"> Interview de Magma - Indiepoprock

Interview de Magma

Né en 1969, Magma reste un des groupes majeurs de la scène indépendante française. Bataillant à travers tous les styles, du rock au jazz, en passant par la soul, l?ambient et une définition bien personnelle du chaos, Magma revient en mai 2005 pour 4 semaines de concerts exceptionnels dans la salle du Triton, à Paris. Qui sont-ils, où vont-ils ? Remontons un peu le temps avec cette interview croisée, inédite, de Christian et Stella Vander.

Octobre 2002, l?antre de Magma, quelque part en région parisienne…

La musique, aujourd?hui si accessible à tous, ne serait-elle pas en train de devenir finalement un bruit?
Christian Vander : J?écoute rarement la radio mais parfois je me mets sur France Musique entre 18h et 19h et j?écoute une émission de jazz. J?entends toujours la même musique finalement, du jazz New Orleans, du jazz très conventionnel. Je n?ai rien contre cette musique, là n?est pas la question, mais on a souvent l?impression de tourner en rond. Il y a des choses fabuleuses dans le jazz des années 60, des gars de pointe qui méritent d?être rappelés. Pourtant, c?est rare de les entendre. L?accessibilité de la musique doit aussi venir de l?auditeur, de sa recherche personnelle. Enfin, c?est paradoxal en même temps, on nous entretient dans une forme de médiocrité. Pendant ce temps, la musique évolue, toujours, toujours.

Stella Vander : Je ne pense pas que la musique soit plus présente. La multiplication des canaux radiophoniques ou des chaînes de télé ne justifie pas vraiment cette accessibilité.

C.V. : On n?insiste pas vraiment sur la qualité, on passe complètement à travers. Pour un jeune mec, voire un jeune musicien qui écoute de la musique, je pense qu?il est difficile de trouver son chemin à l?intérieur de toutes ces choses. Les gens qui auront la chance et l?opportunité ? en faisant l?effort aussi ? de trouver la voie, retrouveront le chemin qui a été tracé bien avant nous et qui continue certainement. On a beau avoir énormément de choix, ceux que l?on cherche sont encore plus difficiles à trouver aujourd?hui.

Vous pensez que la musique évolue plus vite aujourd?hui ?
C.V. : Pas plus vite, d?une autre manière.
S.V. : C?est l?écoute qui a évolué mais c?est tout.
C.V. : Avant, quand j?étais jeune musicien, il y avait tout de même une forme de sectarisme : un musicien de jazz n?écoutait que du jazz, un peu de classique peut-être, un musicien rock n?écoutait que du rock? Donc nous au départ, et là je parle pour Magma, on a du s?adresser à des gens qui étaient un peu plus éclectiques et qui avaient la connaissance de plusieurs styles de musique. Les musiciens de jazz, encore aujourd?hui en France, sont restés un peu sectaires. Ils ne connaissent pas bien Tamla Motown, le rythm?n?blues, le blues tout simplement. Un musicien de jazz américain sera toujours plus imprégné des sources et des déclinaisons du jazz. Il connaîtra toujours mieux Aretha Franklin ou Otis Redding, c?est une autre façon d?isoler les choses sans chercher obligatoirement une appellation.

L?amour de la musique pour vous, c?est un don, une recherche, les deux ?
S.V. : Une recherche non, ça vous tombe dessus. Certains aiment la nature, d?autres la musique, les deux?

C.V. ? l?amour de la musique, c?est les sons, écouter de belles choses? Je ne sais pas, je ne sais pas ce que c?est? j?aime la musique depuis toujours, depuis le plus tôt possible.

C?est quelque chose qui ne se verbalise pas tout simplement ?
C.V. : Oui, peut-être? C?est le genre de matière qui semble impalpable mais qui existe de toutes manières. On ne la voit pas avec les yeux, on la sent.

Magma en l?occurrence, c?est tout de même une musique consacrée à la Musique ? J?entends aussi par là aussi que la musique de Magma est particulière, pour la définir on dit : c?est du Magma?
C.V. : Je trouve ça très bien, ça devrait être la même chose pour chaque musique. C?est plutôt ça la recherche. Si je dis John Coltrane, c?est la musique de John Coltrane. Idem si on dit Messiaen, si on dit Stravinsky, si on dit Bach, c?est Bach et puis c?est tout ; sans chercher à comparer bien entendu, c?est la musique de Magma.

