"> Sufjan Stevens - The Age Of Adz - Indiepoprock

The Age Of Adz


Un album de sorti en chez .

7

Comme l’amour, la ferveur de l’indie-fan est aveugle. Pendant plusieurs années, le simple nom de Sufjan Stevens a suffi à évoquer des torrents mélodiques indomptés, des cascades d’harmonies d’une splendeur infinie, un pays de Cocagne folk où les chansons s’amoncellent comme autant de perles dans la discothèque rêvée du fan en pâmoison… A tel point […]

Comme l’amour, la ferveur de l’indie-fan est aveugle. Pendant plusieurs années, le simple nom de Sufjan Stevens a suffi à évoquer des torrents mélodiques indomptés, des cascades d’harmonies d’une splendeur infinie, un pays de Cocagne folk où les chansons s’amoncellent comme autant de perles dans la discothèque rêvée du fan en pâmoison… A tel point qu’on a pardonné au jeune homme bien des excès (la très dispensable « Avalanche » de chutes de studio, des albums souvent trop longs d’une bonne poignée de morceaux, des arrangements parfois pompiers). Jeune, beau et apparemment capable de composer à volonté des chansons belles à pleurer, Sufjan Stevens affichait un talent tellement assommant qu’il en semblait inhumain.

En cette fin d’année 2010, la donne a changé : plus aussi jeune, plus tout à fait aussi prolifique, Stevens s’est aussi fait rattraper par quelques jeunes loups lorgnant sans complexe sur son trône de roi-soleil de la pop orchestrée. On attendait donc ce nouvel album comme une remise à l’heure, un rappel des capacités infinies d’un songwriter de classe mondiale. Futile Devices nous accueille, le charme opère d’emblée… et si l’on repère quelques réverbérations et sonorités étranges, rien ne nous prépare vraiment à la suite, à cette succession de morceaux aux bruitages triturés, aux structures alambiquées, presque illisibles. Ecrivons-le tout net : la surprise empêche toute analyse lors des premières écoutes et il faut une bonne dose d’abnégation pour apprivoiser ce drôle d’objet qu’est « The Age Of Adz ».

La position de Sufjan Stevens, certes, n’est pas facile : est-il préférable de continuer à chasser sur les mêmes terres pop-folk, au risque de se lasser et de lasser l’auditeur ? Ou bien lui faut-il explorer de nouveaux territoires, faire ses preuves sur plusieurs styles ? Comme on sait par ailleurs que l’Américain a dû faire face ces derniers mois à des problèmes de santé, on s’interroge également sur les répercussions de ces ennuis sur la conception de l’album. Faute de réponse on ne peut que se perdre en hypothèses pour mieux comprendre ce disque.

Stevens a-t-il, consciemment ou inconsciemment, mis en musique sa maladie ? Les bruitages de Too Much donnent envie de dresser un parallèle entre la condition physique de Stevens et ces sons organiques rappelant les protestations d’un tube digestif dérangé, ce chant souvent chevrotant, empreint de souffrance. On retrouve pourtant bien les caractéristiques de l’écriture de Stevens sur des arrangements très travaillés, riches notamment en trilles de flûtes sur plusieurs morceaux – mais on les retrouve comme concassées, passées au hachoir par un Stevens laissant libre cours à ses pulsions de laborantin électro. Au-delà du physique, doit-on aussi interpréter l’aspect rebutant, inamical de « The Age of Adz » comme la manifestation d’un esprit en proie au doute ? Stevens cherche-t-il sa voie ou au contraire veut-il montrer à quel point son talent peut lui permettre toutes les fantaisies ?

Les questions sont bien plus nombreuses que les réponses, en revanche au fil des écoutes quelques certitudes se font jour. L’observation cardinale, c’est que ces arrangements se veulent audacieux et futuristes – quel sens auraient ces expérimentations si elles ne voulaient pas amener de la nouveauté ? Hélas ces craquements et grésillements font déjà partie du vocabulaire de la pop depuis bien longtemps, on peut même dater assez précisément leur arrivée dans le grand public à 1997 et la parution d' »Homogenic » de Bjork… Ces audaces de vieux garçon s’avèrent donc à la fois piteuses car on est loin de pouvoir rassurer Stevens sur sa capacité à s’arroger tous les genres et rassurantes. Rassurantes car elles dessinent, enfin, serait-on tenté d’écrire, les limites d’un artiste qu’on trop souvent cru omnipotent. Sufjan Stevens, orfèvre à la renversante méticulosité, n’est donc pas le rénovateur de la musique populaire moderne, simplement un artiste classique d’une infinie délicatesse.

De fait, les grands moments du disque sont ceux qui se rapprochent le plus du terrain de jeux habituel de Stevens : Futile Devices et Vesuvius, où l’on retrouve intacte cette capacité à développer un refrain bouleversant en une éruption de choeurs… I Walked donne aussi quelques-uns des frissons d’antan. Pour le reste, on trouvera beaucoup de beaux passages noyés dans des chansons trop compliquées, trop tordues (Age of Adz, I Want To Be Well ou le très gênant Impossible Soul).

Donner une appréciation définitive sur « The Age Of Adz » est une affaire de nuances, de point de vue : malgré sa longueur, ses maladresses, c’est un assez bon disque dans l’absolu. Estimé à l’aune de ce que l’on attend de Stevens, il s’agit en revanche d’un ratage, que l’on relativisera peut-être selon l’évolution future de son auteur : l’indulgence nous pousse pour l’instant à y voir un disque de transition, signé par un artiste en plein doute, et non la tentative boursouflée d’un songwriter s’imaginant tout permis. Espérons que l’avenir ne nous donne pas tort.

Chroniqueur

Tracklist

  1. Futile Devices
  2. Too Much
  3. Age of Adz
  4. I Walked
  5. Now That I'm Older
  6. Get Real Get Right
  7. Bad Communication
  8. Vesuvius
  9. All for Myself
  10. I Want To Be Well
  11. Impossible Soul