"> Rencontre avec Sauveur Eloheem pour la sortie de son nouveau disque "Démence" - Indiepoprock

Interview de Sauveur Eloheem

Rencontre avec Sauveur Eloheem pour la sortie de son nouveau disque "Démence"

"Pousser dans ses retranchements les méandres de la folie et de l’écorché vif, tout en privilégiant l’efficacité comme ligne directrice"

À l’occasion de la sortie du nouvel album de Sauveur Eloheem, « Démence » – venant après une série de singles où l’horrorcore côtoie le désespoir sensible – nous posons quelques questions à cet artiste rare et prolifique, qui détonne dans le paysage du hip hop français.

Posons tout d’abord le décor de ce « Démence », poussant très loin les potards du hardcore, jusqu’aux limites d’un genre souvent revendiqué, mais qu’incarne mieux que personne Sauveur Eloheem. Beats lourds, paroles hallucinées où flottent les relents de la mort, de la drogue, de l’autodestruction les yeux grands ouverts sur le désastre. Mais où règnent aussi, étrangement, une vitalité puissante. Que l’on rapproche de ce qu’Antonin Artaud – qui illustre la pochette – aurait pu appeler « les forces endormies ».

Le disque expose, à l’instar de la démarche du mythique poète et comédien ravagé par une prétendue folie, les conflits les plus profonds, cauchemars et obsessions malsaines. Comme pour tirer les consciences de leur léthargie.

« Démence », brûlot de trap-music, astre noir d’un underground plus créatif que jamais, ravage nos certitudes en les rafalant de punchlines dévastatrices, aussi violentes que cultivées. Le disque développe un imaginaire effrayant, où cohabitent pur egotrip, visions agressives mais à la justesse imparable, poésie et dérives urbaines. Une véritable morgue que l’on pénètre à ses risques et périls. Mais qui veille sur nos folies intimes et collectives.

1-« Démence » semble incarner les dérives de l’époque. Pas si loin du romantisme noir du XIXème siècle, et clairement proche de la volonté d’Artaud de ne plus séparer l’œuvre de la folie. En convoquant son imaginaire, as-tu conscience de porter le hip hop au sommet de sa subversion ?

Totalement, c’était le but du disque, pousser dans ses retranchements les méandres de la folie et de l’écorché vif, tout en privilégiant l’efficacité comme ligne directrice…

2-Le disque ne cesse d’un bout à l’autre d’explorer les dérèglements psychiques, où la pensée s’érode, pleine d’images de films d’horreur, de tueurs en série, mais aussi d’une véritable et magnifique poésie. Une sorte de carambolage sensoriel et de chaos où le sublime côtoie l’abominable. As-tu une méthode d’écriture ? Précède-t-elle la musique ? Ou tes mots sont-ils portés par le beat making ?

Mes mots sont toujours portés par le beat making en premier lieu. Au bout de quelques mesures d’écoute d’instrumentaux, je sais où me diriger. La première phrase débute les atrocités, et le reste s’enchaine avec naturel, comme un puzzle…

3-Quel est ton regard sur le Gansgta Rap, plus souvent dans la théâtralisation des vices que dans la réalité de leur manifestation ? Manifestation qu’Artaud appelait « l’effondrement central de l’âme ».

Je porte un avis favorable sur le Gangsta Rap, et ce depuis que j’ai découvert NWA et Body Count, à un âge précoce. Pour moi le travail d’un Booba a autant de valeur que celle d’artistes dits conscients. Pour moi, dans le Rap, tant que c’est efficace, ça le fait…

4-Disque après disque, ton univers ne cesse de se densifier et de se complexifier – comme ton flow définitivement parmi les plus impressionnants de la scène française -. Là, avec « Démence », il franchit un nouveau palier. Sa richesse, quasiment narrative, balaie toute l’époque, ses démons et ses drames. Quelle place occupe l’actualité, la politique, dans ton processus créatif ?

Tout d’abord, merci infiniment… Ensuite, l’actualité et la politique n’ont que très peu de place dans mon univers. Je m’inscris dans une démarche plus abstraite, où l’efficacité de la production prime, sans toutefois oublier d’inclure les éléments dont tu parles, comme c’est le cas dans chacunes de mes sorties…

5-Tes passions évidentes pour le cinéma, la peinture, comme pour la spiritualité ou la mythologie nourrissent tes textes, et les portent dans une dimension rarement atteinte dans le hip hop. Pourtant, peu de musiques sont aussi légitimes que le rap pour mélanger « grande culture » et culture populaire. Comment vois-tu l’avenir du hip hop ?

J’essaye effectivement d’ajouter tout cela à mon univers, mais de façon discrète, pas obscène.

Je t’avoue que j’ai peu d’espoir pour l’avenir du Rap en France en général, ça tourne en rond. Ça parle de vêtements designer que l’on porte tous, ça parle des bitches, de qui tire sur qui. Ça se cache derrière des figures criminogènes imaginaires, ça parle de deal… Je trouve que le rap générique est d’une nullité abyssale, pour ne pas citer de noms.

Heureusement, à quelques exceptions prêts, mon ami VII et d’autres – Casey ou Rochdi (Krystal) par exemple –  arrivent à rétablir l’équilibre d’un Rap en pleine déchéance… Dédicace à eux…

Merci infiniment pour cette interview Yan, et force à toi…

Yan
Chroniqueur
  • Date de l'interview 1 866 vues 2024-01-09
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