Art Rock
Si les festivals d?été présentent des programmations souvent très proches (tournées obligent), Art Rock à St Brieuc parvient toujours à tirer son épingle du jeu. Cette année encore, ouvrant le bal des festival rock estivaux dans l?Hexagone, le festival briochin aura encore permis de voir à l??uvre avant-gardes artistiques (arts numériques, danse, théâtre, DJ set) et musiques populaires dans un assemblage des plus pertinents.
Vendredi 2 juin
Pas un hasard, dans ce cadre, que la première sensation du festival soit venue de l?américain Why ?, membre du label Anticon, et expert dans l?art du métissage sonore façon « folk-pop indie-pop » (sic!). Yoni Wolf, tête pensante du groupe et arrangeur de génie, chevelure épaisse et voix de redneck inimitable, prouve sur scène toute la puissance mélodique de ses compositions. En formation réduite – Matt Heldon aux guitares et claviers et Doug Mc Diarmid, phénomènal à la batterie- Why ? tisse des atmosphères en clair-obscur d?une voix juste et ciselée, sobre dans le jeu de scène, mais intense dans l?interprétation. Les parties instrumentales de l’album sont jouées live, sans grandes variations toutefois par rapport à l’album, mais prennent un accent résolument plus pop, toujours à la limite de l?expérimentation. Après un rappel et une heure et quelque de concerts, Yoni et ses acolytes quittent la scène discrètement. Trop court après un set aussi intense. Plus tôt, les californiens Black Heart Procession avaient assuré un set propre et sans fioritures. Forcément un peu palot par comparaison. Et dans l?après-midi, Fun Lovin? Criminals, Fishbone, Cirkus (accompagnés de Neneh Cherry) avaient ouvert les hostilités sans véritablement mettre le feu aux poudres.
A peine le temps de descendre une bière et John Lord Fonda, le DJ dijonnais signé sur Citizen Records reprend les rênes de la soirée. Adepte des mélanges électro et rock cher à son comparse bourguignon Vitalic, il a pourtant du mal à désarçonner un public un peu amorphe. Le DJ jouera une heure, pas une minute de plus, façon star des platines et sans grande conviction.
Samedi 3 juin
Le lendemain samedi, le soleil baigne la cité bretonne, et promet une journée aux accents électriques. Un petit passage par le Pavillon Numérique, en plein centre de St Brieuc et à proximité des scènes, permet de se ressourcer devant une série d?animations numériques plutôt hypnotisantes. Dans l?entrée, le « Circle Mirror » happe le visiteur et reproduit sa silhouette dans un mimétisme déroutant. A l?étage du bâtiment, un public silencieux scrute un individu traçant des traits sur une palette, le tout produisant un filet de sons synthétiques bizarroïdes. En redescendant dans la cour, on tombe face à un écran-façade sur lequel sont projetées des images d?explosions atomiques aux sons sourds?De retour de la 4è dimension numérique, brutal retour à la réalité.
Les premières notes de la journée sont celles du multi-instrumentiste David Walters. Le Marseillais ouvre devant un public familial. Sa musique, bourrée d?influences diverses, de Bob Marley et ses Wailers à l?afrobeat de Fela Kuti, s?avère plaisante à souhait, mais le tout manque pourtant d?un brin de folie. Sa virtuosité à passer d’un instrument à l’autre est toutefois impressionnante. On s?en extirpe, direction l?exposition « L?Art du Rock » , superbe collection d?affiches rock sérigraphiées à l?effigie des White Stripes, Bowie ou Yeah Yeah Yeahs notamment. On s?y attarde avec délectation, tant ce genre de création est invisible en France. A tort.
Côté concerts, la soirée démarre véritablement avec l?entrée en scène des anglais de The Rakes, sous le chapiteau du Poulain Corbon. Des hordes de pré-ados squattent les premiers rangs. Sur scène, c?est à peine plus mature, raie sur le côté et polos ajustés de rigueur. La musique des Rakes, elle, n?a rien de juvénile, sauf dans l?énergie. Le groupe bouge à peine sur scène, mais son rock sec et nerveux a lui du feu dans les jambes. Du coup, ça slamme de tous les côtés dans une frénésie rarement vue ! Un set correct et plutôt énergique même si le groupe manque un tantinet de présence. Pas grave, le public briochin n?en demande pas tant pour pouvoir slammer, encore et toujours.
