Interview de Docks
Le fait de ne pas chanter nous permet de ne pas être associés à une culture musicale nationale plutôt qu’à une autre
Basés depuis des années à Toulouse en tant que dessinateurs et graphistes indépendants, Manon et Daniel ont crée le groupe instrumental Docks en 2017 avec leurs guitares et une batterie électronique. Le 19 octobre prochain, ils sortent un second EP, Ballast, avec six titres qu’ils ont pu expérimenter sur scène le printemps dernier lors d’une tournée d’une dizaine de dates en France. Rendez-vous sur la plateforme Bandcamp pour commander les deux k7 du groupe, car à l’heure du vinyle à plus de 20€ et de la survie difficile des disquaires indépendants, un réseau de distribution sur internet existe. D’ailleurs, Manon gère le label Hidden Bay Records avec Cécile, une autre passionnée de la musique alternative, qui sort exclusivement des nouveaux groupes sous le format k7. En piste.
Salut les Docks, d’où vient ce choix de se lancer dans la musique instrumentale ? Quels artistes vous ont inspirés dans cette voie ?
Manon: Ce n’était pas un choix au départ. On a commencé à composer à la guitare et les mélodies auraient rendu une ligne de chant assez redondante. Les contraintes sont différentes, ça nous permet de nous éloigner des structures couplet/refrain.
Daniel: On s’est aussi posé la question de la langue, vu que l’anglais est ma langue maternelle. Finalement, le fait de ne pas chanter nous permet de ne pas être associés à une culture musicale nationale plutôt qu’à une autre. Dans les groupes qui ne chantent pas ou peu, on aime bien Bedhead ou Mogwai, les BO de Yo La Tengo, et puis la musique électronique.
J’ai écouté les nouveaux morceaux et il y a une ambiance différente, plus posée dans le sens où vous prenez le temps de laisser monter la tension par rapport au premier EP. Est-ce une évolution réelle et/ou ressentie ?
Daniel: On a joué les morceaux du deuxième EP un paquet de fois en live avant de les enregistrer, du coup on a eu le temps de les peaufiner un peu plus. Et vu que c’est notre deuxième sortie, on arrive sans doute mieux à concrétiser ce qu’on a envie de faire au niveau de la composition.
Manon: Ceci dit, à l’échelle de l’EP, on laisse redescendre la tension avec le titre final, Pan bleu.
Comment s‘est passé l’enregistrement de l’EP ?
Manon: Nous avons enregistré les deux EP dans le studio de Xavier Nadal (du groupe Grushenka) près de Barcelone, Binary Emotions. C’est un très bon ami à nous, qui voit toujours clairement là où on veut aller. Nous enregistrons en conditions live et pour ce nouvel EP nous avons pris le temps de rajouter des overdubs, avec une guitare douze cordes, un synthé…
Daniel: Ensuite Xavier s’occupe du mix, on fait un ping-pong par internet avec nos impressions, des parties de batterie etc, puis il s’occupe du mastering.
Qui joue de la batterie sur le disque et comment le reproduire sur scène ?
Daniel: On compose nos batteries à la main sur ordinateur avec les pads d’un contrôleur USB, ensuite on les exporte et on les stocke en mémoire sur une pédale de loop pour les lancer en concert.
Manon: On veut justement s’éloigner des sons de batterie réalistes.
Daniel: On aime bien le son des batteries électroniques et on trouve que ça fait un bon contraste avec nos guitares plutôt chaudes.
Je sais que Manon publie un fanzine, et que Dan est un dessinateur de BD, quelle est l’importance du visuel dans votre projet ? Et pourquoi le sortir sur un label américain ?
Daniel: J’ai monté Les Machines, une maison d’édition de BD DIY avec des amis aux Beaux-arts, on continue à éditer des fanzines régulièrement. J’ai aussi sorti une BD (Unkungfu, ndlr) aux éditions Flblb l’année dernière et je travaille actuellement sur un autre projet pour eux, à propos d’un groupe de rock indé fictif.
Manon: Je commence souvent le visuel avant même d’envisager une sortie, de même que j’aime bien réfléchir à une couverture de fanzine avant d’en avoir écrit le contenu, c’est dire à quel point les visuels comptent. En parallèle de Docks, j’écris un fanzine musical qui s’appelle Ductus pop et je m’occupe d’une petite maison d’édition, La Perche carrée.
Daniel: On a contacté plusieurs labels et Youth Riot Records sont les premiers à nous avoir répondu.
