">
C’est donc pour l’Australie, et plus précisément Brisbane que nous décollons pour ce beau jour d’été (hémisphère Sud oblige) pour Laneway, festival itinérant. Avec 31 groupes en 10 heures, répartis sur 4 scènes, il va falloir faire des choix !
Nous arrivons tout juste à la moitié du set des américains de The Men sur la scène « Eat Your Own Ears », sur le papier la plus excitante de la programmation, et c’est une entrée en matière tonitruante. Le groupe se donne à 100%, toutes guitares en avant, se souciant beaucoup plus d’être généreux et spontanés que précis ; le public n’est pas encore bien nombreux et la plupart des gens présents sont plus préoccupés par se trouver une place à l’ombre que par le jeu du groupe, pas encore le plus célèbre de la programmation malgré le succès critique de leurs deux derniers albums. Le show n’en est pas moins agréable, notamment sur le fulgurant Turn it Around, et c’est sous des applaudissements chaleureux qu’ils partent, dixit le chanteur, « en quête de marijuana ».
The Men
A quelques mètres de là, Julia Holter attaque un set qui se révélera étonnamment convivial et touchant. La musique de la jeune femme étant plutôt expérimentale et économe sur album, on est surpris de se retrouver ainsi captivés par une chanteuse radieuse, accompagnée d’un batteur et d’un violoncelliste dont les interventions malines sont pour beaucoup dans l’étonnante prise de densité et de générosité des morceaux joués, culminant sur un Marienbad magnifié.
En attendant de passer aux plats de résistance de la programmation, on passe en mode zapping. Un premier stop devant Snakadaktal porte à nos oreilles une indie-pop en vogue depuis quelques années : on pense à Foals, Metronomy, Bombay Bicycle Club et beaucoup d’autres et s’il est forcé d’admettre que les adolescents de Melbourne n’inventent rien, il faut aussi leur reconnaître un certain talent dans ce qu’il faut, chaque instrument et mélodie paraissant efficacement calibré, de la basse funky aux harmonies vocales en passant par un batteur furibond. A voir l’enthousiasme du public sur le single Air, on peut en tout cas leur imaginer un beau succès dans les années à venir. Succès il y a pour The Rubens, autre groupe du cru, en représentation sur la grande scène devant une foule compacte… il faut s’y faire, parfois, la soupe ça marche : leur folk-rock insipide nous évoquant des chansons rejetées des derniers albums des Kings of Leon. On en profite toutefois pour observer le public australien qui, bien que loin d’y aller de main morte sur la bière, semble beaucoup plus civilisé que ce dont on a l’habitude en Europe : pas question ici de doubler tout le monde à coup de coude, les slams sont rares (car en théorie interdits) et il est très rare que votre voisin vous empêche d’écouter le concert par un volume de discussion trop élevé, la contrepartie étant un enthousiasme un poil plus modéré et une ambiance légèrement moins festive, on ne peut pas tout avoir !
The Rubens
Beaucoup plus intéressante, la prestation intime et sincère de Perfume Genius, accompagné cette fois d’un batteur et d’un guitariste, nous emporte tranquillement malgré des difficultés techniques et confirme le talent du jeune américain, dont la sensibilité à fleur de peau est palpable à chaque instant.
Perfume Genius
16h, l’excitation monte, c’est au tour d’El-P d’entrée sur scène et on sait à quel point il peut-être difficile d’être le seul artiste hip-hop d’une programmation. L’américain, auteur d’un des tous meilleurs albums du genre en 2012, semble le savoir mais ne se décourage pas pour autant, préférant probablement se faire plaisir que tenter l’impossible. Si le flot est limpide, les beats solides et qu’El-P fait de son mieux pour haranguer la foule, une petite déception s’impose pour plusieurs raisons, en priorité un claviériste ridicule et pas franchement talentueux, une setlist composée uniquement de morceaux du certes excellent « Cancer For Cure », qui plus est enchaînés dans le même ordre que sur CD, et un son qui ne fait pas toujours honneur à la qualité de la production, notamment sur la pourtant magistrale Works Every Time. Heureusement certains morceaux font complètement mouche, en particulier le remuant The Full Retard et l’intense Stay Down.
