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Pour vivre heureux, vivons cachés. Force est de constater que cet adage s’est très bien adapté aux milieux artistiques puisqu’il n’aura jamais été autant question d’avancer masquer. Le domaine musical n’y échappe pas, des globes oculaires géants des Residents en 1972 à Fauve aujourd’hui. Puis il y a Goat. La formation suédoise cultive, outre un syncrétisme évident, le goût et l’obsession de l’anonymat à tel point qu’on ne connaît toujours pas l’identité des musiciens qui la composent. Une énigme qu’il nous tardait de découvrir en vrai.
Bariolé, extravagant, hallucinogène, stimulant… les adjectifs manquent, peinent à définir la musique et l’univers de Goat tant celui-ci dénote un agrégat de couleurs, de sonorités, de textures et d’influences a priori à des années-lumière les unes des autres. L’ensemble transmis sous couvert d’anonymat, les choses se compliquent d’autant. Dans ce contexte, pour percer le mystère de ces illuminés du Grand Nord, le meilleur moyen était encore de les voir sur scène. Et l’on ne s’en est toujours pas remis !
La performance fut à la hauteur de notre curiosité et de notre excitation. Sans un mot à l’égard du public – mystère rime avec mutisme -, la tribu suédoise a investi et habité la scène du Trabendo comme peu auparavant. Sept drôles d’individus accoutrés comme s’ils allaient faire une cérémonie païenne au milieu du désert du Karakoum se sont livrés à une messe colorée des plus réjouissantes, à grand renfort d’accessoires que le Quai Branly n’aurait pas reniés. Une initiation réussie au culte du dieu chèvre avec en introduction un morceau tiré du récent « Commune » et intitulé Talk To God. Le public ne se fait pas prier et s’exécute, immédiatement désinhibé ; impossible de rester de marbre devant un tel déploiement d’énergies positives.
Le titre suivant, Let It Bleed, issu de « World Music », nous replonge un an en arrière, lorsque nous venions juste de découvrir Goat, et que nous en étions tout retournés. Et il n’a rien perdu de son effet ! Combiné à un délire vaudou exaltant, l’euphorie est totale. Héritée de légendes scandinaves, cette transe porte leur musique mais ne l’éclipse pas, et c’est là sa grande force. Goat offre un vrai show scénique, photogénique et iconoclaste, empreint d’un mysticisme sorti tout droit de leur imagination dont les méandres semblent impénétrables tant ils sont peuplés d’excentricités.
Suivent le magistral Gathering Of Ancient Tribes, le très heavy-metal Run To Your Mama, l’orientalisant Hide From The Sun où l’on s’attend à voir débarquer la caravane de dromadaires à tout instant, le quasi obscène Goatman aux wah-wah affriolants, le percussions endiablées de Disco Fever, et la liste est longue encore… le tout faisant l’effet d’avoir été un peu trop gourmand sur les acides. Profusion sonore, orgie visuelle. « LSD ! », criera un membre du public entre deux chansons. C’est bien ça.
C’est Det Som Aldrig Förändras qui, de son ton chaloupé, clôture brillamment le show à la fin du rappel. La musique riche et féconde de Goat n’a pas déçu. Applaudissements des deux côtés de la scène. À l’unanimité. Surtout, il reste de ce concert l’impression d’avoir partagé un moment privilégié. Avec une assemblée réduite mais la meilleure qui pouvait être : celle formée d’inconditionnels mus par une même adoration et tenus tout le long de la soirée sous le joug des bâtons de sorcières des deux chanteuses, grandes prêtresses aux incantations stridentes et étourdissantes. 2015 sera l’année de la chèvre selon l’astrologie chinoise, année du règne de Goat ?
Crédit photo : Marie Fantozzi