On a aussi écouté Bruit Noir – IV/III
Osera-t-on écrire que Bruit Noir est une sorte de cousin infréquentable des Sleaford Mods ? Le pendant revenu de l’enfer du duo punk britannique, pourtant déjà passablement délabré.
Rien ne va, comme on dit aujourd’hui, dans cet album méchant comme un poux, teigneux comme une punaise de lit, désagréable comme jamais. Et pourtant, on se plait à l’écouter. On se plait à se faire défoncer d’un bout à l’autre de ce nouveau disque qui va encore plus loin dans la répulsion.
C’est qu’il n’est pas question, ici, de tirer dans le tas, en prenant bien soin de s’épargner. Le duo commence par se détruire lui-même, tout en restituant l’ego-trip absolument grotesque du rap le plus contemporain. Façon de n’épargner définitivement personne. A ce niveau là, ce n’est plus un disque, c’est une opération d’autodestruction intégrale.
Un tel degré de radicalité frôle forcément l’humour noir le plus absolu. Et la démarche percute tellement violemment l’époque – avec ses tabous, ses totems, ses intouchables – que l’on est pétrifié et fasciné, dans un même mouvement.
C’est un exercice de franchise absolue dont la lucidité renvoie presque toutes les tentatives de second degré ou de provocations savamment calculées aux rangs de gentilles gesticulations inoffensives. La prise de risque est telle que Bruit Noir se propulse dans une dimension hors catégorie. La plus dangereuse, mais clairement la plus remuante, alors que l’autocensure règne ailleurs en maître.
Derrière ce mur de terreur lucide totale, il y a pourtant tout un monde sensible qui s’agite et qui réfléchit intensément. Démarche qui fait précisément défaut à nos temps passés au désinfectant mental. Le propos incendiaire de Pascal Bouaziz se pose sur les musiques salement industrielles de Jean-Michel Pires. Cet attelage aux allures de fin d’un monde explore les angles morts, l’insupportable ou l’impensable. Comme un saut dans le vide, où toutes les certitudes s’écroulent sous nos yeux.
Le plus bouleversant, sans doute, dans ce disque, est que l’on en ressort dépouillé de ses convictions – Pascal Bouaziz se passant lui-même au tamis de la contradiction violente -, mais infiniment plus humain.
- Publication 1 947 vues29 août 2023
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