S.V. : C?est relativement récent cette idée de vouloir mettre une étiquette à chaque chose.
C.V. : Personnellement, je ne me pose pas la question, je ne me la suis jamais posée. J?essaye simplement d?évoluer.

S.V. : Mais c?est un atout et un problème de ne pouvoir être répertoriés. Les disquaires ne savent pas où vous mettre, en soi c?est un problème. Sur le dernier opus 2002 de l?officiel du spectacle, tous les groupes de musique possèdent une référence et lorsqu?on ouvre à Magma, c?est marqué : inclassable. Avantages et inconvénients.

Magma, depuis ses débuts s?est enrichi musicalement et humainement. Dans le parcours, comment est-ce que vous expliquez cela ?
C.V. : Pour ce qui est de la musique, je ne sais pas vraiment comment résumer cela mais j?avais des exemples. Les gens que j?aimais, évoluaient disques après disques. Pour moi, c?était logique que je n?allais pas enregistrer un deuxième disque s?il n?y avait pas d?évolution, même légère, un petit pas de plus. A chaque fois, il fallait qu?il y ait quelque chose de nouveau. Forcément, cette évolution humaine correspond aussi à une évolution de la vie. Je ne dissocie pas la vie et la musique, c?est pareil. Je ne suis pas mercenaire. Maintenant, mettre sa vie dans sa musique, dans chaque note, ça peut aussi être parfois dangereux. C?est peut-être la seule différence, heureusement ou malheureusement.

Puisque vous me parlez de musique et de vie, pensez-vous que chez le musicien, il y ait une dualité qui se fasse entre son animalité et sa spiritualité ?
C.V. : De toutes manières, on passe par ces périodes : le corps, l?esprit et l?âme. On est obligés de modeler le corps pour qu?il conçoive l?esprit afin d?atteindre l?âme. Il y a un modelage qui se fait dans le temps. Toujours être au diapason, se tenir prêt à recevoir certaines choses, certainement.

Traduire et interpréter la musique c?est à la base un acte physique?
C.V. : Cela peut-être parallèle, tout est en fonctionnement de la même manière, le corps et l?esprit.
S.V. : Cela peut aussi se faire dans un autre sens, certains travaillent beaucoup intellectuellement. La musique se travaille aussi beaucoup dans la tête avant d?aborder l?instrument.

Magma n?est pas une musique que vous avez spécialement intellectualisé?
C.V. : Magma devait naître, par moi ou quelqu?un d?autre. C?est arrivé comme ça, je ne l?ai pas cherché, il fallait le faire, c?était une urgence.
S.V. : Christian est le fondateur de Magma. Je suis arrivée dans un élément qui semblait être en moi, j?avais l?impression que ma place était là mais Magma existait déjà.

Vous jouez ensemble depuis 30 ans maintenant?
S.V. : Oui, pas loin, il y a eu des périodes avec et des périodes sans. Magma appartient complètement à Christian même s?il y a eu différentes personnes qui l?ont composé. Tu parlais tout à l?heure d?évolution de la musique, évidemment la musique est une histoire d?échanges, chaque personne avec qui tu joues doit t?apporter quelque chose, c?est ce qui fait évoluer la musique. A l?époque j?ai eu l?impression d?arriver dans un élément dans lequel je me sentais totalement chez moi. Je n?ai pas vraiment de mérites même si je le fais du mieux que je le peux mais cela me semble quasi-naturel. Lorsque Christian arrive avec de nouveaux morceaux, j?ai aussi l?impression que je peux deviner la suite?ce n?est pas vrai mais je ne suis pas étonnée d?entendre la suite parce que je baigne dedans depuis si longtemps sans avoir besoin de m?accrocher. J?ai participé à construire l?histoire de Magma, à côté de la musique, Christian est Le fondateur.

