Interview de Nada Surf
Un des thèmes du disque c'est la question de l'instinct, le choix.
Quelques semaines après la sortie de leur 7ème album »You know who you are », Nada Surf était en tournée européenne. Pour celles et ceux qui les auraient ratés, ils reviennent cet automne et passent notamment par Paris. Ils joueront au Bataclan le 2 décembre.
De retour d’une visite au musée d’art moderne de Strasbourg, c’est Matthew qui s’est prêté au jeu de l’interview faite intégralement en français.
Bonjour et merci de nous consacrer un peu de temps.
Il y a 20 ans, on vous découvrait avec l’album High/ Low et son tube Popular. Aujourd’hui en 2016, vous êtes plus que jamais présents sur la scène musicale, quel est le secret de votre longévité?
D’abord c’est une question d’amitié. On s’entend très bien. Avec Daniel, on est ‘vrais’ amis depuis l’âge de 14 ans. Il est aussi question de famille, de famille choisie.
Le public joue aussi un grand rôle. Il y a eu des petites périodes après notre premier disque où ça n’allait pas super bien. Mais on avait toujours un public vraiment généreux et même si on jouait pour 50 ou 100 personnes, ils étaient vraiment attentifs, gentils et moi je me sentais un peu comme si on leur devait quelque chose.. Donc si quelqu’un aime ce qu’on fait et si ça leur donne un peu de plaisir ou de réconfort, et qu’on est capable de continuer, pourquoi ne pas continuer?
J’avoue que je n’ai pas tellement aimé le premier album et que j’ai commencé à aimer votre musique avec le deuxième album: The Proximity Effect sur lequel vous prenez une direction différente. Peut-on dire qu’avec le temps vous vous êtes assagis ?
Oui et non. Au début on était seulement capable de jouer d’une ou de deux manières, mais avec le temps, on a ajouté des cordes à notre arc et on est devenu plusieurs groupes en un.
Maintenant il y a une partie du public qui aime vraiment ces ballades, et une partie du public qui aime vraiment nos chansons plutôt ‘philosophiques’, je veux dire philosophie pop facile. J’admets faire cela un petit peu. Il y a des gens qui aiment ces chansons-là qui sont très positives et qui cherchent à savoir comment vivre et il y a des gens qui aiment le rock, un peu brut, comme sur le premier disque et donc on collectionne divers publics.
Vous avez sorti un album il y a un mois et êtes en pleine tournée européenne,quel accueil le public réserve-t-il aux nouveaux morceaux?
Super! Vraiment bien. J’ai l’impression que les choses vont peut-être mieux que par rapport aux deux ou trois derniers albums. La réaction est vraiment incroyablement positive et nous aussi, on est très contents donc tout va bien!
Mais à force de jouer tous les soirs les mêmes chansons, c’est pas un peu répétitif ? Ou c’est la même chose, mais c’est différent?
Voilà! C’est exactement ça! C’est à chaque fois la même chose et à chaque fois différent. Et une des raisons pour lesquelles on passe tellement de temps à faire un disque c’est parce qu’on sait qu’on va jouer ces chansons des centaines voire des milliers de fois et il faut être sûrs et certains qu’on ne va pas se lasser.
Quand j’écris quelque chose, même si c’est juste un petit morceau d’un morceau, ça m’arrive de l’écouter 100 fois parce que j’essaie de le casser. C’est-à-dire que si je peux écouter quelque chose et m’en lasser, ça veut dire que ça ne va pas marcher comme chanson pour le groupe, tu vois ce que je veux dire? Donc je veux vraiment à la fin choisir des choses que je peux soutenir longtemps dans des concerts.
Du coup, il y a des chansons que vous jouiez il y a quelque temps et que vous ne jouez plus parce que vous les avez trop jouées?
Mmmm, ouais pas parce que c’était trop, mais parce que mon affection pour la chanson n’a pas vraiment duré. On en a laissé tomber plein.
Moi, celle que j’aime et dont je ne me lasse pas c’est 80 windows.
Cool, on va la jouer ce soir.
Votre dernier album s’intitule »You know who you are », quelle est la signification du titre?
Le titre veut dire: tu sais qui tu es.
Un des thèmes du disque c’est la question de l’instinct, le choix.
