Longtemps dans l'ombre de plusieurs artistes notables, l'Américaine SASAMI débarque avec un premier effort des plus passionnants...
Ce n’est un secret pour personne, les tournées sont pour les musiciens des moments propices à la composition. Même lorsque gravite autour d’eux une quantité astronomique de personnes, que la tension se fait constante et que le tumulte se révèle assourdissant, la quiétude de certains trajets en tour bus ou le silence d’une chambre d’hôtel post-set permettent de libérer la création, quitte à mettre en confrontation des sentiments contraires pour y parvenir, entre le bonheur de vivre pleinement de sa passion et l’usure d’un interminable voyage hors de ses bases.
Ajoutez à cela la tenue d’un journal intime, où s’y amoncellent des lettres à la sincérité prégnante jamais envoyées à ses proches, et vous obtiendrez le fruit des états d’âme de Sasami Ashworth, jeune californienne ayant tourné deux ans et demi derrière gratte et synthé de Cherry Glazerr. Surtout, ce sont un océan de solitude mêlé à un besoin d’épanouissement qui ont poussé l’Américaine à coucher ses compositions sur pièces, voguant entre deux eaux, ou plutôt entre deux blocs de glace comme l’illustre idéalement l’artwork. SASAMI est en réalité a un carrefour de son existence artistique, ancrée dans une phase transitoire devenue essentielle pour avancer, elle qui est encore professeure de cor à Los Angeles et qui a collaboré en parallèle pour les Breeders, Wild Nothing, Soko et autres. Un temps certain consacré aux autres qu’elle se devait aujourd’hui de recentrer sur elle.
Profitant enfin du loisir qui lui est donné de s’exprimer musicalement sans être la multi-instrumentaliste d’un backing band, la Californienne use de ses richesses et expériences passées pour délivrer un panel qui finalement révèle toute sa personnalité : un timbre frêle et discret, aux antipodes de ce qui se fait actuellement en termes de voix féminines, trouvant son confort dans des morceaux hyper-intimistes et singulièrement émouvants (l’inaugural I Was a Window, le magnifique Free, en duo avec Devendra Banhart, qui vous prend littéralement aux tripes) tout en parvenant à emprunter davantage de recul sur des titres à la griffe plus soutenue (Not The Time, Morning Comes, Callous), signe qu’elle sait aussi véhiculer ses émotions à partir de ses influences rock.
Sous ses traits de sagesse et ses paroles évoquant la complexité des relations humaines, la difficulté des remises en question ou le sentiment d’abandon, SASAMI sait aussi rendre grâce à la gaieté et se réclame de la joie pour concevoir sa musique. Preuve en est, la fantasmagorie qui bouscule Jaleousy dans le refrain comme dans le clip, volontairement grotesque avec son déguisement de sorcière balançant ses sortilèges, tout comme sur la vidéo de Not The Time où elle prend son pied (et son cor) au sein d’un groupe d’enfants musiciens. Des fantaisies que l’on retrouve évidemment sur l’album, tel le ton sarcastique sur lequel a été écrit At Hollywood ou sur Turned Out I Was Everyone, mais cette fois en termes de texture, avec une boîte à rythme pour métronome et une enveloppe nettement plus synthétique, une déviation gérée avec maîtrise qui clôture son disque de bien belle manière.
A dire même que dans ce dédale qu’est parfois l’exercice du premier album, SASAMI parvient à garder l’équilibre sans que ne cèdent ces blocs sur lesquelles elle s’accroche avec ténacité. De surcroît, l’Américaine obtient, d’entrée de jeu, les félicitations du jury, pour ce qu’elle représente, pour son goût de la vie malgré les embûches, et pour tous ces agréables instants qu’elle parvient à nous faire vivre…
Tracklist
- I Was A Window
- Not The Time
- Morning Comes
- Free
- Pacify My Heart
- At Hollywood
- Jealousy
- Callous
- Adult Contemporary
- Turned Out I Was Everyone