter ceux qui la font.

Y a-t-il des artistes avec lesquels tu as regretté d?avoir travaillé ?

Et bien, il y a plein d?artistes avec qui j?adorerais travailler : Bowie, Scott Walker, Tom Waits, Willie Nelson, la liste est longue? J?aurais également adoré être du côté des Studios Barclays dans les années 1960 pour voir Brel et Ferré au travail. Juste pour trouver pourquoi leurs albums sonnent si bien.

Et des regrets de ne pas avoir pu travaillé avec d?autres ?

Rien ne me vient à l?esprit, je ne regrette aucune collaboration. Comme dit la chanson « Non, Je ne regrette rien ! ». J?apprends quelque chose de nouveau à chaque fois que je vais en studio. Donc ça n?est jamais barbant !

Sur quoi as-tu travaillé cette année ? Qu?as-tu actuellement en projet ?
Ça a été vraiment une bonne année. J?ai construit mon propre studio à la maison et je peux enfin laisser mes appareils vintage dans un même endroit. Je peux ainsi consacrer beaucoup de temps aux albums, à la maison dans la campagne anglaise?
Les temps forts de l?année: un album avec la danoise Lise Westzynthius, un autre à Londres avec Ryan Adams (quelqu?un que j?ai toujours admiré), un super album avec un jeune groupe français, Goo Goo Blown (le bonhomme) – peut-être en avez-vous entendu parler, une nouvelle collaboration avec les grands Tindersticks et, mon dernier projet en date, le nouvel album de JJ72, à Dublin.

Quelques productions de Ian Caple
A-HA « Lifelines » (Warner)
AUTOUR DE LUCIE « Faux Mouvement » (Sony)
BABYBIRD « Cornershop » (Echo) Disque d?or
BALIBAR (Jeanne) « Paramour » (Dernière Bande/Wagram)
BASHUNG (Alain) « Fantaisie Militaire » (Barclay) Double Disque d?Or
BOO RADLEYS « Kingsize » (Creation)
COMPULSION « Comforter » (One Little Indian)
COUSTEAU « Cousteau » (Palm Pictures)
FERSEN (Thomas) « Triplex » (Warner)
JJ72 « JJ72 » (Lakota/SINE)
KATONOMA « Katonoma » (EMI)Disque d?Or
MANSUN « Attack of the Grey Lantern » (Parlophone) Disque d?Or
NORDENSTAM (Stina) « People Are Strange » (East West)
TETES RAIDES « Gratte Poil » (Warner France) Disque d?Or
TIERSEN (Yann) « L’absente » (Virgin) Disque d?Or
TIERSEN (Yann) « Le Fabuleux destin d?Amélie Poulain (B.O) » (Virgin)
TINDERSTICKS Tous les albums en date (Beggars Banquet)
TRICKY « Nearly God » (Island)
TRICKY « Pre-Millenium Tension » (Island) Disque d?Or

Chroniqueur
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