Interview de Bertrand Betsch
Rencontré lors de son concert barcelonais au festival Primavera Sound, Bertrand Betsch a sympathiquement accepté de répondre à nos questions par mail. On parle ici de son dernier album, l’excellent « Pas de bras, pas de chocolat », de son rapport à la scène, de ses goûts et de la vie en général.
Ton dernier album est très arrangé mais, sur scène, tu as opté pour une formation minimaliste plus acoustique, pourquoi ?
Il est impossible de reproduire en concert les arrangements du disque, à moins d’être une dizaine de musiciens sur scène. Par ailleurs je n’ai jamais été intéressé par le fait de reproduire sur scène un disque. Pour ma part je me fais toujours chier lorsque je vois sur scène (spécialité anglo-saxonne) un groupe reproduire note pour note l’album dont ils font la promotion. Pour moi donner un concert n’est pas un acte promotionnel. C’est avant tout offrir un spectacle vivant. « Vivant » implique la notion de changement, d’évolution, voire de surprises. Partant de cette optique je m’arrange toujours pour que le set que je joue avec mon groupe comporte à la fois des morceaux de chacun de mes différents albums dans des versions remaniées, des reprises et des inédits que je teste sur scène en prévision de l’enregistrement de mes futurs albums. Par ailleurs je prends soin d’être entouré de musiciens créatifs qui, d’une prestation à l’autre, varient systématiquement les arrangements qu?ils proposent. Ainsi nous évitons la routine au risque cependant, il est vrai, de donner des concerts parfois un peu inégaux en terme de qualité (mais c’est là la règle de l’inspiration) et pas toujours très carrés. Cela étant dit, nous ne sommes pas des machines et assumons parfaitement notre côté dilettante. Dernière chose : je suis et resterai toujours un adepte du minimalisme (un des albums qui m’a le plus marqué ces dernières années est le disque de Cat Power, « You are free »). D’ailleurs, j’envisage à l’avenir d’enregistrer des disques plus dépouillés que mon dernier album, ce qui va de pair avec l’évolution de mon écriture qui va de plus en plus vers l’épure et la simplicité.
En concert, tu fais une reprise du « Bang bang » de Nancy Sinatra, en français. Est-ce toi qui a écrit l’adaptation du texte ?
« Bang Bang » n’est pas, à ma connaissance, une reprise de Nancy Sinatra mais de Sonny and Cher. La version que je propose sur scène est celle interprétée en français par Sheila dans les années soixante.
Sur ton site internet, on peut télécharger des remix inédits de tes morceaux gratuitement. Quel est ton point de vue sur le téléchargement gratuit sur internet ?
Je suis très partagé sur la question concernant le téléchargement de morceaux sur Internet. Mon sentiment général est qu’on ne pourra jamais faire totalement l’économie de l’objet disque de la même façon que l’objet livre reste incontournable. Il est vrai aussi que je suis très matérialiste et que je collectionne les disques, les livres, les cassettes vidéo, etc. Je ne me résout pas à vivre dans un monde virtuel et dématérialisé.
Sur ton site encore, tu donne une liste des artistes que tu aimes et qui t’ont influencé mais, fait plus rare, tu donnes aussi des noms de personnes dont tu n’apprécies pas le travail. Qu’est-ce qui ne te plait pas, par exemple, chez Woody Allen, les artistes arborant les mêmes initiales que toi (comme Brigitte Bardot ou Benjamin Biolay donc) ou encore Tom Cruise ?
On ne peut aimer qu’à proportion de ce que l’on déteste. C’est pourquoi sur mon site je cite essentiellement les artistes que j’aime mais fait figurer également certains que je n’aime pas. Nos goûts sont, je crois, gouvernés par nos dégoûts, et inversement. Il est donc juste de se définir à la fois par ce que l’on aime et par ce que ce que l’on n’aime pas. Woody Allen par exemple ne me fait plus rire depuis au moins dix ans. Il ressasse systématiquement la même formule, à savoir la mise en scène de ses petites névroses et de son pathétique égotisme. Pour ce qui est d’Almodovar, j’estime que ce n’est tout simplement pas un cinéaste mais un être vulgaire et malsain qui propose une série de scénettes pompières et très surestimées. Quant à Tom Cruise c’est tout simplement le plus mauvais acteur de tous les temps, en atteste par exemple sa prestation catastrophique dans « Eyes Wide Shut », de Stanley Kubrick. En plus de ça il est tout petit. Pour ce qui est des artistes arborant les initiales B.B. c’est plutôt une blague même s’il est vrai que l’idée qu’un artiste puisse porter les mêmes initiales que moi m’est assez insupportable tant je me sens un artiste unique.
Sur ton site encore et toujours, tu publies chaque mois une nouvelle. Espères-tu un jour publier ton travail d’écriture ?
Oui j’espère bien publier un jour mon travail littéraire. J’ai en stock une dizaine d’ouvrages en tous genres prêts à voir le jour seulement je n’ai pas encore trouvé l’éditeur que cela pourrait intéresser.
J’ai noté que le thème de l?enfance était assez récurrent sur l’album « Pas de bras, pas de chocolat » : les titres de chansons Pas de bras, pas de chocolat et Tournicotons, le texte des Petits mammifères, ou encore certaines phrases des Gens attendent et de Temps beau. Est-ce là un thème qui te tient particulièrement à coeur ?
