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Cette nouvelle édition du festival normand démarrait par deux annulations, dont sa grosse tête d’affiche médiatique, Blur, des premiers retours mitigés sur la prestation d’Indochine la veille et ses problèmes de sons notamment. Ceci associé à une programmation peu engageante a priori pour la cible que nous sommes. Si bien que nous ne nous sommes pas déplacés avec le même entrain que sur des éditions où pouvaient se croiser des Nick Cave, Pixies, Jon Spencer, Archive, Hives et autres…
Dans cette atmosphère, débuter notre expérience de l’édition 2023 par Gazo aura clairement enfoncé le clou dans nos oreilles… Que dire d’un tel cliché de la perdition de l’industrie musicale. En quelques mots, se retrouver dans le brouhaha de la queue pour les stands de restauration aura pris des airs de bénédiction. C’est après ce faux départ que nos gros espoirs de la journée se sont heurtés à la prestation totalement insipide des belges de dEUS qui, en 50 minutes, auront résumé le discours parfois aigri de certains d’entre nous : la musique (de dEUS), c’était mieux avant. De fait, en revenant sur la fin du set sur leur période « In a Bar Under The Sea » ou « The Ideal Crash » ils ont mis l’énergie qui aura fait défaut au deux tiers de leur prestation emprunte d’un rock jazzy intimiste mais surtout totalement désincarné, certainement emballant sur un live en salle de Taxi Wars mais absolument pas à sa place en festival, de plein jour.
Les pas sont donc lourds pour rejoindre les familles dans cet instant belge avec Angèle. Soit, elle ne faisait pas partie des noms cochés par nos soins, mais malgré toujours des problèmes de son handicapant, on pourra reconnaître à l’artiste d’avoir emballé le jeune public au prix d’un set professionnel qui aura rendu un peu de sourire à l’auditoire. C’est à cet instant que Blur aurait dû être le gros morceau, mais ils auront fait faux bond une petite semaine avant le début de l’évènement. Et c’est avec grand talent que les programmateurs ont choisi Royal Blood comme parade. Nos deux amis d’outre-manche auront sorti cette journée de la morosité ambiante au pris d’un set totalement habité, péchu et généreux. Un concert tel que devrait être tout live de festival (rock ou non). Des bonds, de la sueurs, de l’humour auront eu raison d’un public épuisé mais heureux du travail accompli avec les artistes. La base, non ? Royal Republic, aura bien du mal à maintenir l’ambiance en dehors des quelques premiers rangs, malgré une prestation carrée et bien ficelée. Nous laissons donc la suite aux plus courageux (patients ?).
Nous voilà arrivés le Vendredi après un jeudi clairement sauvé du marasme par les invités de dernière minute… Commencer par M83, instinctivement, on se dit que ça ne peut pas être pire que la veille, soit, mais ce ne fut pas mieux. Pour résumer, la différence entre le concert et l’écoute dans un canapé de l’album studio résidera dans la piètre qualité sonore sur place. Décidément on sent que cette année ne sera pas un bon cru, même sur les groupes les plus « engageants ». Une fois discrètement passé Pomme, nous attendons Tamino et Interpol, qui dans la veine des dEUS / M83 nous gratifieront de prestations sans âme, d’une platitude confinant à la malaisance. Les mots nous manquent pour rendre état de l’aversion que nous avons pu ressentir pour de vagues preneurs de chèques… Louise Attaque seront bien les seuls à mettre un peu de relief dans cet encéphalogramme plat. Ce ne sera pas suffisant pour que nous ayons la patience de supporter Damso et Hamza, nous prenons la fuite à l’issue de cette journée à marquer d’un fer rouge sur 15 ans de festival, et pas pour une bonne raison.
