"> Interview de Catherine Watine - Indiepoprock

Interview de Catherine Watine

Interview de Catherine Watine

"La musique minimaliste me convient parfaitement bien car j’aime cette simplicité des thèmes qui se répètent en apportant à chaque fois un infime développement qui les mettent en relief"

Avec « Intrications Quantiques », Catherine Watine s’échappe encore un peu plus d’une vision formatée, pour s’épanouir dans un état de composition totalement décloisonné. Le piano demeure, plus que jamais, central, mais s’élève, comme porté par des éléments que l’on dira électro, pour garder intacte la magie d’un processus infiniment précieux. Des éléments éloignés que la musicienne combine pour créer des morceaux, aux allures de systèmes uniques d’une beauté foudroyante.

Elle démontre ainsi que les notes sont, dans son esprit et son laboratoire sonore, des objets superbement intriqués. Après un voyage de l’organique – de ce Pleyel classique comme une extension d’elle-même – à l’univers numérique d’un clavier électronique.

Ce qui résulte de cet enchevêtrement est tout simplement exceptionnel et rapproche définitivement Catherine Watine de ses modèles. Et représente sans doute ce que la musique dite actuelle peut faire de mieux, de plus novateur et de plus remuant. C’est dire l’honneur et le plaisir que nous avons eu à l’interviewer. 

 

Depuis les « Géométries Sous-Cutanées » tu as basculé dans une dimension totalement hors-norme. De la pop indépendante à la musique contemporaine. C’est un parcours musical, en France, atypique et remarquable. Comment s’est opérée une telle évolution ?

A vrai dire, je n’avais rien prémédité. Tout est parti de l’instant où j’ai voulu remonter ma station de MAO (LOGIC PRO) fin 2016.  Je l’avais descendue et dans les Landes en 2014, pensant y séjourner plus souvent, mais finalement de trop courts séjours ne m’avaient jamais permis de travailler sur place.

Une fois la station remontée, j’ai eu l’envie de voir où en étaient mes connaissances pratiques (auparavant, je ne m’en servais que pour réaliser les maquettes d’album que je donnais ensuite à réaliser.). J’ai appelé un ami ingénieur du son qui travaille aussi sur ce logiciel et il m’a fait une formation rapide de quelques heures pour que je reprenne quelques réflexes.

J’ai alors décidé d’ouvrir une session « brouillon » et d’utiliser toutes les possibilités qui m’étaient offertes. J’ai enregistré mon piano PLEYEL, j’ai découpé d’anciennes chutes audio, et j’ai ensuite travaillé avec mon clavier-maître. Je suis allée chercher des sons industriels sur une banque de Sons achetée chez NATIVE Instruments, que j’ai montés note par note, j’ai joué des développements aux cordes (violoncelle, violon) et d’autres claviers qui interviennent dans le titre, puis d’autre idées me sont venues, j’ai enregistré à l’iPhone des choses de mon appartement, j’ai ouvert mon micro pour enregistrer d’autres sons. Puis, à l’écoute de cette « encore maquette brouillon »  je me suis dit qu’il manquait la dimension du chant, et j’ai décidé d’enregistrer ma voix (je précise que je ne lui avais pas encore donné de nom à ce stade). J’avais en tête cette phrase : La vie m’échappe, mais la vie m’est chère…Le titre terminé faisait environ 15 minutes.

Ce fut donc JETLAG qui clôture l’album Géométries sous-cutanées.

Enhardie par cette expérience où pour la première fois, j’avais envisagé de faire une composition orchestrée, tout s’est déroulé ensuite.  J’ai pris la décision de continuer cette expérience sans savoir encore qu’il allait en résulter un album entier, puis l’envie d’en faire une trilogie. Ce qui est parfaitement incroyable, c’est que j’ai le souvenir d’avoir toujours voulu être chef d’orchestre quand j’étais petite…

 

Comme de nombreux musiciens exigeants tu es, semble-t-il, davantage reconnue à l’étranger – notamment dans le monde anglo-saxon – qu’ici. Comment expliques-tu cela ? Par la passion que les américains ont toujours manifestée pour les musiques d’avant-gardes ?

Je crois tout d’abord que nul n’est prophète en son pays, et que la distance apporte une forme de respect supplémentaire envers une personne qui crée de la musique ou toute autre forme de création d’ailleurs.

Je crois ensuite que c’est la rencontre avec l’extraordinaire petit label TIME RELEASED SOUND (Alameda – Californie) qui m’a permis cette reconnaissance. En effet, grâce à eux, l’album a été écouté chez NPR, la radio nationale américaine. Ils ont, contre toute attente (la mienne du moins) plébiscité l’album, en me faisant l’immense honneur de m’intégrer dans un podcast  dédié à Mark HOLLIS.

Il y a eu en fait 2 émissions dont une en hommage à John PEEL (une émission écoutée dans le monde entier), est-ce cela ensuite qui a fait connaître l’album dans d’autres pays ? Sans doute, j’ai reçu plusieurs liens de podcasts d’un peu partout…Il est vrai que depuis, le cercle s’est considérablement agrandi, et j’ai des connexions suivies avec plusieurs personnes que ce soit en Australie, en Russie, en Allemagne, aux Pays-Bas, et même en Roumanie, où j’ai figuré en bonne place dans un TOP. Est-ce vraiment une musique d’avant-garde ?

Peut-être dans sa non-forme apparente ?