L’enfance est effectivement un thème récurrent dans mes chansons. Non pas que j’aime les enfants (à dire vrai je ne les aime pas beaucoup), non pas non plus que je sois assailli par des souvenirs d’enfance (je souffre d’amnésie infantile), mais je reste attaché à un certain état d’enfance (sans doute largement idéalisé), lequel se détermine par une certaine insouciance, le goût immodéré du jeu, une énergie inépuisable, un psychisme pratiquement vierge de toute blessure et l’ignorance totale de ce qui nous attend plus tard, à savoir le naufrage de l’individu pénétrant de plein pied dans l’âge adulte, le déclin de son corps et la fragilisation de son état mental. D’où l’intérêt d’essayer de préserver en soi des bribes d’enfance afin d’égayer un peu le cauchemar de l’âge adulte. Et d’où la présence dans mes chansons d’allusions un peu fantasmées au thème de l’enfance (notamment dans Les petits mammifères).
Une des plus belles chansons de ton dernier album est L’ancienne peau, qui traite de la vieillesse. Elle semble très juste et c’est très étonnant de la part de quelqu’un qui n’est pourtant pas vieux. Peux-tu nous en dire plus à ce sujet ?
L’ancienne peau ne parle pas spécifiquement de la vieillesse mais plutôt de l’évolution sournoise de notre personne qui se fait généralement à notre insu. Cette chanson évoque ces moments où l’on se retourne sur son passé et où l’on prend conscience que quelque chose a changé, que des pans entiers de réalité ont glissé, que nous sommes différents de ce que nous étions avant, que le monde qui nous entoure a muté, que ce l’on pensait être encore d’actualité a versé irrémédiablement dans les limbes du passé, que nos vieilles amours sont mortes, que les amis sont partis, que la fête est finie, que le reflet de notre visage dans la glace s’est transformé au point même que l’on considère parfois celui qui nous fait face comme un étranger, que du temps a filé, que nos perceptions ne sont plus les mêmes, que nous ne sommes plus le même (et qui sommes-nous donc à présent, où est passé l’enfant, l’adolescent que nous étions, sommes-nous enfin devenus adultes et à quel prix ?) et que nous nous sommes irrémédiablement engagés sur la pente de la tristesse sénescente (surtout passé le cap des trente ans).
Penses-tu, comme Dominique A, que « l’amour est très surestimé » ?
Non, contrairement à Dominique A., je ne pense pas que l’amour soit très surestimé. Pour ma part c’est même la seule chose qui me maintienne en vie même si cette chose est parfois très douloureuse. L’amour est donc tout sauf surestimé. Je dirais même qu’il ne l’est pas encore assez, puisqu’il est à la fois notre plus grande source de bonheur et un creuset inépuisable d’atroces souffrances. L’amour nous tue et nous fait renaître tout à la fois.
Tu a l’air d’être un inconditionnel de Leonard Cohen, pourtant j’ai du mal à entendre son influence sur ta musique. Ai-je tort ?
J’adore Leonard Cohen, cela étant dit, il y a un gouffre entre ce que je fais et ce que j’écoute. Je ne saurais pas expliquer pourquoi. D’une manière générale je n’ai jamais subi d’influences directes. Chez moi, le mélomane et le songwriter sont deux individualités bien distinctes. Je suis d’une façon générale quelqu’un de très schizé.
Les ventes de tes premiers disques n’étaient pas incroyables. Comment trouve-t-on la force de se remettre quand même au travail pour un nouvel album ?
Les ventes de mes disques ne sont pas terribles mais je ne me pose pas trop de questions dans la mesure où écrire des chansons est à peu près la seule chose que je sache faire. Je ne gagne pas beaucoup d’argent, je vis dans l’inconfort et dans la peur de l’avenir sur le plan de ma survie économique. Cependant j’ai la chance de faire un métier qui me passionne et cela est un luxe sans équivalent.
Quels sont tes projets ?
Mes projets ? Enregistrer mon quatrième et mon cinquième album dont je viens de présenter les projets à ma maison de disques. Enregistrer un album que j’ai composé pour ma compagne, Nathalie Guilmot, et dont elle a écrit les textes. Par ailleurs je travaille sur mon premier roman et j’espère bien le voir publié avant ma mort, si toutefois cela intéresse quelqu’un.
Pour reprendre une question du fameux questionnaire de Sophie Calle et Grégoire Bouiller, « sous quelle forme aimeriez-vous revenir ? »
Je n’aimerais pas revenir sur terre. La condition humaine me dégoûte et je crois avoir eu mon lot de souffrances. Cela dit, à l’instar de Michel Houellebecq, je mise beaucoup sur le clonage humain et ne désespère pas complètement sur le fait que l’on puisse améliorer l’espèce humaine, notamment en éradiquant les gènes anxiogènes, ceux générant la perte des cheveux, la prise de poids, la neurasthénie, la laideur, la violence, l’aliénation mentale, la dépression, etc. Si jamais l’humanité allait dans le sens que je viens d’indiquer, alors peut-être envisagerai-je de reprendre du service.
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