Interview de Arnaud Fleurent-Didier
Sans demander son reste, Arnaud Fleurent-Didier nous a offert un des disques phares de l’année 2004, catégorie poids plume de la chanson française. Il revient pour nous sur cet album magique et nous annonce par la même occasion la venue de « Mémoires d’une jeune fille chantés ». Retour entre autres sur sa collaboration avec le romancier Dag Johan Haugerud et sur son titre « Un monde meilleur… », basé sur un discours de Villepin.
Voilà plus d’un an que ton album, « Portrait du jeune homme en artiste », est sorti. Que s’est-il passé depuis ?
Ce disque m’a donné un petit coup de vieux. Des gens l’ont écouté, j’ai joué ces chansons sur scène, j’ai eu des retours. L’album existe, je m’en suis un peu détaché. Je le considère objectivement, plus les gens m’en parlent, comme le disque d’un autre. Il a des défauts, mais j’ai la satisfaction d’être allé au bout de ce que je pouvais faire.
Tu es à peu près derrière tous les instruments de cet album. As-tu reçu une formation musicale particulière ? Je trouve que tu es très doué à la basse.
J’ai étudié un peu le piano et pris quelques cours de violon. Je ne suis pas un bon soliste, mais un peu touche à tout. La basse, c’est l’instrument qui me procure le plus de plaisir dans le jeu. Elle est souvent décisive dans le travail sur un morceau, mais on la remarque surtout parce qu’elle est mixée un peu fort dans les chansons.
Benoît Rault (Ben’s Symphonic Orchestra) apparaît à la flûte sur quelques-unes de tes chansons. Comment vous êtes vous rencontrés ? Vous avez tous les deux une façon très posée voire nonchalante de développer votre musique, tu ne trouves pas ?
Peut-être que tu as raison pour cette image de nonchalance, dans la musique du moins. Pourtant je peux t’assurer que c’est plus compliqué que ça, je le vois souvent très préoccupé par sa musique. C’est l’un des rares vrais musiciens que je connaisse. Il écoute vraiment, il sent les sons, il travaille et fait des choix (pour placer un micro par exemple) sans parler, sans se justifier… Mais, je ne comprends pas toujours ce qu’il fait. On s’est côtoyé d’abord en tant que beaux-frêres, la musique est venue après.
Dans Rock Critique, tu t’appesantis sur des nouveautés musicales décevantes. As-tu des artistes ou des styles précis en tête à ce propos ? Tu te moques également un peu de la musique électronique…
C’est le genre dans son ensemble qui me dégoûte par moment. Plus jeune j’avais une vraie attente, j’avais besoin qu’on me parle. Aujourd’hui, c’est moins grave. La production est toujours aussi décevante, je trouve quelques petites choses de temps à autre dans une marée de choses inutiles. A l’époque où j’ai écrit Rock Critique, les stars de la musique électronique m’agaçaient beaucoup, je les côtoyais un peu sans rien comprendre à leur démarche opportuniste, à leurs projets dans lesquels je ne me reconnaissais pas. Aujourd’hui je ne m’y retrouve pas plus, mais je les comprends un peu mieux. J’en vois en faire leur métier (…) et puis cette diversité n’est pas la pire des choses, comprendre la musique populaire a juste moins d’importance pour moi.
En vieillissant peut-être me fait beaucoup penser à la chanson Zangra de Brel, où un colonel attend toute sa vie un ennemi qui ne vient pas. C’est comme une ode à la vie au jour le jour voire une mise en garde contre les projets d’avenir foireux…
C’est une chanson de jeune idéaliste, un peu naïve (…) mais qui me plaît encore. Cela me fait plaisir et me surprend quand on m’en parle. Et ta comparaison d’autant plus. Parce que Brel au moins raconte l’histoire d’un personnage, il n’a pas besoin d’autofiction pour m’intéresser.
Ton disque dort-il toujours et es-tu réellement une star au Japon ? Il est vrai que tu as sorti ton premier album chez un label japonais…
Maintenant, le temps a passé. Il dort peut-être un peu, mais je crois qu’il a compté pour certains car on revient dessus. En tout cas, j’en vois les signes et je ne pouvais rien souhaiter de mieux. Sinon, au Japon, trois albums et deux singles sous les noms de Notre-Dame et Ema Derton sont sortis en huit ans. « Chanson Françaises » a bien marché, en 99 je crois. Mais c’est quand même toujours resté underground « frenchy ». Et je crois que le vent a tourné, la chanson française y a moins la cote. Alors, on verra.
J’ai écouté ta chanson « Un monde meilleur… », où tu remixes un discours de Villepin prononcé lors d’une réunion du conseil de l’ONU, il y a deux ans. Quel était le but de cette démarche ? La politique ne t’ennuie pas tant que ça finalement ?
C’est justement parce que d’ordinaire la politique m’ennuie que ce discours m’a secoué. La prestation de Colin Powell était aussi impressionnante et machiavélique. En France, peu de gens ont vraiment vu la chansonpoche, et peu ont compris ce qu’il y avait derrière le titre « Un monde meilleur… ». On a préféré penser : « Tu te rends compte, ce type est de droite ». Et dans la musique, c’est grossier de mettre en scène un politique sans se foutre de lui. On m’a traité de fan de Villepin ; celui-ci apparemment a mieux compris la chose, ainsi que – j’espère – Colin Powell, qui devait recevoir la chansonpoche, lui aussi. En tous cas son mea culpa médiatisé le mois dernier m’a touché.
Tu as signé la bande originale d’un film adapté d’un romancier norvégien, Dag Johan Haugerud. Peux-tu nous en dire plus sur cette aventure ?
Dag Johan Haugerud est venu en France il y a un an pour la sortie de la traduction d’un de ses romans. Il a acheté le « Portrait du jeune homme en artiste » juste parce qu’il aimait la pochette (c’est ce qu’il m’a dit). Six mois plus tard, il m’a écrit une gentille lettre pour m’expliquer que le disque l’avait accompagné pendant plusieurs mois et qu’il tenait à ce que je compose la musique de son prochain film. Il m’était totalement inconnu, son cinéma aussi. Mais son script, dont il m’a envoyé une traduction, m’a plu tout de suite. Une question de point de vue, de mise en scène de ses interrogations et de ses espoirs, qui m’a fait penser à certains textes de mon disque finalement. Alors qu’il m’a assuré n’avoir rien compris. Bref c’était bon signe.
J’ai fait une musique originale et ré-arrangé un instrumental sur le thème d’une chanson plus vieille, Chanson française. On s’est pas toujours bien compris, j’ai fait un contresens, mais on est arrivé assez vite à un résultat qui a plu à Dag Johan. La première était émouvante, tout le monde paraissait très content de cette musique « so frenchy ».
Quels sont tes projets actuels ?
J’aide French Touche à mettre mes morceaux et ceux d’autres artistes en ligne. Je finis la musique d’un autre film de Dag Johan et un nouvel album, « Mémoires d’une jeune fille chantés », devrait sortir bientôt.
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