On présuppose que les instincts sont toujours là: Fais ce que tu penses, ce que tu ressens, vis tes rêves, suis ton cœur, … mais ces instincts ne sont pas toujours là. Qu’est-ce qu’on fait quand on ne sait pas quoi faire? Quand on a une question dans la vie et qu’il faut faire un choix, qu’est-ce qu’on fait? De temps en temps, j’ai trouvé dans ma vie qu’il y a des moments où je n’ai pas d’instinct ou alors j’en ai deux qui sont en contradiction.
Donc ce titre est adressé à moi, mais aussi à quiconque, parce que moi je pense toujours que si tu éprouves quelque chose, il y a probablement des centaines de milliers d’autres gens dans le monde qui éprouvent cette chose. Donc je parle à quiconque se pose des questions comme ça: Qu’est-ce que je fais? Qui suis-je? Comment je veux être? Qu’est-ce que je veux faire dans la vie? Et peut-être dans le disque il y a ici et là des conseils pour moi ou quiconque, des conseils comme: dors bien, vas manger un petit peu, essaies de manger normalement, vas voir des amis si tu peux, sors de la maison, vas faire un petit tour dans la ville, essaies de pas trop te prendre la tête et je crois que tu vas savoir que quelque part en toi il y a des réponses. C’est juste qu’elles ne viennent pas toujours facilement, mais c’est probable que si tu leur donnes de la place, si tu es gentil avec toi-même, ça viendra, tu sauras quoi faire. Donc c’est comme un conseil et des encouragements.
C’est le premier album sur lequel vous introduisez officiellement Doug Gillard comme quatrième membre…
Il joue sur les deux albums précédents, mais c’est la première fois qu’il participe dans toutes les étapes. Sur les deux derniers albums, on faisait les enregistrements et une fois que c’était presque fini, on disait: »Alors Doug, tu veux rajouter un peu de guitare ici et là? » Mais là il était vraiment très impliqué et maintenant il est membre officiel, donc c’est vraiment le premier disque sur lequel on est un quatuor.
Matthew, tu as déménagé à Cambridge en Angleterre. Comment s’est passée l’élaboration du disque, la distance a-t-elle été un obstacle?
Eh bien, on a déjà eu ces obstacles parce qu’après 2001 Daniel a déménagé en Espagne, à Ibiza. Maintenant j’habite en Angleterre. Ça fait longtemps qu’on travaille comme ça. On attend que j’ai un petit ‘tas’ de chansons, que j’en ai assez pour qu’on dise: ‘Achetons des billets d’avion, rendez-vous à Brooklyn’ et on joue ensemble pendant 2-3 semaines puis on va en studio et on enregistre une poignée de chansons. Et on attend encore que j’en ai de nouveau assez pour refaire ça. Et en 2-3 fois on aura un disque.
Il y a longtemps, quand on habitait tous à Brooklyn, on répétait 2-3 fois par semaine et ça me manque, c’était vraiment cool, mais c’est ok de faire d’une autre manière.
Pouvez-vous nous parler de la vidéo de »Rushing » qui a été tournée à Paris avec en fond la place de la République ainsi que la devise Fluctuat nec mergitur.
Ça n’a pas de lien direct avec le thème de la chanson, mais on se sent très proches de Paris. Daniel a habité à Paris, moi aussi j’ai habité à Paris et donc on se sent très proches de cette ville et on veut toujours faire des choses là. On a une amie qui s’appelle Sarah Barbault qui est réalisatrice et sa sœur Emilie Barbault aussi. Elles ont fait le clip pour ‘Waiting for you’ de Minor Alps et moi j’ai fait 2 bandes originales pour elles, pour deux courts-métrages. On voulait travailler ensemble et il nous fallait un clip. On l’a fait à Paris parce que c’est plus facile pour moi de bouger de Cambridge à Paris que de bouger toute une équipe et aller à New York ou à Londres. Donc on est allé vers elles, dans ce cas-là juste moi.
Une chanson s’appelle Gold sounds, comme une chanson de Pavement, est-ce un clin d’oeil ? Ou juste un hasard ?