Lorsqu?on écoute Magma on a la sensation qu?il y a aussi dans cette musique la poursuite d?un rêve. Qu?est-ce qui enrichit ce rêve ?
C.V. : Un rêve intérieur, certainement oui, une idée. Pourquoi pas l?idée d?un monde meilleur ?

Vous pensez que la musique permet le changement ?
S.V. : Ah oui !
C.V. : Elle est indissociable.

De quelle façon agit-elle sur la société ou même à travers les arts ? A-t-elle toujours le même rôle ?
C.V. : Oui?oui, tout dépend comment elle est dirigée aussi. (rires) C?est en fonction du pouvoir.

Vous faites une relation entre musique et pouvoir ?
C.V. : Bien sûr.

Vous placez cela à quel niveau ?
C.V. : Au niveau où cela demeure (rires). Selon les pouvoirs, les musiques changent. Mais la musique elle-même existe, elle est là et continue d?évoluer. Elle attend, peut-être?

S.V. : Aujourd?hui on a tout de même plus de moyens qu?avant pour pouvoir faire circuler, faire connaître même si c?est un projet tout petit. Avant tu faisais un truc qui n?intéressait aucune maison de disques, d?abord il n?y en avait que très peu, tu étais immédiatement à la rue. Tu pouvais toujours jouer dans le café du coin s?il voulait bien mais c?était tout. Aujourd?hui on dispose d?autres outils pour diffuser la musque.

C.V. : Ce que je voulais dire, c?est la force de la musique par rapport au pouvoir tout court?
S.V. : D?accord avec toi. Malgré cela, on dispose d?autres moyens par rapport à avant.
C.V. : C?est sûr, on a des moyens mais?
S.V. : Pour reprendre un exemple personnel, un bon exemple qui m?est arrivé lorsque j?étais gamine ? A l?époque je faisais une carrière de petite chanteuse ! ? j?ai eu un titre qui a été censuré. Il a été censuré par l?ORTF.

Censuré à cause de paroles tendancieuses ?
S.V. : Non, ce n?était pas tendancieux, c?était une parodie d?une chanson de Sheila qui s?appelait « Folklore américain » et la mienne se nommait « Folklore auvergnat ». Tous les auvergnats de Paris, de France et de Navarre se sont mobilisés et ça a fini par être interdit sur les ondes. A mon sens, c?était juste une chanson rigolote, inoffensive. Il faut préciser aussi qu?à l?époque il était très facile d?être censuré, aujourd?hui c?est plus difficile. Il y a dix mille façons de faire passer les choses même si elles sont censurées.

Il y a aussi une façon de conditionner les personnes vers certaines musiques ?
S.V. : Oui, c?est sûr mais ce sont deux choses différentes. Evidemment cela existe. Cependant les gens qui le souhaitent vraiment ont accès à leurs choix.

C.V. : Enfin, on ne leur sert tout de même pas les choses sur un plateau. C?est une démarche très lente alors que la musique peut vraiment être révolutionnaire, elle peut changer les personnes radicalement. Si on propose, bien entendu, la palette musicale sans discriminations en disant « voilà il y a ça mais il y a ça aussi ». Il faut voir, lorsque cela passe à la télévision, les nuits de la musique ou les fêtes de la musique, ce que l?on entend par rapport à toutes les musiques possibles existantes… ! On peut juste aller plus vite avec les moyens d?aujourd?hui, c?est tout.

L?éveil musical, lorsque l?on est enfant, est rapidement reconduit par ce que l?on nous propose finalement ?
S.V. : Oui bien sûr mais on ne parle que du cas de la France alors? ?

Oui, parce qu?on y vit?
S.V. : Il n?y a déjà quasiment plus d?éveil musical dans les écoles en France. Dans tout un tas de pays d?Europe très proches de nous il y a encore de la musique au programme. Enfin, on a quand même de la musique au programme dans les écoles mais ce n?est presque rien. Dans d?autres écoles, il y a des gamins qui sortent de cours avec un outil de base musical sympa.

L?insatisfaction chez le musicien, elle se cumule ou elle se transforme ?
C.V. : Quelques fois on force mais elle donne de la force.
S.V. : Et puis on arrive à l?oublier aussi.

