"> Interview de Sébastien Schuller - Indiepoprock

Interview de Sébastien Schuller

Après avoir évoqué le passé dans la première partie de l’interview, place au présent dans cette seconde partie avec le nouvel album de Sébastien Schuller intitulé "Evenfall". Suite et fin de l’interview où il est question de Panda Bear, de cordes, de téléchargement, d’Arcade Fire…et toujours de jet-lag.

Parlons maintenant du nouvel album, comment s’est passé son enregistrement ? Je crois qu’il y a eu quelques collaborations ?
Il y a des parties que j’ai pu enregistrer chez moi, entre mes 2 lieux d’habitation. Sinon, on a fait un séjour d’une dizaine de jours à La Fresnes dans un studio de la région parisienne puis après on a fait quelques prises ici et là. J’ai enregistré aussi une batterie à Philadelphie, dans un petit studio de répète, où je partais avec mes bandes sous le bras pour faire quelques prises et améliorer mes démos. Après, il y a une participation de Bell Orchestre. C’était dans le cadre d’une compilation « Cadavre Exquis » qui va sortir l’année prochaine. J’ai récupéré une partie de violon et je pouvais en faire ce que je voulais. J’en ai fait un morceau, j’ai totalement découpé la partie, j’ai recréé des harmonies et des arrangements autour.

C’est quel morceau ?
C’est le morceau Open Organ. Après j’ai vu le musicien (Richard Reed Parry) à l’un des concerts d’Arcade Fire et je lui ai demandé si ça le dérangeait pas que je garde le morceau pour mon disque. Du coup comme il l’aimait bien, il m’a laissé l’autorisation pour l’utiliser comme ça ne ressemblait plus trop à l’original. Il y aura une version de ce morceau, dans sa version originale, qui risque de se retrouver sur l’album de Bell Orchestre. Je suis très curieux d’entendre ça parce que je ne l’ai pas écouté encore.

"Evenfall" était très attendu par la presse et le public après le succès de "Happiness". Comment as tu vécu cette attente et l’as tu ressenti ?
Oui, oui, je l’ai ressenti. J’ai été agréablement touché par pleins de témoignages autour d’"Happiness", par pas mal de mots aussi, envoyés via internet, qui attendaient le nouvel album, impatiemment. Forcément, d’une certaine manière, on sent qu’on est attendu. Après, mon envie musicale reste très personnelle. Si ça plaît derrière tant mieux mais ma démarche est personnelle dans le sens où j’essaie de faire évoluer ma musique, de ne pas me répéter, de me surprendre moi-même et d’aller dans des terrains qui peuvent être un peu différents de ce que j’ai pu faire auparavant. Forcément, on s’attend aussi à ce que le public se divise, peut être, dans la poursuite de tes nouveaux projets, dans le sens où il y a des gens qui veulent toujours écouter la même chose et d’autres qui vont te suivre dans l’évolution de ta musique. En tout cas ce n’est pas une peur, la preuve en est, c’est que ça n’a rien changé à ma composition. Il faut que je sois content de mes titres, j’ai réussi à faire ce que je voulais faire ou en tout cas ce que j’avais en tête. Après, si ça plaît tant mieux, si ça plaît pas c’est dommage mais peut être que la suite plairat.

J’ai lu quelque part que le monde de l’enfance était une des grandes inspirations de ton précédent album, quelles sont celles de "Evenfall" ?

