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Trois ans sans faire une Route du Rock, c’est long, très long.
Après une édition 2020 purement et simplement annulée, et une édition 2021 « light », le festival signe son grand retour lors de cette année 2022. Une Route du Rock qui, encore une fois, a tenu ses promesses. Retour sur quatre jours de musique, de bonne musique.
C’est une entrée en matière plutôt calme qui nous attend. King Hannah, de Liverpool, vient poser ses mélodies toutes douces dans une Nouvelle Vague déjà bien remplie. Comme ressenti sur album, ce sont des morceaux taillés pour les petits comités. La salle de Saint-Malo est parfaitement adaptée, et les montées en puissance qui finissent certains morceaux résonnent superbement.
L’arrivée d’Aldous Harding sur scène est déjà un spectacle en soi. Avec des airs tantôt de défi, tantôt de folie, elle toise en permanence le public. Difficile de déterminer si elle joue un rôle ou si elle est vraiment barrée (mais j’opterais pour l’option 2). Le concert est en tout cas sublime. En alternant des morceaux seule (ou presque) à la guitare et des morceaux avec son excellent groupe, elle crée une sorte de petite routine bien sympathique. Et chaque réinterprétation de ses morceaux est une réussite totale. Le public ne s’y trompe pas et les artistes sont ovationnés à chaque interlude. Ovation qui va durer un bon moment lors du dernier morceau d’ailleurs.
Deux petits détails fâcheux cependant lors de cette soirée. Premièrement, la température dans la salle. La personne préposée au chauffage a dû vouloir faire une bonne blague à tout le monde. Résultat, j’avais repris le pantalon pour la première fois de l’été, ce n’était clairement pas le bon jour. Deuxièmement, l’espace extérieur réduit de moitié par rapport aux années précédentes. Résultat, comme il faisait chaud dedans, tout le monde voulait s’aérer un peu. Mais comme il n’y avait pas de place, ça coinçait grave. Le festival avait annoncé plus de confort pour le week-end, ça partait mal (heureusement, ce fut le seul hic).
Ça y est, c’est l’heure de rentrer dans le Temple Indé. Les portes du Fort de Saint-Père s’ouvrent enfin pour la première soirée. Le planning très serré et les contraintes de transport me feront manquer les concerts sur la plage cette année. Tant pis pour moi. On attaque donc avec les Canadiens de Cola. Déjà venus en partie lors de l’édition 2014 (Ought comptait alors 2 des 3 membres du groupe), je n’avais à ce moment-là pu voir que le dernier morceau de leur prestation. Rattrapage cette année, avec un concert complet. Si leur musique reste assez semblable à ce qu’ils faisaient avant, il faut reconnaitre qu’ils ont réussi à détendre leurs compositions. Là où Ought était raide et direct, Cola enrobe un peu plus ses compos et propose quelque chose d’un peu plus fluide. Idéal pour ouvrir le week-end sous le soleil malouin. Un concert simplement bien, mais c’est vrai qu’il devient compliqué de se démarquer dans une prog aussi dense et qualitative.
On enchaine directement sur la grande scène avec les Black Country, New Road. On notera au passage que la timetable a été un peu remaniée cette année. Les groupes s’enchainent quasi directement d’une scène à l’autre. Avantage : aucun temps mort. Inconvénient : aucun temps mort. Mais revenons à nos moutons. Les Anglais de Black Country, New Road viennent de traverser une période un peu spéciale. En perdant leur compositeur / guitariste / chanteur quelques jours avant la sortie de leur second album, ils se sont retrouvés dans une situation étrange. Refusant de jouer sur scène les compositions d’Isaac Wood, les six membres restants ont pris un peu de temps pour composer de nouveaux morceaux à proposer sur scène. Grand bien leur en a pris, puisque ce concert a été tout bonnement magnifique. Avec leurs têtes et leurs allures de premiers de la classe, les BC,NR ont largement réussi à se réinventer, sans pour autant renier ce qui faisait leur particularité. Une musique qui navigue entre pop et classique et qui emporte tout sur son passage. Un set lumineux, mais dont le public n’a pas vraiment apprécié la portée, regrettant bien souvent les envolées lyriques de leur ex-leader.