C?est un moteur ?
C.V. : Oui. Je sais ce que je dois faire avec des difficultés ou non. Quand il y a de bons moments je sais les prendre aujourd?hui, alors qu?à une époque je les refusais : je trouvais étrange d?avoir de bons moments dans la mesure où je n?avais connu que des musiciens qui avaient plutôt souffert, donc pour moi ce n?était pas bon signe. Je sais maintenant qu?il y a de bons moments que l?on peut savourer, quand ils sont fugitifs et bien c?est comme ça, on repart. Les choses dures me conviennent aussi, ça forge.

La musique et la mystique sont ils des parents proches ou éloignés?
S.V. : ça dépend pour qui.
C.V. : C?est quelque chose qui est relié de toutes façons. John Coltrane l?a démontré de manière éclatante. Il y a certaines personnes que l?on ne pourrait pas soupçonner mais qui pratiquent un trajet similaire. Chez Coltrane, c?est flagrant. Tous ceux qui l?ont suivi dans sa démarche musicale et spirituelle l?ont compris. D?autres que l?on ne pouvait pressentir n?apportaient cependant pas d?indications extérieures. John avait une certaine attitude. Aux Etats-Unis il existe l?église Saint-John, sa femme n?est d?ailleurs pas forcément d?accord avec cela.

S.V. : Elle est dans une autre dimension mystique, quand on écoute son dernier album on sent qu?elle s?est déviée de sa direction.
C.V. : On ne peut pas jeter la pierre à des gens comme ça, on ne peut pas juger, ce n?est pas l?idée.

Après, il y a cette mystification que chacun développe, l?imaginaire permet aux artistes de trouver un refuge et de créer une dimension parallèle. Est-ce aussi le cas pour vous ?
C.V. : Ce que je voudrais c?est le vivre au sein du monde intérieur. On a toujours un côté marginal voire parallèle?Non non, j?essaie de vivre sur terre, au fond, en puisant dans mon imaginaire. Je ne veux pas m?exclure ou être exclu. Même à l?intérieur des voies marginales il y a des limites. On a beau se créer des mondes, il peut y avoir des choses, des phénomènes, des créatures qui peuvent faire obstruction à l?intérieur de ces voies : « Attention, attention, vous êtes à la limite de la frontière du marginal des marginaux », vous comprenez ?

Oui, mais le fait de posséder son propre monde musical constitue t?il une marginalité ?
C.V. : Non, on cherche à s?intégrer au monde, à le saisir : le monde tel qu?il nous conçoit et notre fonctionnement à l?intérieur de ce monde. Moi, ce qui m?intéresse le plus au monde et en l?occurrence je ne connais personne d?autre : les hommes. Les animaux je les aime beaucoup, j?aime beaucoup les arbres mais ils étaient là avant moi. Je sens qu?en étant juste dans une certaine manière, on est forcément juste avec ces choses qui nous précèdent bien avant.

S.V. : J?ai pas grand-chose à ajouter. J?ai du mal à séparer certaines choses, chaque compositeur doit avoir son monde musical bien à soi, autrement ça sert à quoi ? Quand on ne compose pas, son monde peut être une note qu?on essaye d?interpréter en se disant : c?est comme ça que le compositeur la veut ou l?aurait voulu.

Certains musiciens sont des virtuoses mais n?ont rien à dire?
S.V. : Rien à dire, ça dépend pour qui.

Bien sûr, c?est une question de perception mais il y a des musiciens qui ne seront toute leur vie que des musiciens de studio ou d?orchestre ?
C.V. : Ou des interprètes pour le classique. Sur France Musique, il y avait une interprète qui disait : « Je suis au service de la musique et je trouve ça fantastique de pouvoir essayer d?interpréter une musique de tel ou tel compositeur, de restituer quelque chose de possible ». C?est vrai qu?on ne saura jamais comment jouer untel ou untel en direct.

S.V. : On écoutait souvent la version du Sacre du Printemps dirigée par Karajan qui était celle que l?on préférait et puis on a écouté une autre version qui semblait beaucoup plus proche de celle de Stravinsky, ça m?a fait un drôle d?effet. On n?y était peut-être pas habitués, je ne sais pas.