El-P (au centre)
Une fois le concert achevé, un dilemme s’impose, Alt-J ou Cloud Nothings, il faut choisir. Les 2 ayant placé un album dans notre top indiepoprock 2012, le choix peut paraître difficile : cela dit aucun des 2 albums n’avait fait l’unanimité au sein de la rédaction, et de notre côté il n’y a pas photo, ce sera Cloud Nothings et à posteriori nous n’avons aucun regret tant le set des américains aura tout renversé sur son passage dès l’attaque avec un Fall In repris en choeur par l’assistance. Si là aussi on peut regretter qu’à un inédit près, tout le set était issu de Attack on Memory (dans le désordre, c’est déjà ça), les morceaux prennent une densité en live qui force à sauter, voire à tenter un pogo, pratique apparemment peu courante chez nos amis du bout du monde et qui peut prêter à sourire quand on les compare aux raz de marée humains auxquels on assiste en Europe. Comme chez The Men, il ne s’agit pas toujours d’être juste, mais bien de tout retourner et la reddition cataclysmique de Wasted Days restera comme la plus grosse déferlante de la journée, culminant dans un déluge sonore duquel on mettra quelques minutes à se relever. Un des grands grands moments de la journée.
Histoire de se remettre les idées en place, on erre d’une scène à l’autre : Flume, Schlomo, Holy Other, 3 facettes d’une musique électronique plutôt froide et dansante, l’un est plus dubstep, l’autre sera plus mélodique, tous ont du charme, pas encore de quoi sortir du lot, mais témoignent en tout cas d’une programmation électro étonnante, ce qui se confirmera plus tard dans la soirée. A côté Pond, composé à moitié de membres de Tame Impala confirme une tendance lourde des side-projects, l’impression d’entendre les morceaux pas assez bons pour figurer sur les albums du groupe d’origine. Cela dit, une B-side de Tame Impala c’est déjà pas mal, et certains morceaux révèlent une tendance plus rock et moins psychédélique que ce à quoi les australiens nous ont habitués.
Pond
Après une assiette de chorizo hors de prix, on se dirige vers la scène « Future Classic » pour découvrir l’écossaise Jessie Ware dont l’on connaissait assez peu la musique malgré un buzz assez imposant l’année dernière, et c’est très rapidement que l’on tombe sous le charme de la soul-pop élégante et gracieuse de la demoiselle (grâce et élégance vite amoindrie quand elle prend la parole avec un accent écossais à couper au couteau et un fuck par phrase). Visiblement heureuse d’être là et d’interagir avec un public modéré mais rapidement acquis à sa cause, Miss Ware restera la belle surprise de la journée nous gratifiant d’un set tantôt délicat tantôt langoureux mais toujours malin et séduisant.
Juste le temps de prendre une bière et l’on fonce quelques mètres plus loin pour ne rien rater de Japandroids, les canadiens ayant à leur actif une série de bombes qu’on trépigne d’entendre en live. Petite déception au premier abord, bien que bénéficiant de la même scène que Cloud Nothings, le son est loin d’être aussi puissant, paraissant étonnamment poussif pour une musique de ce genre. Le duo n’a lui rien à se reprocher, enchaînant les morceaux épiques piochés dans leurs 2 albums et affichant une complicité qui fait plaisir à voir. L’enthousiasme du public est palpable, chacun reprenant en choeur les nombreux « oh oh oh » qui ponctuent les morceaux du groupe et frôlant l’hystérie lors ce que se succèdent ces 2 merveilles que sont The House That Heaven Built et Young Heart Sparks Fire, nous faisant oublier complètement la déception de départ.