 

Ton répertoire ne cesse de s’élever et d’investir le champ de la musique classique contemporaine, tout en gardant des attaches avec ton savoir-faire pop. Est-ce pour symboliser la dimension spirituelle de l’existence et ses « contraintes » plus matérielles ? Cette confrontation crée en tout cas une magnifique – magnétique même – tension dans ta musique…

La musique minimaliste me convient parfaitement bien car j’aime cette simplicité des thèmes qui se répètent en apportant à chaque fois un infime développement qui les mettent en relief. Ensuite, j’adore reproduire une sorte d’univers sonore familier et cet univers vient en résonnance avec une attitude généralement plus spirituelle en effet, le besoin d’un expression vraie, instinctive. Là, j’exerce ma curiosité  et j’enregistre tout ce que je peux capter d’intéressant. Du plus humble au plus tonitruant, du plus agressif au plus harmonieux, les bruits de la vie, qu’ils soient industriels ou de la nature ou encore des sons que je fabrique en utilisant des objets, je les sens faire partie d’un tout qui ordonne la sensibilité sonore. Tout ce travail me passionne, mais il me faut apporter aussi cette petite mélodie de piano, je sais qu’elle va humaniser la composition, la rendre émotionnelle, et c’est tout ce que j’aime, trouver l’émotion, la vibration. Ensuite, je me laisse porter, j’écoute beaucoup mon travail lorsqu’il est en cours. C’est la nuit que je peux distinguer les correctifs que je peux y apporter. Dans la journée, il y a trop de distraction, et je ne peux être aussi réceptive. Me voir associée à quelques noms de compositeurs néo-classique contemporains, qui font partie de mon panthéon, est un honneur immense que je n’ai pas l’impression du tout de mériter. Mais, je ne boude pas mon plaisir d’être dans leurs antichambres.

 

Ta musique a pris toute la place sur ces albums, au point que ta voix a presque totalement disparu ? Cet effacement, au profit de la seule musique, est-il volontaire et réfléchi ou s’est-il imposé inconsciemment au fil de la composition ?

Totalement inconsciemment, mais sans doute là encore, parce que la place ne s’y imposait pas sur les derniers albums. Il n’en reste pas moins que j’ai quelques compositions notées dans un coin, musiques et textes, et si je dois les mettre au jour, je m’attacherais à prendre des collaborations, car définitivement le pas est franchi au profit d’une musique instrumentale. Mais j’aime écrire et j’aime réciter mes textes, donc il n’est pas impossible non plus que j’y revienne. Je n’en connais pas encore la forme. Il y a eu cette collaboration pour 2 albums sous l’entité PHÔS qui m’a donné le goût de l’écriture pour une musique, et non l’inverse ce qui est généralement le cas.

 

Les « Intrications Quantiques » auront-elles une suite ? Et selon le même processus de composition ?

Oui j’ai annoncé une trilogie, et je suis en train de travailler ce 3e album. Je lui ai donné un nom provisoire qui sera peut-être le définitif. Cela me donne une direction.  Je l’ai appelé OUT OF BOUNDARIES… J’essaie pas mal de choses, pour aller encore plus loin dans l’émotion.  Difficile de savoir où je vais arriver, mais oui, j’y travaille ardemment. Et si tout va bien, la sortie sera pour 2021, sans doute avant l’été.

 

Tu es également active dans PHÔS, dont le prochain album s’annonce aussi exceptionnel. Là, tu n’es plus seule maître à bord et retrouve à la fois ta voix et tes mots. Au service d’une musique aux accents expérimentaux, mais nettement plus rock et bruitiste. Est-ce que cette expérience influe sur ton propre travail de compositrice ?

J’ai évoqué ce duo dans une question précédente.  Je suis entièrement au service de la musique que me propose Intratextures. C’était le deal entre nous dès le début. Après un premier album rock indé que l’on peut qualifier de très abordable, Intra a voulu livrer une musique qui est totalement sienne, très bruitiste avec beaucoup de feedbacks, mais aussi des guitares hurlées ou des basses bien dessinées ainsi qu’une programmation très précise de batterie, et des claviers sur lesquels il s’est vraiment penché comme un compositeur.  J’aime énormément ce qu’il a livré pour ce 2e album DISPARITION (sortie le 29 octobre prochain).  Là où la tâche est difficile pour moi, c’est qu’il n’y a pas vraiment un espace défini où poser les mots. Alors, je commence par écouter des dizaines de fois, jusqu’à trouver les séquences où je vais pouvoir poser ma voix. Selon les cas je sais que le texte sera très court, ou à l’inverse plus descriptif. J’imagine un paysage, une sensation, une situation, un début, une chute, ce que je veux dire, ce que je veux transmettre, et je prends mon stylo et du papier que j’emporte d’une pièce à l’autre avec les écouteurs aux oreilles. Je note, je rature, et puis vient le moment où je peux dérouler le fil. C’est une expérience passionnante et j’aimerais pouvoir la renouveler. A priori, il n’y aura pas de 3e album, mais comme il ne devait pas y en avoir de 2e, sait-on jamais ! Par contre, non, sa musique n’influence pas du tout mon travail de composition qui se déroule d’une manière très différente. Il utilise très peu de field recordings, ce que l’on en entend sur l’album vient de mes propres enregistrements. Il ne bâtit pas de mélodie cœur du titre, il a des montées phénoménales de guitares, tout cela n’est pas ma forme de composition, et c’est tant mieux que nous suivions chacun notre instinct.

Yan
Chroniqueur
  • Date de l'interview 1 239 vues 2020-10-18
  • Tags Catherine Watine
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