C.V. : Sans parler de la version dirigée par Stravinsky, peut-être n?était-il pas un bon directeur ?
S.V. : Je crois que c?était Monteux mais je n?en suis pas certaine.
C.V. : Il a essayé de s?approcher du tempo mais il n?y arrivait pas.
S.V. : C?est sûr, il n?a pas fait l?affaire (rires). J?avais été déçue. C?est pour ça que je trouve ça plus intéressant lorsqu?on peut travailler avec un musicien vivant avec qui l?on puisse s?expliquer.
C.V. : C?est certain, on a très peu de choses, très peu de documents malheureusement. Ils n?avaient aucun moyen d?enregistrer.

Qu?est-ce qui vous attire autant dans la composition musicale de Stravinsky ?
S.V. : Je pense que cela ne s?explique pas, c?est comme lorsqu?on regarde un tableau, on est touchés ou on ne l?est pas. Selon sa place dans une activité artistique ou pas, on peut l?expliquer plus facilement par sa technique. La musique c?est pareil, elle vous plonge dans un état d?émotion, la joie, la tristesse ou rien du tout. C?est une histoire de culture et de racines aussi.

C.V. : On cherche l?émotion, les images sont liées. Cela évoque des choses à l?intérieur ou un vécu antérieur. On ne peut pas l?expliquer.

S.V. : Surtout au niveau des racines et de la culture car Stravinsky est un compositeur d?Europe de l?est. Nous avons des racines en commun même si nous sommes nés en France. C?est une histoire de goût aussi, tout simplement.

Le rapport entre la Musique et la Nature dans l?inspiration ?
C.V. : Je ne m?inspire pas véritablement de la nature comme je le disais. De moins en moins même si on entend des chants de toutes parts, ne serait-ce que les oiseaux. Mais les bruits, les sons, la mer, enfin l?océan, j?aime beaucoup ces forces. Cela se transforme différemment en moi, forcément. Je ne peux pas les concevoir donc je les adapte. C?est un peu compliqué.

Sur le premier Offering, on trouve un morceau nommé « Earth »?
C.V. : ça ne veut pas dire forcément « Terre ». Je cherche à aller à la terre, je pars du principe d?un mouvement descendant parce qu?on est attirés, donc, je ne contrarie pas les forces. Au lieu de chercher à m?élever, je tends plutôt à descendre en imaginant qu?un jour, comme un nageur, quand j?aurai mis le pied au fond, je remonterai peut-être plus vite que je n?ai mis de temps à descendre. Ceci afin de constater très vite tout ce qui est « autour » de nous ; je dis « autour » à partir du moment où la personne entre à l?intérieur car c?est de l?intérieur qu?elle saura ce qu?il y a autour et non pas en voulant s?élever. C?est du centre, car nous sommes ici de la terre, je veux aller au centre. Pour moi, c?est ce point central que je veux atteindre, par tous les moyens, par la composition, par tout. Je travaillais beaucoup certaines musiques ascensionnelles auparavant, aujourd?hui je travaille plutôt dans la musique des centres d?une certaine manière. Tout tend vers les centres. Ainsi, je pense un jour trouver ce que j?appellerais l?éclair ou la lumière ou quelque chose, étonnamment. Certains s?imaginent qu?en s?élevant on verra les étoiles, je pense qu?il faut commencer par descendre. C?est en touchant le fond que l?on commencera notre véritable aventure. Enfin bon, ça c?est ma théorie.

S.V. : Pour en revenir à la musique et à la nature, j?appellerais plutôt ça une « déformation professionnelle » : j?ai tendance à entendre un rythme ou une mélodie dans chaque mélange de sons mais ça c?est depuis que je suis toute petite. C?est donc un peu une « déformation professionnelle » de tout transformer en musique?

C.V. : Tu n?étais pas professionnelle quand tu étais petite?
S.V. : Non.

(Eclats de rires)

S.V. : Mais ce n?est vraiment pas le cas de quelqu?un qui est passionné par autre chose que la musique. J?ai l?impression que c?est intégré pour moi, c?est aussi pour ça souvent que je me dis : je n?ai pas de mérites à faire ce que je fais. Maintenant je me suis calmée mais lorsque j?étais gamine, j?énervais tout mon entourage justement à cause de ça. Dès qu?il y avait un bruit je tapais un rythme autour qui en engendrait un autre, etc?La musique est partout, pour ceux qui veulent bien l?entendre ou ceux qui savent l?entendre.

