"> Interview de François Floret La Route du Rock - Indiepoprock

Interview de François Floret La Route du Rock

Une interview avec François Floret, directeur du festival La Route du Rock, c’est d’abord et avant tout une conversation à bâtons rompus avec un passionné de musique, à l’enthousiasme encore intact et palpable, après quinze éditions d’un festival qui a réussi à s’imposer comme l’un des incontournables de l’été français. Défilent au cours de la discussion toutes les images marquantes de ces quinze années de festival ; et l’on s’aperçoit surtout que de nouvelles trouvailles nous attendent. En raccrochant le téléphone, une seule pensée s’impose : vivement le 11 août !

Avant toute chose, un petit retour en arrière sur l’édition 2005 ?
L’édition 2005 a été un grand cru : artistiquement, déjà, avec une affiche superbe, notamment la date unique de The Cure. Pour The Cure, on est surtout fiers de la façon dont ça s’est passé : Robert Smith a réellement choisi de venir à la Route du Rock, il connaissait la ville où il venait en vacances avec ses parents, il suivait la programmation du festival. Il était un peu étonné d’être invité, et nous a avoué qu’il se sentait un peu vieux face aux jeunes pousses du festival. On n’a pas cherché réellement à les avoir spécialement pour la 15ème édition, mais c’est vrai que c’est pour nous un superbe cadeau d’anniversaire. Ils sont venus en formation réduite, sans clavier, ont joué plus de deux heures quinze. Bien sûr, on en trouve toujours pour regretter que ça ait été si long, et qui auraient préféré voir quelqu’un d’autre jouer. Mais ce concert reste un moment magique de 2005, on a dû se pincer pour arriver à croire que The Cure jouait réellement chez nous, dans notre festival !
Cette édition a été l’apothéose du festival, soulignée par la présence d’Arte qui avait choisi un seul festival d’été, ce qui nous a permis d’être en direct sur une chaîne hertzienne nationale de 21h00 à minuit. Ca a été également un record d’affluence, avec plus de 30 000 personnes en comptant les spectateurs du Palais du Grand Large, donc plus de 35 000 en comptant le Fort, la Plage et le Palais. Les bénéfices réalisés nous ont permis d’organiser la version hiver de la Route du Rock : ce qu’on a gagné en 2005 a été réinvesti sur cette nouvelle version du festival, qui a elle été déficitaire.

Comment avancer et se motiver encore après cette édition 2005 ?
On ne se pose pas réellement la question ; depuis le départ, dès qu’une édition est terminée, on a du mal à se retourner, on se projette immédiatement vers la prochaine édition. Notre prochain objectif, après cette édition 2006, sera donc l’organisation de la prochaine version d’hiver. La collection hiver nous tient vraiment à cœur. La première édition n’a pas marché aussi bien que prévu sur le plan de la fréquentation, mais artistiquement ça a vraiment été une réussite, on fera tout pour recommencer l’année prochaine.

Quelles sont vos relations avec les autres festivals ?
On revient juste des Eurockéennes, on a trois jours de festival dans les jambes, c’est terrible. C’est vraiment un grand festival, un de nos préférés. Le site est superbe. Ils ont réussi à garder une certaine dimension humaine malgré la taille incroyable de la manifestation ; il est toujours possible de trouver un endroit un peu à l’écart et au calme lorsque l’on a besoin de repos. Cette année, avec Depeche Mode et Daft Punk, on a encore pris deux énormes claques. Sigur Ros a fait un véritable triomphe, c’était fantastique. Voilà, c’est aussi le genre de chose qui nous fait encore avancer : on veut réussir à faire venir Sigur Ros à la Route du Rock, ce serait grandiose de vivre ça. Ils devaient déjà venir à Saint-Malo il y a quelques années, et avaient annulé au dernier moment, mais on finira par les coincer.

Est-ce difficile de boucler une affiche ?
Oui, la concurrence est de plus en plus rude au sein des festivals d’été. En ce qui nous concerne, on souffre beaucoup à cause d’un festival japonais qui se déroule aux même dates que nous, avec un budget largement supérieur. Bien sûr, l’apparition de Rock en Seine ne nous a pas rendu la vie facile, c’est un festival énorme, très proche en dates du nôtre, avec un champ d’action moins pointu mais assez similaire, et encore une fois un budget plus conséquent.

Quelles sont vos règles pour la programmation ?
On essaie d’éviter le piège qui consiste à se jeter sur un nom à la mode. Notre but c’est d’essayer de trouver des artistes qui proposeront un spectacle exceptionnel au sens propre du terme, quitte à ne pas brosser le public dans le sens du poil. En tout cas, on cherche à tout prix à éviter le ventre mou.

