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Le public est silencieux et souriant, mais suffisamment impressionnant pour la timide Beth Orton. Elle a pourtant récemment fait le show de David Letterman en solitaire avec une belle assurance. Ce soir, à la Gaîté Lyrique, elle a fini par trouver ‘intéressant’ le ‘niveau d’inconfort’ qu’elle éprouvait, riant de sa propre gaucherie. Peut-être la gaucherie est-elle bénéfique lorsqu’on transmet l’héritage de Nick Drake, qu’on recherche la défiance qui produit le frisson et la magie de ce folk introspectif. La prochaine fois, cependant, Orton se promet de revenir avec un groupe.
C’est vrai qu’on se serait attendu à ce qu’elle soit accompagnée d’un violoncelle, tant les chansons de son dernier album, l’exquis « Sugaring season » s’y sont prêtées à merveille. Quatre arrangeurs, dont le génial Nico Muhly avaient participé, à New York, à leur enregistrement. Beth Orton n’a ce soir que l’intimité de deux guitares, un banjo et un piano Rhodes qui rappelle à quel point sa musique peut être séduisante sous l’angle de ses inspirations soul et jazz. Le batteur Brian Blade, présent sur l’album, n’était pas là pour attester complètement de ces dernières.
Sam Amidon, un mari de onze ans son cadet, reprend, décontracté, quelques chansons issues d’une autre face cachée du folk. Sa mission, c’est de nous faire redécouvrir Bessie Jones, de nous faire chanter le mot ‘sometimes’ sur la reprise d’une chanson pour enfants, Way Go Lily, de dynamiter la gravité nécessaire de ses belles interprétations par de stupides jeux vocaux qui finiront par le faire pouffer de rire, et le public aussi. Dans ses meilleurs moments, sa voix est agile autant que posée, dormante autant que chantante ; dans ses autres meilleurs moments, c’est un cri rauque ou un gloussement.
L’après-midi, les interviews planifiées (dont la mienne) ont été annulées, ce qui a laissé le temps à Beth Orton de préparer la soirée. L’accent compris, impossible de prendre la chanteuse installée à New-York pour une Américaine. C’est une anglaise jusqu’au bout des ongles.
Les deux derniers doigts de sa main droite semblent ancrés dans le bois de sa guitare tandis que les trois autres se livrent à cet exercice du picking qu’elle connaît à la perfection pour l’avoir appris avec le plus grand des musiciens folk anglais : Bert Jansch. La meilleure partie de « Sugaring Season » constituera grosso modo la première moitié, parfaite, du concert ; State Of Grace d’abord, Something More Beautiful ou Candles ensuite. Magpie, dont les arpèges ont une superbe assurance, envoûte, fait naître dans nos oreilles la même vibration qu’à l’écoute de l’album : une tension électrique, la plus forte à émaner d’une chanson de Beth Orton. La voix devient parfois un peu rauque (elle a seulement récemment arrêté de fumer), prend des intonations puissantes et variées. On sait qu’il s’agira d’un moment spécial dès les premiers vers de la première chanson : « Put my stake into the ground/ Made my claim this time around. » De façon plus brute et intense que sur l’album, se mélangent une joie timide et une puissante mélancolie. Pas de doute, c’est bien la même personne, avec ses projections de solitude et de tragédie – si proches des limites de l’existence qu’elle semble humer comment ce sera de l’autre côté – la même qui avait si largement et profondément bouleversé avec « Trailer Park » en 1996.
Elle joue aussi quelques-unes de ses chansons préférées provenant de ses autres albums : Sugar Boy, Touch Me With Your love, Safe in Your Arms. Les poignants arpèges qui remplacent leur enrobage électronique original rendent les chansons de « Trailer Park » ou « Central Reservation » (1999) plus transparentes et fragiles. L’humeur n’est pas entièrement introspective ; capable de faire la part des émotions, Beth Orton, montre, en filigrane, comment sa nouvelle vie de famille l’a comblée. Ce soir, elle a raconte une transition achevée, entamée en 2002 avec « Daybreaker » et continuée en 2006 avec « Comfort With Strangers ». C’est évident sur Concrete Sky, en duo avec Sam Amidon : un moment engageant qui célèbre l’harmonie et la plénitude de l’existence.