Je ne sais pas si c’était une inspiration de "Happiness", j’arrive plus à me rappeler de mes propres inspirations (rires). Je sais que ça a été appuyé par la pochette de "Happiness", mais c’est possible que j’en ai parlé. En tout cas on m’avait souvent interrogé là-dessus et je pense que ça doit être présent d’une manière ou d’une autre car je puise souvent dans ma propre enfance. J’aime bien regarder en arrière et essayer d’analyser ce qui a fait que je suis devenu cette personne là…mais je pense que tout le monde fait cette démarche là.
"Happiness" était lié à une vie plutôt mélancolique et à pas mal de tristesse…alors que mon point de départ sur "Evenfall" c’est que ma vie avait changée, il y avait des émotions différentes que j’avais envie de véhiculer même si j’aurais toujours une certaine mélancolie en moi. Je ne sais pas si elle me vient de ma banlieue ou pas, j’ai l’impression que les gens de banlieue ont une certaine mélancolie plus prononcée, c’est quelque chose que j’ai remarqué. Là j’avais envie d’autre chose, un peu plus d’ouverture, envie de donner plus de rythme aux morceaux, donc ça partait sur des sentiments différents qui reflétaient la vie que je menais.

Ce qui m’a le plus surpris à l’écoute du nouvel album, c’est le changement sur ta voix. On a dû beaucoup te le dire…
Non, on me l’a pas autant dit que ça.

Tu étais dans les aigus sur "Happiness" alors que là tu as une voix plus naturelle. Pourquoi ce choix ?
Ça dépend des morceaux, il y a encore des morceaux qui sont chantés dans l’aigu parfois mais c’est vrai qu’il y a plus de passages de voix naturelle. Ce n’est pas du tout calculé, c’est juste les morceaux qui à un moment donné, quand tu recherches des mélodies, font que tu tombes dans un timbre qui est différent…mais c’était pas du tout prémédité.

De même la tonalité de l’album est moins électro que précédemment, plus organique, avec l’utilisation de nouveaux instruments. Open Organ est par exemple un morceau très fouillé, travaillé, avec des cordes, des cuivres…Est ce vers cette direction que tu souhaites aller pour la suite ?
Oui on a d’ailleurs du mal à les reconnaître car ils sont triturés dans tous les sens. Au départ j’avais envie d’enregistrer des instruments un peu différents, genre des cuivres, que je n’avais jamais réellement utilisé dans ma musique. Il y a toute la première partie de l’album qui reflète ces essais mais malgré tout on retrouve des cuivres et des vents jusqu’à la fin de l’album puisque le dernier morceau, High Green Grass, a des clarinettes à un moment donné. Le fait de m’être retrouvé entre 2 pays, je n’avais pas forcément tous mes instruments avec moi donc parfois je commençais les morceaux au piano et naturellement j’avais tendance à jouer les morceaux un peu plus « live » chez moi. C’est dommage je n’avais pas les micros pour enregistrer les premières prises mais j’ai eu pas mal de morceaux qui sont venus de manière un peu instinctive comme ça. Après j’ai arrangé les morceaux en mettant un peu d’électronique quand même, j’ai acheté un sampler…

En live, tu as prévu d’avoir des cordes avec toi ?
Ce ne sera pas sur tous les concerts, sinon on sera trop nombreux à se déplacer et ce n’est pas toujours possible hélas…mais pour la Cigale (le 18 juin) c’est fort possible qu’il y ait plus d’instrumentistes.

Cet album respire une forme de maturité artistique, c’est encore plus flagrant quand on réécoute "Happiness" qui fait pour le coup vraiment premier album. Est ce que c’est aussi ton opinion ?
J’ai pas encore forcément assez de recul car j’en sors depuis vraiment très peu de temps et j’ai beaucoup, beaucoup écouté les titres…quand tu as passé beaucoup de temps sur un disque, tu prends plus de recul en le réécoutant un peu par hasard, en te faisant surprendre…mais j’ai l’impression que j’ai évolué sur certaines choses, que je me suis ouvert aussi à un autre pan de possibilités d’arrangements et même dans les compositions j’ai essayé un peu plus de choses dans des transitions et dans des ponts pour essayer de sortir un peu du format « classique ». J’ai eu un peu de tout en premier retour sur l’album, il y a des gens qui ont été tellement accrocs à "Happiness" qu’ils ont du mal à faire la transition…d’autres qui sentent vraiment une certaine maturité arriver…moi je n’ai pas encore assez de recul.