Japandroids
On arrive juste à temps pour la fin du set de Yeasayer, de quoi profiter d’une chanson de chacun de leurs albums, si Ambling Alp fait irrésistiblement danser la foule on est un peu déçus par un final sur Wait for the Summer, pas forcément le morceau le plus mémorable de leur premier album.
Yeasayer
Maladresse de la programmation, alors que 4 groupes s’apprêtent à jouer en simultané, Chet Faker est le seul artiste en cours, la petite scène « Future Classic » se retrouve du coup assiégée et impossible donc d’y rentrer ; on va du coup attendre le début de Twerps, prochain groupe de la programmation, leur scène profitant en plus d’une denrée rare : des places assises. Le groupe ne semble pas particulièrement à l’aise sur scène et leur musique semble en première écoute un peu trop scolaire, digérant sagement des influences locales (les groupes du label Flying Nun) et américaines (le rock indé des années 90, Teenage Fanclub et Yo La Tengo en tête) pour vraiment nous captiver, d’autant que du lourd nous attend pour terminer la soirée.
Twerps
On attaque par Divine Fits, projet réunissant Britt Daniels de Spoon et Dan Boeckner de Wolf Parade et Handsome Furs. Leur premier album sorti l’année dernière un peu sous le radar était pourtant plus que solide, mais sonnait un peu trop comme un album de Spoon, l’apport de Dan Boeckner ne se faisant pas du tout entendre. Dire que le concert a commencé mollement est un euphémisme, étant leur morceau le plus lent et inintéressant, mais l’album ne manque pas de chansons entraînantes et c’est à un concert qui prend une tournure de plus en plus emballante que nous disons au revoir, Natasha nous attendant sur la grande scène.
C’est avec What’s a Boy to Do (seul extrait de son premier album « Fur and Gold« ) que Natasha Khan, plus connue sous le pseudonyme Bat for Lashes nous accueille, resplendissante, visiblement épanouie, elle nous emporte dans ce morceau train fantôme plus charmant qu’angoissant, qu’elle enchaîne rapidement avec la sublime Glass, probablement son meilleur morceau en date, issu de l’excellent Two Suns. La suite du set fera la part belle à « The Haunted Man« , All Your Gold faisant danser la foule avant que le temps ne s’arrête sur une bouleversante interprétation de Laura, probablement le moment le plus intense et mémorable du festival, comme quoi un piano et une voix sublime suffisent pour donner des frissons aux plus blasés des chroniqueurs musicaux ! On part un peu à contrecoeur, sachant que Daniel ponctuera probablement la fin du concert, mais on s’est promis de jeter un coup d’oeil à ce que Nicolas Jaar peut bien donner live.
Bat for Lashes
On clôt donc la journée au son du DJ-chanteur américano-chilien dont on se demandait comment la musique si lente et éthérée allait marcher en live. La bonne idée est ici de se faire accompagner d’un guitariste et d’un saxophoniste qui peuvent à leur aise occuper les espaces laissés par les mélodies économes du jeune homme. En dépit d’un minimum de concessions, les BPM n’augmentant que rarement, le public semble conquis, ce qui s’avère une réelle surprise, cette électro minimale et exigeante ne semblant pas vraiment être la recette idéale pour séduire le festivalier saoul. Le set se conclura sur une version mutante de la chanson titre de son album « Space is Only Noise », confirmant une liberté de ton et un esprit aventureux qu’il partage avec la crème de ses collègues, de Burial à Andy Stott.
10h, déjà l’heure pour le festival de fermer ses portes afin d’être prêt dès le lendemain midi à Sydney. Dans la tête des festivaliers, les inondations, la coloration marron que le fleuve a pris ces derniers jours et tous les autres soucis sont temporairement éclipsés, chacun ayant en tête ses moments préférés de la journée : parions que Bat for Lashes et Cloud Nothings sont donc dans la plupart des esprits.
Un grand merci à Stephen Sloggett pour les photos !