Retour petite scène. C’est maintenant au tour de Geese de se produire. Satisfaisant sur album, le concert sera comme souvent supérieur. Avec un batteur et un chanteur montés sur ressorts, les jeunes Américains délivrent une prestation dynamique et entrainante. Ça bouge pas mal devant la scène, ce qui est toujours bon signe.
C’est au tour de Wet Leg de prendre les commandes du Fort. Que celui ou celle qui n’a pas fredonné « Chaise Longue » pendant le week-end malouin me jette la première pierre ! Plus qu’attendues après leur succès fulgurant, les Anglaises avaient la pression pour confirmer sur scène tout le bien que l’on pensait d’elles. Pas évident avec cette image un peu baba / je-m’en-foutiste qui leur colle à la peau. Ceci dit, elles l’avaient un peu cherché. Le concert en tout cas a été un véritable succès. Attitude décontractée, morceaux entrainants, petits discours (parfois en français) plutôt marrants. Sans en faire des caisses, les Wet Leg ont finalement donné exactement ce qu’on pouvait attendre d’elles. Un moment de fraicheur bienvenu.
Changement d’ambiance avec Yard Act. Si le disque m’avait notamment plu, je n’attendais à vrai dire pas grand-chose de ce live. Avec les Idles, Shame, et autres Squid, on pouvait penser avoir tout vu (pas blasé, mais presque…). C’était sans compter sur la gouaille de James Smith et sa capacité à capter l’attention. En déambulant sur la scène et en balançant ses textes avec ce phrasé typique, le groupe a tout simplement réussi à mettre quasiment tout le monde d’accord. À la fois énergique et attachant, le set était on ne peut plus captivant. Ma pause repas en a d’ailleurs fait les frais. Attention cependant : si l’ami James aime bien parler, ce n’est pas pour autant que l’on a compris le moindre mot à qu’il disait. La faute à un accent… ouch !
Au tour des Fontaines D.C. de se produire. Probablement le groupe le plus attendu du week-end. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils ont bien grandi les petits Dublinois depuis leur dernier passage. En 2019, on avait eu droit à une prestation rapide et très nerveuse (il se pourrait d’ailleurs qu’un report de cette Route du Rock, non publié à l’époque, fasse son apparition bientôt…). Depuis, pas mal d’eau a coulé sous les ponts, et accessoirement 2 albums sont sortis. Ce qui a déjà permis de faire une prestation bien plus longue. Plus longue oui, mais pas moins tendue. Grian Chatten a toujours cette attitude de lion en cage qui ne sait pas vraiment où se mettre, ni quand y aller. Non, ce qui a changé, c’est l’enveloppe. Le son est beaucoup plus produit, les jeux de lumières sont extrêmement présents (l’heure de passage n’était pas la même ceci dit). Alors avec les morceaux qu’ils proposent, les Fontaines D.C. peuvent difficilement faire un mauvais concert. Souhaitons leur juste de ne pas tomber dans les excès (Muse, si tu nous regardes…) et de savoir rester vrais.
Le set de Charlotte Adigéry et Bolis Pupul aura été pour moi le moment du repas. Choix toujours cornélien dans une prog aussi riche.
Retour pour le dernier concert de cette soirée. Ce sont les Working Men’s Club qui ont pour mission de clôturer dans le fort. Les fins de soirées « électro » étaient devenues une habitude, mais cette année l’organisation avait annoncé que la donne avait un peu changé. Pas tellement en fait, car le concert des Mancuniens a été pensé pour faire bouger la foule. Un gros dancefloor à ciel ouvert. Avec, sur scène, une dichotomie bien étrange entre Sydney Minsky-Sargeant, au chant, qui occupe littéralement toute la surface disponible et le reste du groupe, hyper statique. Un grand moment ceci dit, car avec le planning arrangé, le dernier concert démarre autour de 1 h du matin, là où les forces vives sont encore… vives.