C.V. : On ne pense pas autant que ça. J?ai lu une interview d?un pianiste que j?aime beaucoup ( ?) qui disait : « Je ne pense jamais quand je joue ». On ne peut pas de toutes façons, la musique va beaucoup plus vite que la pensée. C?est bien de travailler la musique mais lorsqu?on est dans l?action, on ne peut pas vraiment penser. Ne serait-ce que savourer un moment, en musique, dans l?action?c?est trop tard ! De nouvelles choses viennent de s?effectuer et on n?est plus à leur service. Si on se met à penser « Ah ! Elle était jolie la note ! » , trop tard, c?est T-R-O-P T-A-R-D.

S.V. : De toutes manières on ne s?étonne jamais en jouant, de la beauté des notes?On se dit que c?était un bon concert ou pas un bon concert mais c?est tout.

C.V. : Il y a des moments où des effets ou bien des groupes d?effets effectuent un son unique jamais entendu auparavant. On pourrait être tentés de l?apprivoiser mais il est déjà passé et la musique continue à défiler. Il faut absolument aller très vite.

Vous pensez justement que l?on subit constamment des interdépendances ?
C.V. : Certainement, tout est lié.
S.V. : Subir n?est peut-être pas forcément le mot.
C.V. : On les vit, on les vainc ! (rires).

Pour votre prochain concert du 25 octobre 2002, vous avez réuni une formation dans laquelle on retrouve deux enfants de Bernard paganotti, Antoine et Himiko, quel sentiment cela procure d?avoir intégré cette nouvelle génération de musiciens ?
S.V. : Cela me paraît complètement normal… Parfois je me dis, effectivement, lorsque je récupère, moi ou quelqu?un d?autre d?ailleurs, le sac de voyages d?Antoine qu?il a oublié dans le train, je vois sa tête, complètement débraillé en lui disant qu?il fait froid dehors? je me dis que je suis comme une deuxième maman. Il me dit aussi que je suis sa deuxième maman. Bon, en l?occurrence, il a l?âge de pouvoir être mon fils mais à part ça?Ils sont tellement dedans que ça n?a aucune incidence sur la musique.

C.V. : Je n?aurais jamais pensé en jouant avec Bernard Paganotti, jouer un jour avec ses enfants, c?est certain. Je suis heureux de pouvoir le faire, tant que l?on peut continuer dans le temps, c?est fantastique de réaliser cette expérience.

S.V. : Ce que je trouve le plus fantastique, c?est leur manière d?être avec nous, tout se passe bien. On peut facilement devenir des « vieux cons » avec des plus jeunes ? avec tout le respect que je vous dois (rires) ? mais là ce n?est pas du tout le cas. Quand on travaille avec eux parfois je me dis que j?ai le double de leur âge, enfin peut-être pas mais j?exagère, je ne me souviens plus de l?âge d?Himiko, bref, c?est très fugitif comme pensée. Ce sont des musiciens comme il y en a eu dans le groupe et comme il y en aura d?autres, ce n?est pas un problème. Il se trouve que ce sont les enfants de Bernard mais ils ont été nourris par cette musique depuis leur enfance, c?est peut-être encore plus facile pour eux.

C.V. : On n?a pas trop cette notion dans la musique. Quand on pense à Elvin Jones (décédé en 2004) qui a aujourd?hui près de 75 ans, il joue avec des gars qui ont 30 ans.

A vos concerts, on trouve aussi beaucoup de jeunes, ce n?est pas un public avec juste des anciens, je dirais même qu?il y a de plus en plus de jeunes et c?est souvent complet des semaines avant ! Il y a toujours une attraction constante vers Magma
S.V. : Apparemment oui. Le seul pays où l?on n?ait pas rencontré un public très jeune, c?était en Angleterre. Tous les autres pays, effectivement, réunissent un public très jeune. Ils ont connu Magma par leurs parents ou tout seuls et c?est plutôt encourageant.