Manon: Ils ont sorti des groupes qu’on apprécie, comme Versing, Hign Suun ou Speen !
Je lisais récemment un guitariste s’exprimer à propos de l’absence d’une esthétique DIY et de la représentation que l’on en a. Que pensez-vous de cette remarque puisque vous faites partie pleinement du mouvement DIY ?
DIY is not an aesthetic. If your family is paying your rent, you're not part of the "Underground DIY Scene," no matter how influenced by punk your sound is. If you're making songs that sound like Chris Brown but paying your own way working at McDonald's, that's DIY.
— oOoOO (@oOoOOsounds) September 14, 2018
Manon: Je ne suis pas d’accord avec cette vision là. Travailler chez McDonalds, c’est contribuer à une société dont on ne veut pas. Peu importe que notre famille nous file de temps en temps un coup de main, s’il faut justifier d’une précarité sociale pour être punk ou être actif dans un mouvement DIY justifier d’une précarité sociale, on peut ! Mais ce qui compte, c’est ce que tu fais, justement. On a déjà gagné trois sous avec des jobs de merde, puis on a décidé d’arrêter. C’est deux façons de voir les choses. Mais dégager du temps libre, quitte à vivre plus ou moins à la marge d’un tas de gens, et faire ce que l’on a envie de faire (monter un groupe, un label, un fanzine, organiser des concerts, être actifs dans des assos, etc), c’est ça qui nous intéresse.
Daniel: Je ne vois pas en quoi accepter de l’argent de la part de ses parents (ou de l’état) est moins valable que d’accepter de l’argent de la part de McDonald’s. En travaillant pour McDonald’s, tu participes pleinement à la croissance d’une des plus grandes multinationales du monde, ce qui n’est pas très punk ! Le milieu indépendant est nourri de revendications parfois divergentes, mais on retrouve vite quelques buts communs: organiser des espaces et des événements accessibles, respectueux, avec le plus de liberté possible. Si ton activité en tant qu’artiste, organisateur ou même spectateur te permet de tendre vers ces buts-là, c’est cool ! J’ai quand même l’impression que ce post était une blague, car dans le suivant il précise que selon ces critères, Fugazi n’était pas un groupe DIY.
Début 2018, vous avez participé en première partie à la tournée française de Nina Harker, qu’est-ce que vous apporte l’expérience des concerts ? Et comment survivre quelques semaines dans le circuit des petites salles français ?
Daniel: Jouer en concert est ce que je préfère. Voir si les morceaux fonctionnent, triturer la set-list… Dans le milieu DIY on a la chance de tomber sur des orgas aux petits soins et des groupes sympas. Discuter après le concert est toujours un bon moment et en tournée, les bonnes rencontres sont fréquentes et précieuses.
Manon: La voiture nous a lâchés entre Saint-Étienne et Clermont-Ferrand. On s’est arrêté une première fois sur une bande d’arrêt d’urgence sur l’autoroute pour enlever la courroie de distribution qui se barrait puis on a fini la route avec les lumières du tableau de bord qui s’éteignaient une à une, sans utiliser les essuie-glaces alors qu’il pleuvait, pour économiser la batterie. La voiture s’est arrêté pour de bon dans la rue où on devait loger. Mais pas de chance, le GPS s’était planté et on était dans une rue homonyme, dans une commune limitrophe.
Avez-vous trouvé des dates pour promouvoir le nouvel EP qui sort le 19 octobre, et quel est votre regard sur le circuit indépendant français ?
Manon : On nous propose parfois des dates sur Toulouse (ils ont fait la première partie de The Goon Sax, le mardi 09 octobre, nldr) mais c’est globalement assez compliqué. Le seul circuit qu’on connaisse est celui des petites assos de bénévoles, les bars, les salles auto-gérées type squats. Ça a bien fonctionné pendant la tournée. On a récemment eu quelques annulations de dates qui nous ont un peu démotivés mais on essayera de remonter une tournée pour 2019.
Daniel : Le milieu DIY français est super, malheureusement les fermetures fréquentes de salles en centre-ville rendent de plus en plus compliqué le fait de jouer du rock dans des salles de taille moyenne.
Question subsidiaire : doit-on appeler vos morceaux, des chansons ou des compositions ?
Manon : Difficile de parler de chansons, dans la mesure où il n’y a pas de chant.
Daniel : Comme vous voulez !
- Date de l'interview 1 992 vues 2018-10-15
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