"> Interview de The Cars - Indiepoprock

Interview de The Cars

The Cars sont de retour après avoir pris des chemins plus personnels depuis leur séparation en 1988 et la mort de leur bassiste Ben Orr en 2000. On peut appréhender cette resucée de manière critique et dubitative mais pour qui a apprécié un des rares groupes qui a su maintenir une verve pop rock dans le désert abâtardi des années 80, une petite conversation, tous éclairages allumés, avec leur leader Ric Ocasek ne se refuse pas.

Quelles ont été les circonstances qui vous ont amené à reformer The Cars ?
C’est assez bizarre car j’avais écrit un nombre plutôt substantiel de morceaux et je me suis demandé, ceux-ci terminés, ce que j’allais bien pouvoir en faire. J’ai envisagé de sortir un album solo et puis, m’est venue l’idée d’appeler les autres membres du groupe même si certains, comme David Robinson notre batteur, avaient complètement laissé tomber la musique. Je savais que notre organiste Greg Hawkes et que Elliot Easton notre ancien guitariste en faisaient encore plus en moins. Je leur ai proposé de faire un disque mais de façon très discrète, sans claironner quoi que ce soit à ce niveau. Je souhaitais que celui-ci soit réalisé de manière à ce que nous ne subissions aucune forme de pression.

Une reformation sans que c’en soit une quelque part ?
Exactement. Vous savez avec la technologie d’aujourd’hui, Pro Tools par exemple, le fait qu’il y ait de nombreux « garage bands », les choses ont évolué, tout est beaucoup plus accessible facilement et on n’a plus besoin de milliers de dollars pour enregistrer. Initialement l’idée était de le diffuser essentiellement sur Internet., en douce, comme s’il s’agissait d’un petit cadeau surprise. C’était une optique presque « indie » car nous ne voulions pas nous préoccuper de ce qui avait trait au business, à l’organisation de tournées ou des trucs comme ça.

En fait The Cars ont toujours été à la frontière entre le côté indépendant et le grand public.
En effet. Avoir du succès nous a très vite catalogués. Toujours est-il que, pour moi, "Move Like This" revendiquait un esprit fun et c’est cela que j’ai dit aux membres restants du groupe quand je les ai appelés. On s’est réunis au Nord de l’état de New York et on a répété un peu pour voir comment les choses se présentaient. Ça a très vite cliqué et l’album s’est fait sans hâte mais rapidement.

Il est finalement sorti physiquement et vous avez même pris un producteur ce qui est rare pour vous…
Ce qui s’est passé c’est que je me suis dit que, quitte à passer en studio, ce ne serait peut-être pas une mauvaise idée d’avoir quelqu’un pour travailler sur quelques morceaux afin de voir ce que cela donnerait. Nous n’avions pas travaillé ensemble depuis longtemps et je ne voulais plus être aux manettes car c’était une période trop marquée où je contrôlais un peu trop les choses. J’avais besoin d’une autre personne pour assurer ce rôle afin que personne ne se dise : «C’est encore une fois Ric qui va vouloir tout maîtriser».

C’était significatif à l’époque ?
Vous savez, je crois que c’est cela qui a provoqué notre séparation. J’ai donc envoyé un mail à « Jacknife » Lee car j’aimais beaucoup ce qu’il avait fait avec Snow Patrol…

Et Weezer, tout comme vous.
Très honnêtement j’ignorais qu’il avait bossé avec eux à l’époque. Comme je produis moi-même je fais peu attention aux autres producteurs. J’étais assez étonné d’autant que je l’ai appris après que nous ayons terminé notre album. J’étais intéressé par ce qu’il avait fait avec R.E.M. aussi mais c’était avant tout son parcours avec Snow Patrol qui m’a séduit.

