Art Rock
Si les festivals d?été présentent des programmations souvent très proches (tournées obligent), Art Rock à St Brieuc parvient toujours à tirer son épingle du jeu. Ouvrant, comme chaque année, le bal des festival rock estivaux dans l?Hexagone, l?édition 2006 a encore permis de voir à l??uvre avant-gardes artistiques (arts numériques, danse, théâtre, dj set) et musiques populaires dans un assemblage des plus pertinents.
Vendredi 2 juin
Pas un hasard, dans ce cadre, que la première sensation du festival soit venue de l?américain Why ?, membre du label Anticon, et expert dans l?art du métissage sonore façon « folk-pop indie-pop », dixit Yoni Wolf, tête pensante du groupe. Ce dernier, chevelure épaisse et voix de redneck inimitable, prouve sur scène, toute la puissance mélodique de ses compositions. Avec un groupe réduit – Matt Heldon aux guitares et claviers et Doug Mc Diarmid, phénomènal à la batterie- Why ? tisse ses atmosphères en clair/obscur d?une voix juste et ciselée, sobre dans le jeu de scène, mais intense dans l?interprétation. Les parties instrumentales de l’album sont jouées live, sans grandes variations toutefois avec l’album, mais avec une énergie qui confère une dimension nouvelle aux morceaux de Why ? et un côté résolument plus pop, parfois à la limite de l?expérimentation. Après un rappel et une heure et quelque de concerts, Yoni et ses acolytes quittent la scène discrètement. Plus tôt, les californiens Black Heart Possession avaient, nous a-t-on dit, assuré un set propre et sans fioritures. Forcément un peu palot par comparaison. Et dans l?après-midi, Fun Lovin?Criminals, Fishbone, Cirkus (featuring Neneh Cherry) avaient, entre autres, ouvert les hostilités sans véritablement mettre le feu aux poudres.
A peine le temps de descendre une bière et John Lord Fonda, le dj dijonnais signé sur Citizen Records reprend les rênes de la soirée. Adepte des mélanges électro et rock cher à son comparse bourguignon Vitalic, il a pourtant du mal à désarçonner un public un peu amorphe. Le dj jouera une heure, pas une minute de plus, façon star des platines et sans grande conviction.
Samedi 3 juin
Le lendemain samedi, le soleil baigne la cité bretonne, et promet une journée aux accents électriques. Un petit passage par le Pavillon numérique, en plein centre St Brieuc, et à proximité des scènes, permet de se ressourcer devant une série d?animations numériques plutôt hypnotisantes. Dans l?entrée, le « Circle Mirror » happe le visiteur et reproduit sa silhouette dans un mimétisme déroutant. A l?étage du bâtiment, un public silencieux scrute un individu traçant des traits sur une palette, le tout produisant un filet de sons synthétiques bizarroïdes. En redescendant dans la cour, on tombe face à un écran-façade sur lequel sont projetées des images d?explosions atomiques aux sons sourds?Brutal retour à la réalité.
Les premières notes de la journée sont celles du multi-instrumentiste David Walters. Le Marseillais ouvre devant un public familial. Sa musique, bourrée d?influences diverses, de Bob marley et ses Wailers à l?afrobeat de Fela Kuti, s?avère plaisante. Virtuose passant d?un instrument à l?autre, Walters s?avère bon musicien mais le tout manque pourtant d?un brin de folie. On s?en extirpe, direction l?exposition « L?Art du rock » , superbe collection d?affiches rock sérigraphiées à l?effigie des White Stripes, Bowie ou Yeah Yeah Yeahs notamment. On s?y attarde avec délectation, tant ce genre de création est invisible en France. A tort.
Côté concerts, la soirée démarre véritablement avec l?entrée en scène des anglais de The Rakes, sous le chapiteau du Poulain Corbon. Des hordes de pré-ados squattent les premiers rangs. Sur scène, c?est à peine plus mature, raie sur le côté et polos ajustés de rigueur. La musique des Rakes, elle, n?a rien de juvénile, sauf dans l?énergie. Les Rakes bougent à peine sur scène, mais leur rock sec, tendu, a lui du feux dans les jambes. Du coup, ça slame de tous les côtés dans une frénésie rarement vue ! Un set correct et plutôt énergique même si le groupe manque un tantinet de présence. Pas grave, le public briochin n?en demande pas tant pour pouvoir slamer, encore et toujours.