Le Fort de Saint-Père, c’est l’âme de la Route du Rock ?
Le festival est évidemment très lié au Fort. Même si on organise maintenant des concerts sur d’autres sites à Saint-Malo, c’est un élément très fort de notre identité. C’est aussi pour ça qu’on ne cherche pas forcément à exploser. On n’oublie cependant pas qu’une de nos plus belles éditions, en 1998, a été réalisée en dehors du fort. Cette année-là, avec notamment PJ Harvey et Portishead, on a réuni une des plus belles affiches du festival, et également réalisé un de nos plus gros scores d’affluence. Eventuellement, si on décroche un jour un concert d’une énorme tête d’affiche, comme Radiohead, on pourra peut-être imaginer l’organisation d’une quatrième soirée spéciale en plus des trois soirées de festival. Mais on ferait ça en essayant de privilégier le plus possible nos fidèles festivaliers, ceux qui nous suivent depuis plusieurs années, et pas seulement ceux qui se lèveraient suffisamment tôt pour faire sept heures de queue à la FNAC.

On vous entend souvent parler de Radiohead : c’est visiblement un grand regret pour vous de n’avoir pas réussi encore à les faire venir à Saint-Malo…
C’est effectivement un regret de ne pas réussir à les programmer, d’abord parce qu’un concert de Radiohead, c’est toujours grandiose, et ensuite parce qu’on les aime depuis le début, on a même été les premiers à les faire jouer en France à Rennes en 1993… devant une bonne centaine de personnes. Pourtant on les invite chaque année, et on aligne notre offre financière de façon à ce que l’argent ne soit pas un critère. Mais il faut savoir que les artistes, mêmes ceux comme Radiohead qui ont pourtant une vraie démarche artistique, exigeante et libre, ne choisissent pas réellement les endroits où ils vont jouer, leurs agents se chargent de tout. Les groupes ne vont pas jouer là où ce serait cohérent artistiquement, ils vont là où on leur dit d’aller…
On a toutefois quelques artistes qui se souviennent d’avoir joué chez nous, qui se souviennent qu’on a été les premiers à les faire venir en France et à les soutenir, et qui nous font l’immense plaisir de revenir jouer chez nous en tête d’affiche. Muse en est un bon exemple, ils sont revenus en 2001 après leur premier concert français à la Route du Rock en 1999. Placebo, DJ Shadow ou Interpol, également.

Vos grands espoirs pour l’affiche 2006 ?
On attend beaucoup de Band Of Horses. Belle and Sebastian, on leur courait après depuis des années, on a enfin réussi à les avoir. Le concert des Liars risque de décoiffer sévèrement, ceux qui s’accrochent encore à une image poppy-gentillette du festival risquent d’en être pour leur frais. Au Palais du Grand Large, on accueillera Micah P. Hinson, qu’on essaie de faire venir depuis deux ans ; on attend aussi beaucoup d’El Perro Del Mar, une jeune et fragile suédoise, qui pour nous a été une des grandes claques de cet hiver.
En parallèle, on a travaillé à l’intégration du festival Sous La Plage. Sous La Plage, c’est un festival gratuit qui se déroule chaque année au Parc André Citroën à Paris. Ils cherchaient à décentraliser une date hors de Paris, on leur a donc proposé d’organiser ça à Saint-Malo. Ils sont très proches de nous musicalement, et ont la même conception que nous du spectacle et de la culture. En plus de la musique, ils travaillent beaucoup sur le graphisme, le dessin, la scénographie, on devrait donc retrouver cet esprit et cette fraîcheur à Saint-Malo.

Faire venir Catpower, c’est un grand risque ? Chan Marshall est connue pour son comportement erratique en concert…
On a longuement pesé le pour et le contre pour ce concert : c’est vrai, et on en est conscient, que Chan Marshall c’est une personne très fragile, ses concerts peuvent parfois s’en ressentir. Là il y a aussi un élément de coût qui a été important : elle joue avec le groupe qui l’a accompagné sur son dernier disque, ce sont des pointures qui officient depuis des années. Les faire venir tous pour une date unique, c’est logistiquement très compliqué et évidemment très cher. Aux dernières nouvelles, ses concerts aux Etats Unis et en Angleterre ont été merveilleux, Chan est très à l’aise avec tout le groupe derrière. Donc c’est un risque, financier et artistique pour nous, mais on est prêts à tenter cette expérience pour vivre un moment unique, c’est ce genre de risque qui nous fait avancer et nous permet de vivre des concerts exceptionnels…

Chroniqueur