Naturellement je n’aurais pas nommé un titre Gold Sounds, j’adore cette chanson de Pavement et je n’aurais pas voulu avoir un nom en commun comme ça, mais voilà…
J’étais dans la file d’attente avec mon ami Louie Lino à South by Southwest et j’étais fatigué. Il était tard et pour me réveiller, je voulais parler à quelqu’un donc j’ai dit bonjour au mec à côté de moi et il se trouve qu’il travaillait pour une radio à St Louis, Missouri. Et comme ça, je ne sais pas pourquoi, j’ai dit à ce mec: ‘Si je te faisais un jingle pour ta radio, tu le jouerais?’ Puis il a dit: ‘Le chef de programmation a un show qui s’appelle Gold Sounds, si tu lui faisais un jingle ce serait vraiment super.’ J’ai dit: ‘D’accord.’ C’était une idée spontanée, ça s’est fait à l’arraché. Donc j’ai fait un jingle pour ce mec et à la fin j’ai vraiment aimé la musique et on la voulait pour faire une chanson.
J’aime beaucoup le morceau ‘Friend hospital’, de quoi ça parle?
Ça parle d’une relation platonique. J’ai une amie photographe (Autumn De Wilde). On est tous deux en couple maintenant, mais quand on était célibataires tous les deux, on avait une relation platonique, mais assez intime sur un plan émotionnel.
Quand j’étais à Los Angeles je restais dormir chez elle et quand elle était à New York elle restait chez moi et on s’occupait l’un de l’autre. Et il y a eu un an ou deux où on a chacun trouvé des choses assez dures dans nos vies personnelles. Et il nous fallait du réconfort et on a commencé à parler du fait de rester chez l’un ou chez l’autre comme de ‘friend hospital’. C’était cette manière de nous réparer.
Matthew, peux-tu nous parler de Minor Alps? Comment as-tu fait la connaissance de Juliana Hatfield et comment avez-vous décidé de faire de la musique ensemble?
On est fans l’un de l’autre depuis très longtemps. Moi j’étais fan des Blake babies, je les ai vus à CBGB’s en 1992 ou 1993 et elle a assisté à beaucoup de concerts de Nada Surf à Boston et s’est présentée à moi et m’a demandé de chanter un peu sur un de ses disques, faire des chœurs et j’ai vraiment aimé travailler avec elle. Et puis elle a chanté un peu sur un de nos disques. Et elle m’a demandé de la rejoindre pour un de ses concerts sur une ou deux chansons et pour répéter la chanson qu’on allait jouer ensemble on a chanté ensemble dans les escaliers. C’était la première fois qu’on chantait ensemble, c’est à dire pas comme sur les chansons des uns des autres, mais là face à face ensemble. Et on a tous deux éprouvé quelque chose de spécial: c’était vraiment facile pour nous de chanter à l’unisson. (L’unisson ça peut être beaucoup plus difficile techniquement que l’harmonie parce qu’on ne s’entend pas. C’est comme si une autre voix se mêle dans notre oreille. Parce qu’on veut s’entendre pour être sûr qu’on chante juste et si l’autre personne chante un tout petit faux on peut perdre le fil.) Là nous deux ensemble on a tout de suite remarqué que c’était quelque chose de vraiment spécial et basé sur cette minute dans l’escalier on a dit on va faire un disque. Et donc ça a pris assez longtemps parce qu’on avait d’autres choses. Mais le projet je ne crois pas que ça va continuer, c’était un ‘one off’ et elle a un autre groupe maintenant.
On a commencé en parlant du passé, parlons du futur. Penses-tu qu’il arrivera un moment où vous aurez exprimé avec Nada Surf tout ce que vous vouliez et que vous aurez envie de faire autre chose ? Écrire pour d’autres personnes, vous lancer dans un autre domaine…
Mmm, dans un autre domaine je ne sais pas. J’écris un petit peu, j’écrirai sûrement un mémoire, avec des histoires de famille, car il y a beaucoup d’histoires assez intéressantes dans ma famille. J’aimerais écrire tout ça, mais à la base, je suis juste un ‘songwriter.’ Je ne veux pas faire passer quelque chose aux gens, je veux juste partager, juste créer.
J’écris un petit peu avec d’autres gens ou pour d’autres gens et cela m’intéresse beaucoup. J’essaie de m’améliorer dans l’écriture. Je veux le faire de mieux en mieux. C’est possible que je fasse de pire en pire, mais je veux toujours faire l’effort. Je ne suis pas très courageux comme personne, mais j’essaie d’être courageux dans l’écriture et je veux partager cet effort. C’est comme donner quelque chose. Parce que je prends beaucoup, je reçois beaucoup de mes amitiés, de l’art, de contenu, d’esprit des autres choses et je crois que c’est un échange dans la vie. On donne et on prend et j’essaie de donner.
- Date de l'interview 1 923 vues 2016-10-10
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