Du slam, il y en aura aussi devant la prestation géniale d?humour et d?énergie du dandy parisien Philippe Katerine. Chemise rose et barrette à fleur de rigueur, titres puissants et décalés à la limite du dancefloor (« 100% VIP », « 78.2008 », « Borderline »), on découvre Katerine en véritable homme de scène. Hormis deux ou trois titres un peu plats, le concert est une vrai bouffée d?air frais et le second degré omniprésent s?avère particulièrement réjouissant.
A des années lumière de la dérision « katerinienne », les anversois de dEUS peuvent paraître taciturnes, mais ils n?en restent pas moins une valeur sûre. Leur entrée sur scène prouve, s?il en était besoin, la classe rare qui les caractérise, et le charisme phénoménal du leader Tom Barman. Alors que les slammeurs fous se remettent en action, le groupe envoie la quasi totalité des titres de Pocket Revolution dans une intensité toute « deusienne ». Point d?orgue du set, l?imparable « Suds and Soda », titre qui dix ans après reste de toute évidence l?un de leurs meilleurs, provoque comme à chaque fois l? hystérie du public. Seul bémol dans un concert irréprochable : le son, poussé à des hauteurs insupportables pour les tympans.
Le passage dans la foulée des Yeah Yeah Yeahs n?est pas pour changer la donne. Mais la présence de Karen O suffit à détourner l’attention. Démarche de tigresse, tenue légère et argentée, maquillage inspiré de Ziggy Stardust, la New-Yorkaise est un vrai fauve de scène, toujours aussi agile quant il s?agit de chanter dans des positions improbables, avec d’ailleurs une justesse étonnante. Derrière, le son du groupe est énorme : les frappes heurtées et toute en contretemps du batteur, Brain Chase, et les torrents de guitares rugueuses de Nicolas Zinner sont un vrai choc. Un grand moment.
Le temps de se remettre en selle et une fin de soirée mythique se profile avec la venue des Happy Mondays, reformés depuis peu et avant-coureurs d?un album imminent. Groupe phare du label Factory, les Happy Mondays demeurent parmi les meilleurs représentants du rock made in « Madchester », ce mélange de new-wave, de rythmique dance et d?envolées rock. Il suffit de quelques instants et les premières mesures pour réaliser que, vingt ans après leur premier album, la magie décrite dans le film de Winterbottom, 24 Hour Party People réapparaisse sous nos yeux, et opère à nouveau. De la sueur, des guitares, un côté irrévérencieux, le temps ne semble pas avoir érodé la puissance émancipatrice de leur musique. L? emblématique chanteur et leader, Shaun Ryder, a lui aussi gardé sa gouaille d?antan mais des années de consommation effrénée de drogues et d’alcool ont laissé des traces.
Qu?importe, le groupe prend visiblement du plaisir à se retrouver sur scène et l?inévitable Bez, poisson pilote de Ryder, absolument pas musicien mais membre à par entière du groupe, harangue le public et joue à fond son rôle de chauffeur de scène. Derrière le groupe, toute une clique de groupi(e)s a investi la scène et danse dans une atmosphère festive. Au final, et après une heure et demie d?un concert miraculeux, les Happy Mondays ont largement réussi leur retour et conquis un public pas forcément acquis d’avance, grâce à une énergie incroyable.
Nous n’avons pas assisté aux concerts du lendemain, quasi exclusivement réservés au label Tôt ou Tard (Jeanne Cherhal, JP Nataf?). Mais le plaisir fut de mise durant ces deux jours. Et parions qu?en 2007, Art Rock fera encore aussi bien.
Crédits Photo : Hervé LE GALL.
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Autres photos du festival :
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