Il y a des publics qui vous ont surpris à l?étranger ?
S.V. : Oh oui ! Les japonais qui connaissent les paroles en kobaïen par c?ur ! C?est hallucinant.

C.V. : Dans le temps, c?est vrai qu?il y a eu des publics plus expansifs, plus réceptifs. J?ai de très bons souvenirs, à certaines époques où l?on tournait en Angleterre, lorsqu?on voyait le public réagir tout de suite même si au départ ils avaient un a priori. La première fois que nous avons joué au Marquee, on nous attendait au tournant, on était des français-grenouilles? mais en dix minutes c?était fini, le public était complètement retourné. A partir du moment où ils avaient accepté la musique, ce fut immédiatement gagné. En un concert, on avait réussi à atteindre ce qui avait pris deux-trois ans en France. C?est vrai qu?en France on ramait toujours. Pour Melody Maker, Magma était devenu du jour au lendemain Le groupe français incontournable.

S.V. : Maintenant les choses ont changé en France, heureusement.
C.V. : C?est vrai, les choses ont changé. Au niveau du public, c?est certain. Mais à une certaine époque, il était même très difficile de parvenir à installer un climat. Un passage un peu mélodique, sans batterie, les gens se mettaient à siffler? Pourtant on ne voyait pas ça ailleurs où les gens écoutaient et laissaient venir la musique. La batterie ne devait jamais s?arrêter.

Parce que vous étiez perçus comme un groupe de rock? ?
C.V. : Oui, sans doute. Les gens écoutaient Magma comme ils écoutaient d?autres groupes de rock.

C?était vers quelle période, plus précisément ?
C.V. : C?était au tout début des années 70, quand le rock progressif et ces choses-là émergeaient ;

On vous a souvent classé rock progressif ?
S.V. : Oh oui !

… Rock expérimental, rock opéra ?
S.V. : Plus rock progressif qu?autre chose.

Le kobaïen reste une priorité musicale pour la musique de Magma, est-il toujours nécessaire ?
C.V. : Nécessaire, ça l?a été souvent. De toutes manières, les sons sont venus naturellement dans la composition. Quand il y avait des sons différents ou des mots que ce soit en anglais ou en français , j?ai laissé faire. Je n?ai pas cherché à contrarier la musicalité des mots. Les seules fois où je ne l?ai pas fait je le regrette. Par exemple, pour « I Must Return », j?avais une partie de mots en anglais, une autre étrange mais on n?a pas su aller plus loin. Alors on a fait un texte en anglais qui n?était pas assez proche de l?idée ou de celui imaginé en kobaïen.

De par ta position de chanteuse Stella, comment perçois-tu le kobaïen ?
S.V. : Cela a toujours été tellement intégré à la musique que je ne pense pas m?être vraiment posée la question. Je me pose la question uniquement lorsqu?on me demande « c?est quoi le kobaïen ? » donc j?explique mais je dirais que c?est pratique quand on n?a pas trop de mémoire ( heureusement, c?est pas mon cas ! ) ; pour apprendre les textes c?est plus facile en kobaïen. Les mots sont tellement près des sons que ça coule de source, en fait.

Le texte en kobaïen vient après la musique ou avant la musique ?
S.V. : Non, ça vient ensemble. Et quand ça ne vient pas ensemble car parfois il y a des trous lorsque Christian compose, il manque des mots, et bien là ça devient difficile de les rajouter. Cet été, lors de la reconstruction de K Anteria qui a été composé vers le milieu des années 70 et abandonné car Christian avait fait Kontarkh Khosz, il y avait eu un début de travail sur les paroles. Cela s?est passé l?époque et nous ne sommes pas allés jusqu?au bout. Donc, quand on s?y est remis, on s?est un peu pris la tête avec ça, c?était pas évident.

C.V. : C?est vrai que ça appartient à cette histoire-là puisque le morceau se situait entre MËKANÏK DESTRUKTIW KOMMANDÖH et KÖHNTARKÖSZ donc en effet, les sons appartiennent aussi à cette histoire ! C?est difficile, de se remettre dans cette histoire-là et j?ai perdu beaucoup de mots et beaucoup de sons. Les bandes étaient très abîmées, ce qui n?a pas aidé pour retrouver le morceau.

