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C’était en 2001 et à l’époque, M83 était encore un duo inconnu de bidouilleurs antibois, faisant découvrir leur prometteur premier album paru sur l’excellent et regretté label Gooom. C’était peu de temps avant que le très prescripteur Pitchfork ne s’entiche du groupe en attribuant à juste titre une note exceptionnelle à leur deuxième album, « Dead Cities, Red Seas & Lost Ghosts ». C’était avant que Nicolas Fromageau ne jette l’éponge, laissant Anthony Gonzalez seul aux commandes d’un bateau en route vers les Etats-Unis, s’éloignant des terres électroniques intimistes des débuts pour s’aventurer vers un style plus emphatique, plus épique, voguant surtout vers un succès sans cesse grandissant. Ce soir, alors que les trois lettres du patronyme qu’a conservé Anthony Gonzalez illuminent la façade d’un l’Olympia affichant complet depuis longtemps, on mesure l’ampleur du chemin parcouru. Impossible alors de se défaire d’un léger sentiment de fierté d’avoir su repérer le talent de ce groupe dès ses débuts, ni d’une certaine appréhension, lorsque l’on se demande si durant sa marche triomphale vers le succès, M83 n’a pas laissé de côté une partie de son âme, de sa singularité.
Quelques minutes plus tard, quatre personnes investissent la scène de l’Olympia : Anthony Gonzalez est accompagné du multi-instrumentiste Jordan Lawlor, de Megan Kibby aux claviers et du batteur Loïc Maurin. L’évidence s’impose en quelques minutes à peine et la prestation scénique confirme de façon éclatante ce que l’écoute des derniers albums laissait à penser : M83 n’a maintenant plus rien de cette petite fabrique de comptines électroniques rêveuses qui nous avait tant séduits il y a dix ans. C’est un vrai groupe, pratiquant un rock à la fois bruitiste et teinté d’électronique, assez « mainstream » finalement, n’hésitant jamais à lorgner avec insistance vers les eighties. Une sorte d’hybride entre la classe crasseuse de My Bloody Valentine et les calamiteux claviers de Simple Minds. La force de Gonzalez est de parvenir à jouer les funambules, à garder son équilibre dans cette constante oscillation entre l’élégance d’une rêverie contemplative et la trivialité d’un refrain de rock de stade : on sait, on sent que l’Antibois recherche l’emphase, le souffle épique, l’exacerbation des sentiments, on devrait probablement le lui reprocher et dénoncer ce vilain penchant pour la grandiloquence et pourtant, ses compositions très simples conservent une candeur, une innocence, une naïveté désarmantes. Bref, comme d’habitude, on marche et l’on se prendra même à déguster certains arrangements cousus de fil blanc avec un plaisir coupable.
Le choix des chansons est terriblement efficace, même certains vieux morceaux (y compris le génial Sitting, avec lequel on avait découvert M83 en 2001) y trouvent leur place, dans des versions considérablement dynamisées, souvent sous l’impulsion de la batterie surpuissante de Loïc Maurin. Les autres musiciens s’appuient visiblement sur lui pour emballer la machine, comme le prouve leur jeu de scène dont les déplacements les mènent souvent à proximité de la batterie – ou du clavier de Megan Kibby qui, ondulant dans sa belle robe noire, remporte un net succès auprès de la gent masculine… Autre élément crucial du spectacle, le jeu de lumières est époustouflant, mettant très bien en valeur les musiciens, accentuant une présence scénique étonnante et accompagnant les morceaux avec une synchronisation parfaite. Bref, c’est non seulement pro, mais intelligent, bien conçu et terriblement addictif. Anthony Gonzalez a de plus gagné en assurance et sans se muer en bête de scène, il est bien présent sur scène, régnant avec autorité sur une bacchanale diablement agencée, se permettant même d’échanger avec le public, de sorte que la salle rugit régulièrement de plaisir avec un enthousiasme que l’on ne croise que rarement, somme toute, sur les scènes parisiennes connues pour leur réserve. Evidemment, l’apogée sera atteinte sur le tube Midnight City et son final « hénaurme », le très attendu (?) saxophone sautant enfin sur la scène pour rejoindre le groupe.
Le concert passe en un clin d’œil, d’autant plus qu’il s’avérera bien bref : les musiciens quittent la scène au bout de cinquante minutes à peine. Les rappels, notamment une version longue et enflammée de Couleurs, donneront un peu plus de substance à un spectacle dont le seul défaut aura finalement été sa brièveté. De cet excellent moment, on repartira avec la certitude que le chemin de M83 devrait logiquement les mener vers un succès toujours plus éclatant, tant leur performance et leur musique semblent maintenant pensées pour électriser les foules ; quant à l’âme timide et mélancolique qui animait le duo des débuts, on la sent encore poindre ça et là. Pour combien de temps ?