Nouveauté cette année, des after shows ont été mis en place afin d’achever les derniers festivaliers (et accessoirement de permettre à ceux du camping de « mieux » dormir). Des mix plutôt sympas, même si je ne m’y suis pas attardé bien tard (on n’a plus 20 ans hein). Ce jeudi, c’était Wunderbar aux manettes.
C’est Honeyglaze qui ouvre ce vendredi. Arrivé un peu tard sur site, je n’ai assisté qu’à la toute fin du live. Dans la droite lignée de leurs prédécesseurs de la veille, c’est une musique parfaite pour entamer la soirée. Une belle voix posée sur des mélodies douces. Pas besoin de plus.
Alors, Los Bitchos, c’était clairement le moment où j’allais me faire chier. Pas super fan de leur musique, j’avais prévu de faire un petit tour aux stands merchandising. Mon intégrité journalistique me poussait quand même à aller jeter un coup d’œil, « juste pour voir ce que ça donne ». Comme la veille avec Yard Act, la magie a opéré, et ce fut ma grande surprise du week-end. Déjà niveau météo, on frôlait la perfection. Le concert qui se joue sur la scène à cette heure-là profite du soleil couchant (quand il y en a, faut-il le préciser ?). Donc gros soleil (puisque ce dernier avait décidé d’être là tout le week-end -mis à part un petit relâchement l’après-midi même) et un groupe qui aime jouer avec le public. Si sur l’album, il n’y a pas de chant, c’est un peu différent ici. Toutes les membres prennent la parole sur certains morceaux (chose que j’ai vraiment appréciée), et entre les morceaux. Pour raconter des choses sans importance, clairement, mais étions-nous là pour ça ? Pas vraiment. À l’instar des Wet Leg, un concert-détente en somme. Les rythmes pleins de soleil ont ainsi résonné comme il se doit dans les enceintes du Fort. C’était simplement du bon temps, ni plus, ni moins. Seul « bémol », on a quand même l’impression d’avoir entendu le même morceau (ou presque) pendant tout le set. C’est à mon avis la limite du groupe et de sa musique, et je ne vois pas réellement comment elles pourront passer outre par la suite.
Porridge Radio aura été ma petite déception sur ces quatre jours. Non pas que le concert fut mauvais, loin de là. Mais parce que la mayonnaise n’a, semble-t-il, pas vraiment pris entre le groupe et le public. Dana Margolin donnait pourtant de sa personne et était clairement habitée par sa musique. Mais voilà, cela arrive parfois. Un alignement de planètes défavorable, et vous passez à côté de ce qui aurait dû être un excellent concert (le groupe avait été programmé en 2020, autant dire que ça faisait un moment que je l’attendais). Bref, j’étais un peu attristé de voir une telle débauche d’énergie pour si peu de retour.
Kevin Morby arrive en terrain conquis. Il fait partie des habitués (mon concert préféré sur l’édition 2016) et ne se prive pas pour le rappeler au public. Sa prestation aura en tout cas été à la hauteur. Écouter un live de Kevin Morby, c’est s’offrir une part d’histoire de la musique avec un grand H. Mais aussi savoir se faire tout petit et assister aux histoires qui font la vie de ce songwriter génial. Écouter un live de Kevin Morby, c’est se laisser bercer par sa musique, souvent douce, parfois rude, mais toujours juste. Le personnage ne semble jamais tricher, et cela se ressent sur scène. Cela prend aux tripes. Rien de moins.