Du slam, il y en aura aussi devant la prestation géniale d?humour et d?énergie du dandy parisien Philippe Katerine. Chemise rose et barrette à fleur de rigueur, titres puissants et décalés à la limite du dancefloor (« 100% VIP », « 78.2008 », « Borderline »), on découvre Katerine en véritable homme de scène. Hormis deux ou trois titres un peu plats, le concert est une vrai bouffée d?air frais et le second degré omniprésent s?avère particulièrement réjouissant.
A des années lumière de la dérision « katerinienne », les anversois de dEUS peuvent paraître taciturnes, mais ils n?en restent pas moins une valeur sûre. Leur entrée sur scène prouve, s?il en était besoin, la classe rare qui les caractérise, et le charisme phénoménal du leader Tom Barman. Alors que les slameurs fous se remettent en action, le groupe envoie la quasi totalité des titres de Pocket Revolution dans une intensité toute « deusienne ». Point d?orgue du set, l?imparable « Suds and Soda », titre qui dix ans après reste de toute évidence l?un de leur meilleur, provoque comme à chaque fois l? hystérie du public et ?. des apprentis slameurs briochins. Seul bémol dans un concert irréprochable : le son, poussé à des hauteurs insupportables pour les tympans et renvoyé par l?architecture métallique du chapiteau.
Le passage dans la foulée des Yeah Yeah Yeahs n?est pas pour changer la donne.
Mais Karen O suffit à capter l?attention pour ne plus la lâcher. Démarche de tigresse, tenue légère et argentée, maquillage inspiré de Ziggy Stardust, la New-Yorkaise est un vrai fauve de scène, toujours aussi agile quant il s?agit de chanter dans des positions improbables, avec d’ailleurs une justesse étonnante. Derrière, le son du groupe est énorme : les frappes heurtées et toute en contretemps du batteur, Brain Chase, et les torrents de guitares rugueuses de Nicolas Zinner sont un vrai choc. Un grand moment.
Le temps de se remettre en selle et une fin de soirée mythique se profile avec la venue des Happy Mondays, reformés depuis peu et avant-coureurs d?un album imminent. Groupe phare du label Factory mais toujours resté dans l?ombre des Joy division (et pour cause, puisqu’ils sont apparus après), les Happy Mondays demeurent pourtant parmi les meilleurs représentants du rock made in « madchester », ce mélange de new-wave, de rythmique dance et d?envolée rock. Il suffit de quelques instants et les premières mesures pour réaliser que, vingt ans après leur premier album, la magie décrite dans le film de Winterbottom, 24 hour party people réapparaisse sous nos yeux, et opère à nouveau. De la sueur, des guitares, un côté irrévérencieux, le temps ne semble pas avoir érodé la puissance émancipatrice de leur musique. L? emblématique chanteur et leader, Shaun Ryder, a lui aussi gardé sa gouaille d?antan mais paraît salement amoché par une consommation astronomique de drogues et d?alcools durant toutes ces années.
Qu?importe, le groupe prend visiblement du plaisir à se retrouver sur scène et l?inévitable Bez, poisson pilote de Ryder, absolument pas musicien mais membre à par entière du groupe, harangue le public et se donne sans compter, comme à son habitude, en bon chauffeur de scène. Derrière le groupe, toute une clique de groupi(e)s se déhanche sur le groove imparable du groupe. Au final, une heure et demi d?un concert miraculeux et un public heureux, voilà ce que les Happy Mondays sont parvenus à susciter. On fera l?impasse le lendemain sur la programmation quasi exclusivement réservée au label Tôt ou Tard (Jeanne Cherhal, JP Nataf?). Presqu?anecdotique finalement, à l?exception de Peter Van Poehl, programmé trop tard pour que nous puissions le voir, et des prestations de Lhasa, ainsi que d?Agnès Jaoui, malheureusement impossible d?accès.
Mais le plaisir fut de mise. Et parions qu?en 2007, Art Rock fera encore aussi bien.
Crédits Photo : Hervé LE GALL.
www.cinquiemenuit.com
Autres photos du festival :
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