Quels points communs voyiez-vous avec lui ?
Comme moi il aime bien mêler l’électronique et la pop.Il était d’accord pour essayer. On a donc fait 3 morceaux à Los Angeles et comme ça fonctionnait bien on lui a demandé d’en faire quelques autres. On a tout terminé à New York et je crois que, comme tout a été réalisé avec lui, il a ajouté une touche un peu plus moderne à l’album dans son intégralité. C’était bien aussi pour moi d’avoir quelqu’un au poste de commande.

Est-ce que la sonorité si reconnaissable des Cars vous préoccupait quand vous avez commencé à composer ces nouveaux titres ?
Je ne pensais pas réellement à ça voyez-vous. Je ne raisonne pas en terme d’émulation, ou d’imitation. Quand vous mettez certaines personnes ensemble, quand vous les faites jouer, ce qui va en sortir n’est pas réfléchi mais naturel. C’est notre son, celui des Cars, la combinaison du talent de plusieurs musiciens quand ils sont réunis. On ne s’est jamais demandé si il fallait qu’on modifie certains accords ou tonalités parce que nous les avions déjà utilisés sur d’autres morceaux auparavant, s’il fallait qu’on change de guitare ou de schéma rythmique. Je pense que nous avons un style, une identité et que ce que nous faisons est une variation autour de cela. Ça reste valable aujourd’hui comme ça l’était il y a 20 ans et non pas comme si on apprenait à jouer et qu’on essayait d’être encore meilleurs musiciens. Tout le monde est ainsi, vous ne croyez pas ? Est-ce que U2 ne sonne pas comme U2 ? Est-ce que les Beatles ne sont pas instantanément reconnaissables ? Je crois que c’est au contraire un facteur de stabilité, d’équilibre.

J’ai trouvé que vous sonniez assez toniques et presque jubilatoires dans l’ensemble.
C’est exact mais je crois que mes textes interviennent en contrepoint de cela à cet égard. Ils traitent de sujets plus pointus, inhabituels chez les Cars.

Vous pensez à Blue Tip ?
Oui ainsi qu’à Hits Me ou Sad Song. J’ai beaucoup travaillé les textes sur"Move Like This" et, même si j’apprécie encore ceux des disques précédents, je suis particulièrement fier de tout ce que je suis parvenu à exprimer.

C’est vrai que vous êtes passé à des thèmes plus impliqués socialement.
Il se passe tellement de choses dans le monde aujourd’hui et peut-être que mon niveau de maturité a évolué aussi. (Rires) Je ne sais jamais très bien d’où me vient le désir d’aborder tel ou tel sujet. Je ne suis pas certain d’apporter quelque chose de différent mais je suis satisfait d’avoir essayé d’aller dans cette direction. Je crois que nous sommes tous atteints par la folie qui se déroule autour de nous.

Vous avez si longtemps donné l’impression d’être détachés, distanciés presque indifférents dans la façon dont vous chantiez.
C’est exact ; je le suis toujours d’ailleurs. Mais mon détachement avait quelque chose de poétique. J’ai toujours apprécié la poésie, les poètes « beats » américains, les Symbolistes français. Chez moi les mots suscitent ce désir de pouvoir jouer avec. Vous les accolez les uns aux autres, ils peignent des petits tableaux dans l’esprit des gens et souvent, derrière l’humour, il y avait pas mal de sarcasme ce qui est une autre manière de composer des vignettes traitant des comportements humains. Parfois ils sont anodins, parfois ils sont plus fouillés même si ils ne donnent pas l’impression d’être sérieux.

Vous qualifieriez-vous de personne cynique ?
Mais il y a du cynisme dans tout ce qui nous entoure aussi c’est un élément que je ne refuse ni ne réfute. (Rires)

Ben Orr étant décédé comment avez-vous pu gérer cette absence ?
Nous savions dès le départ que nous n’allions pas tenter de le remplacer. Ça devait être ce qui restait de nous si vous voyez ce que je veux dire. Ça aurait voulu dire : « Trouvons quelqu’un d’autre de manière à pouvoir partir en tournée ! » Notre but n’était pas de faire table rase et d’empocher de l’argent. On souhaitait faire un album tranquille et cool, sans urgence ni demandes. Sa voix nous manque, c’est indéniable, son look aussi d’ailleurs (Rires). Maintenant ne restent que nous quatre et le beau chanteur à la voix incroyable n’est plus.Notre première répétition a d’ailleurs été étrange sans lui mais nous avons peu à peu avancé ; Greg a fait les parties de basse que nous avions programmées. Musicalement je crois que ça ne sonne pas de façon très différente d’ailleurs sauf sur certains vocaux.

