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Le lancement des concerts est assuré par les Spires et bien qu’en ce début de fiesta le festivalier soit particulièrement frais et dispos, état qu’il mettra des jours et des jours à retrouver après les excès en tout genre auxquels il aura pu se livrer durant la semaine, il ne semble pas enclin à approuver l’électro-pop clichée et ringarde que le trio anglais s’acharne à livrer. Puis vu le nombre impressionnant d’aller-retour, de sauts et de bonds venant du chanteur, il y avait forcément quelque chose. Ça en devenait louche. Un vide musical donc. « Much ado about nothing » dirait Shakespeare mais, qu’importe, la bonne humeur est là…
Qui ne faiblit pas, surtout pas pour accueillir celle qui affole le monde de la critique depuis la sortie fracassante de son premier album éponyme : Anna Calvi. Le niveau remonte d’un coup, boosté par la voix chaude et puissante de la belle. Et peut-être aussi par le coucher de soleil mais là n’est pas la question. Le dépaysement est en tout cas immédiat. Le Devil est bien là, dans une chemise rouge flamboyante, et glisse d’un univers à l’autre (blues, flamenco, folk, rock) avec un professionnalisme presque déconcertant. Révélation ? Puisqu’on vous le dit !
Dans la série « passe-ton-chemin » se trouve la brochette Russian Red, Julieta Venegas et Paolo Nutini. Bon, c’est vrai, c’est un peu exagéré. Les premiers, à la faveur d’une esthétique travaillée et de jolies mélodies distillent un folk qui tient la route (et accompagne très bien la pause dîner soit dit en passant). Lourdes Hernández, une petite voix quelque part entre Cat Power et Julia Stone, tire son épingle du jeu ; grand bien lui fasse car elle a le mérite de rehausser le niveau des groupes hispaniques présentés jusque là. Ce qui n’est pas le cas de celle qui braille plus haut que tout le monde, Julieta Venegas, sans compter le pseudo crooner écossais Paolo Nutini qui nous avait habitués à mieux.
Vient, sans conteste aucun, le meilleur de cette première nuit : Congotronics vs. Rockers. Pour la petite histoire, c’est le groupe congolais Konono N°1 qui est à l’origine de ces compilations sorties sur le label Crammed Discs. Puis à l’automne dernier, un nouveau disque présente des morceaux de la scène congolaise (Kasai Allstars en tête) revus et corrigés par de nombreux musiciens d’inspiration rock dont Deerhoof et Juana Molina. Parenthèse refermée. Sur scène, pas moins d’une vingtaine de personnes soit une formation en extra-large qui brasse tout ce beau monde. Une drôle d’expérience, un peu spirituelle, sûrement magnétique. Le public est happé dans un tourbillon de rythmiques endiablées, de sonorités brutes et entraînantes. L’originalité, l’incroyable fusion des genres met tout le monde d’accord. Deux heures de paix et de musique, il ne reste plus qu’à applaudir.
Gloire de la patrie ? Héros nationaux ? Vu l’accueil hallucinant réservé aux membres de Crystal Fighters, il y a de quoi se poser sérieusement la question. Puis tout s’explique : la formation s’avère hispano-anglaise. Imagine alors l’émoi qui s’est emparé de la foule lorsque les premières notes de Solar System ont résonnées. C’était fou, autant te dire que tout le monde était prêt pour aller à la plage avec eux (Plage). C’est sûr, nos amis mi-anglais mi-espagnols sont taillés pour la scène.
Du côté de la grande scène, un show explosif, celui des Streets. C’est vrai que ce serait dommage de se priver, paraît-il que c’est leur dernière tournée. Mike Skinner l’enfant terrible remue alors ciel et terre pour le plus grand plaisir d’un parterre composé d’anglais 100% pur jus (pure premium aussi). Que ce soit dans l’émotion (Blinded By The Light) ou dans l’agitation (Going Through Hell), la combinaison d’un chant vaguement rap scandé sur une base musicale réelle aux rythmes binaires bien calés marche encore et toujours.
Au tour de Pendulum de ressusciter les masses, qu’elles soient fatiguées, perchées, ivres ou les trois à la fois. Les six membres ne se font pas prier et se chargent très volontiers d’anéantir le public sous une pluie de beats tous plus lourds les uns que les autres, ce qui aurait pu suffire à notre bonheur si leurs mélodies mièvres ne venaient pas se greffer sur tous leurs morceaux. Okay, c’est leur marque de fabrique, tant pis pour l’ambiance free party vibración vibración sur fond de Drum’n’Bass. Mais si Linkin Park n’est pas à l’affiche, c’est qu’il y a bien une raison, non ?
Et tant pis pour Lesser Gods, la nuit s’achèvera ici. Il faut bien se remettre de ses émotions… et tenter de dormir un peu avant que le soleil ne soit haut dans le ciel, synonyme de méchante fournaise pour toute personne résidant en tente. Muy difícil, la fête à l’espagnole !
