"> Institut - L'effet waouh des zones côtières - Indiepoprock

On a aussi écouté Institut – L’effet waouh des zones côtières

Institut écrit, depuis quelques albums déjà, une page sans doute essentielle de la pop française. On serait presque tenté de parler de post-pop, si les appellations et courants ne cachaient pas tant de facilités d’écriture.

Depuis que la pop, et le rock, sont débarrassés des impératifs de succès massif – le rap a pris ce triste relais – et qu’ils ne sont plus au centre de toutes les attentions, ils peuvent enfin s’exprimer pleinement. Et surtout expérimenter à peu près tout ce qui aurait fait fuir les marchands du temple. Et trouver ce qui les fera revenir, dès que le vent tournera.

En attendant, Institut balance ses chansons aux airs de bombes à fragmentation avec la froide détermination de tous les vrais désespérés. La poésie que l’on entend là est bien au-delà de la noirceur. Elle est bien pire que ça. Elle traque ses projecteurs sur la condition pathétique qui est la nôtre, dans une société d’enchaînés volontaires, et quasiment fiers de l’être.

Une société entièrement vouée à la technologie, pour le meilleur et le pire. Institut intervient dans ce mariage exactement comme le témoin gênant d’une union officielle. Qu’il est, habituellement, suicidaire de vouloir démonter.

Le matérialisme triomphant a ceci de diabolique, qu’il fonctionne en étouffant toutes les velléités de contestation, en les assimilant presque immédiatement. Le « tu as donc tu es » entraîne inévitablement la marginalisation de tous ceux qui le refusent, avec une efficacité redoutable.

Là où Institut se distingue d’une simple – et probable simpliste – critique, c’est qu’il se refuse à juger. La musique, mélancolique à l’extrême, rythmée, d’une beauté parfois renversante, est l’exact contrepied de textes ciselés et durs, d’une très grande puissance littérature.

Une littérature gorgée d’éléments politiques, publicitaires ou marketing. De ces sinistres éléments de langage, inondant les discours, les modes d’emploi divers et variés, les fiches de poste, les brochures et sites web. En quelques mots : à peu près tout ce qui a remplacé la pensée par la communication. Et l’altérité par l’agressivité sournoise de la possession de l’autre, jusqu’aux paysages.

Ce qu’Institut accompagne de sa musique lancinante, tranchante, sensible, c’est l’effondrement d’une certaine humanité. Où même le voyage, les relations amoureuses sont devenus les otages d’une sauvagerie bien organisée. A force de vider les lieux, les villes, les individus, de toute trace de profondeur véritable, on se jette, irrémédiablement, dans les bras d’une solitude globale, lentement destructrice.

Institut, avec la distance qui sied à ce climat ultra-fonctionnaliste, éclaire cruellement l’accident qui vient. Ou qui ne viendra pas. Nous condamnant à cette condition d’objet, à peine pensant. Nous réveillant, parfois, pour retrouver un peu le goût de l’existence dans tout son mystère. Avant de replonger dans le grand sommeil technologique et vibrionnant. Son affolante atrophie des sens – et ses corollaires : l’insatisfaction permanente, le goût des sensations fortes et du sexe triste ou violent.

En scannant aussi brillamment et lucidement l’époque,  Institut détourne la lumière de ces temps éclairés en permanence. Et nous lance à la figure, et à la conscience, les éclats d’une condition humaine réduite à des gestes et postures pré-programmés.

Cet effet-là à tout d’un disque absolument majeur.

Yan
Chroniqueur
Institut - L'effet waouh des zones côtières