Difficile pour DIIV d’enchainer après ce grand moment d’émotion. Les New-yorkais étaient cependant attendus comme le Messie dans le Fort, puisqu’ils avaient été annulés juste avant l’édition 2013 (et oui, déjà…). Le contrat est rempli, mais sans supplément. Bien sûr, depuis le temps que l’on écoute leurs compositions, c’est un vrai plaisir de les retrouver en live. Peut-être que ce style de musique est difficile à transcender sur scène, étant déjà, par essence, transcendante sur disque ?
Place à la dinguerie du soir : Baxter Dury. Déjà aperçu dans le fort en 2014, la prestation d’alors n’avait rien à voir avec celle de cette année. Si le Baxter Dury 2014 était propre sur lui, charmeur et crooner, le Baxter Dury 2022 est son penchant maléfique. Débraillé, lubrique et insistant. Un personnage qu’il aura développé de fort belle manière durant tout son spectacle. Cette année, c’était autant visuel que musical. Tellement visuel d’ailleurs, que sur certains morceaux, il s’efface, laissant son groupe et sa choriste (Madelaine Hart – quelle performance !) jouer ses propres morceaux.
Après ce moment d’anthologie, j’ai besoin d’un peu de repos, le concert de Snappes Ankles passe à la trappe. Et c’est au tour des Limiñanas de conclure. Si leur performance de 2018 en tout début de soirée avait été éblouissante, cette fois-ci, elle est bien plus conventionnelle. J’avais eu l’opportunité de les voir un peu plus tôt dans l’année, et j’avais été un peu déçu. Déçu, car le groupe semble se contenter de nous balancer ses riffs à la gueule. Ce qui est déjà bien, me direz-vous. Oui, mais il manque clairement ce supplément d’âme qui avait fait la magie du live d’il y a quatre ans. Je fais le même constat suite à la performance dans le Fort. La communication avec le public est réduite à son strict minimum, et pour moi, c’est devenu un peu rédhibitoire.
Après une après-midi dédiée au football où notre équipe s’est battue tant se faire que peut (merci encore à l’organisation du tournoi, c’est toujours un plaisir), arrivée dans le Fort pour le concert de Vanishing Twin (trop court pour Big Joanie, c’est bien dommage). Vanishing Twin, c’est assez difficile d’accès, soyons francs. Si le premier album m’avait titillé les oreilles, les deux suivants m’ont semblé bien moins abordables. Confirmation sur scène, je n’ai pas vraiment accroché.
Pour cette dernière soirée, la forme est moins au rendez-vous (je confirme, on n’a plus 20 ans). Difficile de rester aux aguets sur tous les lives, ceux de la petite scène, pour ce soir, seront vus de loin (Wu-Lu, Ditz, PVA).
C’est donc pour Beak> que je reprends ma place devant la scène. Le trio est bien en place, et nous envoie directement ses bonnes ondes. Proche de ce qui se fait sur album, le live est sans surprise, mais forcément très agréable à suivre. Les gros plans sur la tête réduite qui décore la batterie de Geoff Barrow sont assez troublants, mais au final, cela colle bien au son du groupe. Envoutant.
Le gros morceau, ce soir, c’est Ty Segall. Accompagné pour l’occasion par son Freedom Band, l’américain ne va pas faire dans la dentelle. Proche de ce qui se fait de mieux en rock’n’roll à l’heure actuelle, le concert sera un déversement sans fin de riffs de guitare. Le son « garage », dont il est aussi l’un des maîtres, va mettre tout le Fort à genoux. Grosse performance !
Finalement, c’est la Fat White Family qui clôt le bal. Encore une fois, c’est un vrai show sur scène ! Eux aussi, déjà passés par le Fort en 2014 (énorme effet de surprise) et 2016 sont des habitués. On va dire qu’ils ont rapidement retrouvé leurs marques. Lias Saoudi passe donc une bonne partie du concert dans la foule pendant que ses acolytes balancent leur musique sans aucune retenue. Les sales gosses du rock anglais portent décidément bien leur nom.
Bilan de ces 4 jours :
Crédit photo : Pierre G. / C. Gallo