Une question flash, ce monde est-il binaire ?
S.V. : Ouha?
C.V. : C?est une question que je me suis déjà posé. Pour moi, il est ternaire, forcément. Je conçois tout par rapport à la musique et la musique est ternaire, quoi qu?il en soit. Même lorsqu?un gars décide de jouer binaire il est inclus dans une double, une triple, une quadriple croche? A partir du moment où il ne peut pas assumer totalement n?importe laquelle de ces impulsions-là, il devient forcément ternaire, ce que lui appellera une blue note. Néanmoins, cette note est incluse dans un système ternaire, le spectre étant beaucoup plus large. Malheureusement, dans certaines parties du monde, les gens jouent dans une musique quadrillée qu?ils pensent de façon binaire. En fait, je dirais, voyez, ces notes sont incluses dans telle division rythmique, une division qui va bien au-delà de la sextuple croche ; à partir de là, on ne jouera pas comme ça. C?est une question que je me suis posé rapidement car je me sentais bloqué dans la musique binaire. Dans le ternaire, il n?y a pas de limites, une note est là, elle n?est pas mal tombée, il suffit juste de l?interpréter, là où elle est. Plus on a la science de cette vibration qui va au-delà de « zzzzzz » ou de « feuhhhh », plus il est facile de pêcher les notes lorsqu?elles arrivent. Elles deviennent « tout-ce-qui-tombe-arrive » et on en fait de la musique. Celui qui inclut une note dans une division qui lui échappe va l?appeler fausse-note ou râté. A ce moment-là, il ne pourra pas la rattraper ou la repêcher dans l?espace et il n?en fera pas de la musique.

Ce qui est ternaire est aussi une quantification de ce qui est binaire?
C.V. : Pas du tout, c?est avant, forcément. Le ternaire conçoit le binaire.

Vous appliquez cette vision des choses dans la vie de tous les jours ?
C.V. : Oh oui, pour tout. C?est un commencement que je ne qualifierais pas d?au-delà mais de en-delà.
S.V. : Je pensais que tu ne parlais pas de la musique ?

C?est une question au sujet de la perception en général
C.V. : Oui, je la perçois dans le fonctionnement, c?est la question de « tout-ce-qui-tombe-arrive ».

(Embrouille)

S.V. : Dans le fonctionnement, je dirais que c?est plutôt aléatoire.

On nous définit comme des êtres binaires, surtout depuis l?arrivée des machines, on mange, on ne mange pas, on marche, on ne marche pas?
S.V. : On mange un petit peu, on mange beaucoup, c?est pas si simple que ça.
C.V. : Ce n?est pas si simple que ça mais ce n?est tout de même pas aléatoire.
S.V. : peut-être pour toi, oui. Mais c?est quoi le monde ?

Cet univers qui nous entoure. Est-ce qu?on peut aller de cette façon-là, de l?infiniment petit à l?infiniment grand ?
C.V. : Non, on ne peut pas. On peut aller vers l?infiniment petit mais on ne peut pas aller vers l?infiniment grand. On peut concevoir l?infiniment petit mais pas l?infiniment grand.

Parce que ça nous dépasse ?
C.V. : Tant que l?on perçoit quelque chose. Si on ne regarde pas la chose et qu?on peut la palper, la chose la plus fine et extrême qu?on puisse sentir entre ses empreintes digitales, ce sera déjà une sensation de l?infiniment petit. Vers le grand, cependant, on ne peut que se perdre, il n?est pas concevable, il n?est pas « finissable ». L?infiniment petit, oui, donc déjà concevable.

S.V. : On a déjà des instruments pour aller vers l?infiniment petit.

C.V. : C?est ça. Pour l?infiniment grand, ça peut être l?erreur tout de suite. On ne saura jamais car on n?a pas de point de départ. Peut-être, en étant à l?intérieur de l?infiniment petit, on peut imaginer l?infiniment grand. Ce qui rejoint ce que je disais tout à l?heure.

S.V. : Je suis d?accord avec Christian.

(Réconciliation)

Chroniqueur
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