Pensiez-vous à lui sur Soon qui est très évocateur de Drive qu’il interprétait par exemple ?
Tout à fait et je suis certain qu’il l’aurait chanté beaucoup mieux que moi. Je l’ai approché un peu comme lui l’aurait fait, en m’efforçant d’avoir un timbre plus subtil, nuancé et velouté. J’avoue que chanter des ballades n’est pas mon fort. Je préfère de loin interpréter des choses plus caustiques. Quand il s’agissait d’aller vers des tempos plus lents et sentimentaux c’était toujours Ben qui s’ employait. Tout ce que je peux dire est que j’ai fait de mon mieux d’autant que c’est le seul où j’ai chanté toutes les parties vocales. Ça m’a pris comme ça, je n’étais même pas en studio et j’ai essayé de faire cela de la manière la plus détendue possible, sans doute pour pallier à mes lacunes. (Rires)

Blue Tip s’adresse à quelqu’un de façon très virulente.
J’avais en tête la politique dans notre pays. Je pensais à la façon dont les gens étaient amenés à croire tout ce qu’ils entendaient et comment ceux qui étaient un peu naïfs ou peu réfléchis suivaient sans rien remettre en cause de ce qu’ils lisent.

Sad Song aborde le même thème il semblerait.

Oui, vous avez toujours la même typologie de personnes prêchant les mêmes conneries. Quand les médias sont très influents, comme aux USA, beaucoup utilisent leur pouvoir de nuisance de façon incroyable. Il y a tout un segment de notre population qui ne voit pas plus loin que le bout de son nez. De toutes manières ils ne veulent pas savoir se qui se passe autour d’eux. Je crois que c’est quelque chose que vous ne pourrez jamais éviter et que vous aurez toujours ce genre de personnes qui vous pourriront la vie.

Vous avez écrit des poèmes, avez fait des lectures ; comment voyez-vous cette activité par rapport au fait d’être un musicien pop ?
Pour moi il n’y a pas de distinction entre les deux. J’essaie de penser en termes poétiques quand je compose, même si c’est un peu limité parfois. Je sais que je ne suis pas Verlaine ou Rimbaud (Rires).

Sur Drag On Forever il semble y avoir une juxtaposition entre le titre et la façon dont il est interprété ; cette impression de choses qui avancent en se traînant. C’est très poétique aussi cela, en un sens (Rires).
Oui, le rythme en est très laborieux parce qu’il s’agit de traiter de la façon dont certains éléments peuvent vous entraîner vers le bas. Comment, par exemple, un truc qui peut sembler positif, comme l’amour, est très vite ébréché par un petit détail qui cloche. Vous vous entez capable d’affronter une montagne avec quelqu’un et la personne vous laisse tomber en route. Je pars de situations toujours un peu folles ou surréalistes et j’essaie d’en tirer une petite anecdote qui serve de leçon.

Vous êtes parfois assez cryptique justement en raison de ce symbolisme employé.
C’est une façon de mettre de la distance ou peut-être est-ce pour cela qu’on a cette impression. Je ne sais pas qu’est-ce qui précède l’autre. Mais toute poésie se doit d’en introduire, d’essayer de monter le monde de manière plus irréelle et fleurie propre à ce que votre esprit puisse former des images qui vous soient personnelles. Je sais que je ne serai jamais Bob Dylan mais je m’efforce d’être articulé dans mes textes et si j’y parviens un tantinet, c’est tant mieux.

Chroniqueur
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