Et après 2 jours avec un seul bon set à se mettre sous la dent, on se dit que démarrer par un Bertrand Belin « à l’heure du goûter » ne présage rien de bon… Que nenni ! Prestation solaire, poésie dans le texte, le son et l’attitude corporelle, l’artiste et ses convives vont nous gratifier d’un moment suspendu, mystique et viscéral. Proches d’une sensation sous substance, nous aurons vécu un set sous hypnose par un homme habité, dont on perçoit qu’aucun concert ne ressemble au précédent ou suivant, comme un digne héritier du parrain de Beauregard, M. Bashung. Quelques sorties de routes plus tard, nous voilà face à Anna Calvi, l’électron libre de la scène britannique. Alors soit, la dame n’ouvre pas facilement la porte, il nous faut de l’énergie pour rentrer dans le monde de cette grande tige immobile. Mais quel bonheur une fois la fissure explorée, comme un aller sans retour, plongés que nous sommes en apesanteur. Dans un style tout à fait différent de Belin, l’artiste anglaise perpétue cette ambiance de gourou face à son public, soit moins fourni que pour Damso, mais totalement en transe. C’est de notre nuage que Nothing But Thieves va violemment nous faire redescendre au prix d’un rock tendu et rentre-dedans, pas particulièrement novateur mais clairement volontaire, une très bonne reprise d’appuis pour la suite de la journée. Nous éviterons de perdre notre élan avec Jain et nous concentrons directement sur Alt-J, pourtant mauvais souvenir d’une précédente édition. Voilà alors un parfait exemple que pour nombre de groupes indé, la nuit, c’est plus à propos. Sans être tout à fait transcendant, la tombée de la nuit aura participé à donner au set un parfait écrin et à mettre en exergue le monde intérieur des artistes. Lomepal embrayera avec brio, voguant sur l’ambiance d’un public tout acquis à sa cause… Nous voilà enfin, au troisième jour, partis des lieux avec le sentiment d’avoir réussi notre journée… Merci à Belin d’avoir magnifiquement lancé une journée très honorablement alimentée par ses successeurs.
Nous arrivons tardivement en ce jour de clôture, ratant malheureusement les très bons Murder Capital, pour le set brûlant de Airbourne, un set qui nous fera une nouvelle fois comprendre qu’on ne pourra pas passer indéfiniment à côté du Hellfest. Avec les Australiens, on se trouve au pays des AC/DC, Motorhead et autres Iron Maiden, sans chichis ni temps de pause. Champions du monde du lancer de gobelet de bière, Joel O’Keeffe se sera pour le moins employé pour communiquer son énergie et son étincelle, son amour du rock et de Lemmy. Alors soit, tout style se terminant par « … metal » en calmera certains, mais il est clair qu’en matière de show, il y a un savoir-faire de très longue date ! PLK passent par pertes et profits pour un placement préférenciel à la prestation de Sting, et ce, en connaissance de cause. L’artiste aura fait honneur à son précédent passage au festival. Sting fait partie de ces artistes où un concert ne ressemble ni à son précédent ni au suivant. Les ponts, les reprises, la communication avec le public, Sting est soit en maîtrise, soit il profite de l’engagement du public, surtout sur les phases Police. Mais du haut de ces 70 printemps, on ne voit guère qu’Iggy Pop pour le concurrencer dans de telles circonstances. Enfin, à l’image de PLK, nous laissons Boys Noize à leur public par souci de profiter au mieux de la clôture de ces 4 jours avec les « presque » feu Shaka Ponk. Les oreilles qui trainent nous feront entendre un set bien péchu, et sacrément engagé, entamant ce qu’il reste des organismes en ruines. Et nous voilà au set annoncé comme furieux, faisant écho à la dernière clôture faisant date : les Ting Tings qui commençait tant à dater. Que dire de ce moment avec ce groupe de fous ? Shaka Ponk s’est lancé dans une année de célébration en grande pompe de leur carrière. Si les concerts existent, c’est très certainement pour ce genre de moment, avec des artistes qui mettent leur santé, physique et mentale, en suspens pour un partage au premier degré. Sans être punk, métal ou je ne sais quoi encore, Shaka Ponk est certainement à ce jour ce qui rapproche le plus la musique live du « kiff ». Il y en a eu avant, il y en aura après, mais à ce jour, sur ce moment, en pleine sueur et sourire, le groupe nous aura fait toucher du doigt des sensations que nous croyions perdues. En résumé, le plus grand concert de ces 4 jours, la plus grande clôture en date du festival vieux de 15 ans.
Voilà achevée cette nouvelle session à l’ombre du chateau de Beauregard. Toujours plus familial, toujours plus jeune dans ses cibles. A tel point qu’on se demandait vendredi soir en quoi notre présence se justifiait ! Mais les deux derniers jours auront été animés d’une autre atmosphère, avec un peu plus de prise de risques et avec des artistes impliqués. Un festival, s’il se résume à des têtes d’affiches skyrock / fun radio agrémentées de « grands noms indé » qui produiraient la même prestation en playback ne nous emballera pas, c’est un euphémisme. En revanche, un line up avec un peu plus de risques, même sous contrôle, nous fera toujours vibrer. Difficile de choisir son camp, et ce n’est certainement pas l’idée de Beauregard, mais attention à la balance…