La magnifique pochette est signée Agnès Montgomery, dont on avait déjà pu apprécier les travaux sur le "Person Pitch" de Panda Bear. Comment as tu rencontré cette artiste ?
En fait c’est ma femme (rires).

Je crois que ça répond à ma question (rires). Est ce que c’est une commande spéciale ou bien tu as pioché dans son répertoire ?
Elle l’a fait spécialement pour "Evenfall", elle a vraiment participé à tout le processus de l’enregistrement. Je lui ai fait écouter les titres, leur évolution et dans sa manière de travailler elle aime bien passer du temps avec un album, l’écouter et rentrer vraiment dedans pour en faire des collages. Elle avait fait le même travail pour l’album de Noah (Lennox), Panda Bear, elle avait écouté l’album pendant 6 mois…Elle a fait de même pour "Evenfall" et m’a aidé dans l’évolution des morceaux, moi je l’ai aidé dans l’évolution des collages et je suis très content du résultat.

Est ce que tu es connu sur le marché américain ?
"Happiness" est sorti là-bas mais ça n’a pas dépassé les 2000 ventes, l’exposition était vraiment ridicule, je pense pas que le label ait fait le meilleur boulot possible…Par contre il y a quand même eu un peu de buzz autour et via internet les choses rebondissent très rapidement, les gens se forwardent les morceaux et se font écouter de la musique. Pendant ces 3 ans j’ai reçu beaucoup de messages de partout dans le monde et notamment des Etats-Unis..et je sais qu’il y a une certaine attente là-bas aussi mais je ne sais pas si ces personnes là vont télécharger mon nouvel album ou vont l’acheter si jamais il sort aux Etats-Unis sur un label.

La transition est toute trouvée, merci (rires). On parle beaucoup actuellement de la loi HADOPI sur le téléchargement, penses tu que placer le problême du côté de la loi va résoudre la crise du disque ? Ne faudrait il pas essayer d’apprivoiser les nouveaux modes de consommation de la musique (support numérique au détriment du support physique) plutôt que vouloir faire rentrer ces nouveaux consommateurs dans un moule pas fait pour eux ?

Je n’ai pas lu le texte de loi donc je n’ai pas toute la connaissance sur la loi…Je pense que le téléchargement aide à la diffusion et à la découverte, c’est intéressant car tu peux être écouté par un plus grand nombre de personnes. Après, hélas, ça va plus toucher les petits labels ou les artistes qui débutent, si le nombre de ventes diminuent réellement, ça va refroidir certains investisseurs pour des tournées ou quelconques dépenses…Le problême du système c’est qu’il n’y a plus vraiment de baromètre pour vérifier l’intérêt potentiel de travailler avec un artiste à partir du moment où les ventes diminuent. Pour moi c’est le réel problême du téléchargement, le fait que les petits labels et les groupes auront moins de moyens pour faire quelque chose. Après, le téléchargement des gros trucs, j’ai l’impression que c’est moins pénalisant, il y a toujours moyen de se rattraper via les concerts. Si il y avait un choix en dehors de la loi, il faut télécharger ce qui sort des grosse majors (rires) et acheter des vinyles chez les petits disquaires ou directement aux artistes. J’ai l’impression qu’il y a beaucoup de gens qui agissent comme ça car on m’a dit que malgré la crise du disque, il y avait jamais eu autant de petits disquaires qui avaient ouvert ou rouvert leurs portes sur Paris. Je le vois comme un signe un peu positif, un signe d’espoir. On est dans un mutation totale et quoi qu’il arrive il faut la suivre, ne pas la réprimander de cette manière là.
    
Si tu en avais la possibilité, quelle question poserais tu à Sébastien Schuller ?
Qu’est ce que tu veux faire ce soir ? (rires) Qu’est ce que tu fais après les interviews ?

Et qu’est ce qu’il répondrait ?
Je vais me reposer et essayer de récupérer de mon jet-lag que je traîne depuis 2 jours (rires).

Lire la première partie de l’interview.

Merci à Sébastien et à Thomas d’Ivox.

Chroniqueur