Le lendemain, rebelote ! En début de soirée, on se retrouve tirés de notre torpeur par une reprise (ô combien personnelle, si tu vois ce que je veux dire) du Jumping Jack Flash des Rolling Stones. Du coup, on se lève, on se bouge du camping et on va voir ce que tout ce cirque signifie. Et on se retrouve nez-à-nez avec les 1945, un quintet de jeunes londoniens. Un pop-rock des plus basiques, sans grand intérêt aucun si ce n’est une énergie communicative. L’intention est là malgré des influences encore trop présentes ; la route sera encore longue pour eux.
Entre Brandon Flowers et les Undertones, autant te dire que le choix est vite fait. La voix des Killers ne fait pas le poids face aux vieux punks qui roulent leur bosse depuis un paquet d’années. Pour t’éviter le traditionnel « oui, ils sont vieux mais, non, leurs morceaux n’ont pas pris une ride », on va se débrouiller autrement. Venus rejouer leur mythique premier album éponyme, le show s’est révélé incroyablement frais. Ils ont tout pigé : les tubes à gogo (Teenage Kick et Jimmy Jimmy pour ne citer qu’eux), les traits d’esprit pour prouver qu’ils ont encore leur mot à dire et de l’énergie à revendre. La recette est imparable et, résultat, tu ne sais plus très bien si c’est à cause de la bière qui vole dans tous les sens ou de la sueur que t’es trempé.
Vite, vite, vite, on enchaîne avec les talentueux Herman Düne qui remontent sur scène pour leur deuxième FIB. Un concert maîtrisé de bout en bout, la pause folk qui fait du bien aux tympans. Beaucoup de titres issus de leur dernier opus mais pas que, joués avec beaucoup d’élégance et d’humilité. Un groupe à part dans la programmation du festival, loin de la superbe affichée par d’autres. Le public, présent en grand nombre, ne s’y est pas trompé et le leur rendra bien.
Enfin, comme si la dose de punk administrée par les Undertones n’était pas suffisante, tu ne vois pas qu’on retourne en prendre une autre. Et quelle autre ! Avec Art Brut, sous la houlette de l’excentrique Eddie Argos, de son insolence, de sa désinvolture et de sa fougue. Ce mec-là, c’est le rock’n’roll incarné, tel qu’il devrait être plus souvent. Voilà un groupe qu’il faut absolument voir sur scène, c’est là que ça se passe. Entre My Little Brother et Modern Art, impossible de rester en place, littéralement bousculé par un leader survolté qui vient pousser la chansonnette à côté de toi, avec toi, dans le public. Que veux-tu de plus ?
Un bref détour par les Stranglers qui, lucides quant au fait qu’ils perdront la majeure partie de leur public dès que les très attendus Strokes débuteront leur set, s’empressent de nous livrer les incontournables Peaches, Golden Brown et Always The Sun, sans grande conviction cependant. Presque à bout de souffle, plus portés par la foule qu’autre chose, ils paraissent tous épuisés rien qu’à la perspective de devoir finir ce qu’ils ont commencés, à savoir leur concert. Pour le coup, eux, ils ont vieillis.
Les choses sont tout de suite plus compliquées pour les Strokes. Parce que c’est un groupe phare des 00’s et qu’il paraît à la limite du supportable de les voir dans ce piteux état. Plus ça va, moins ils donnent envie. Et le spectacle de ce soir ne fait que confirmer un déclin déjà trop entamé. Reste à savoir combien de temps encore cela durera. Du côté de la musique, chacun dans son coin, il n’y a rien à dire, ils sont au top et maîtrisent leur instrument à la perfection. Les singles s’enchaînent, les miettes de leur ancien prestige s’éparpillent devant un public conquis d’avance. Stupide public. Parce que du côté de la performance, rien, nada. Aucun esprit de groupe, aucune envie commune de toute évidence. C’est du gâchis, ils sont morts.
Repli imminent sur Zombie Zombie donc, l’incontestable révélation de la soirée. Que les Strokes aillent se rhabiller, les choses sont bien meilleures par ici. L’électro du duo français se barre dans le psychédélisme le plus total et le public, hélas trop épars, n’a d’autre choix que d’être pris aux tripes, sous l’emprise hypnotique des ondes qui déferlent sur la plus petite scène du festival. Suit le conseil : When I Scream You Scream. Laisse tomber la drogue et vibrons à l’unisson car c’est dé-men-tiel. Chapeau bas à ces deux allumés que sont Etienne Jaumet et Néman.
Rien à signaler du côté de James Murphy. Désormais en solo depuis l’annonce récente de la dissolution de LCD Soundsystem, ses platines averties en ont vu d’autres et mènent le set à la baguette. Fidèle à lui-même, il parvient à faire danser le festival entier (ou plutôt ce qu’il en reste) sur un son électro-dance ; une valeur sûre, comme qui dirait.
Cette fois-ci, ce seront les premières notes de Lovesick des Friendly Fires qui accompagneront le trajet du retour. Une nouvelle nuit bien remplie, marquée des assauts punks revigorants des survivants Undertones et du très énervé Eddie Argos ainsi que du label qualité française qui se défend beaucoup mieux que certaines têtes d’affiches.
Comment te dire, à ce moment-là du festival, la fatigue commence à se faire vivement ressentir. Seulement, quand il s’agit d’aller applaudir nos amis australiens de Tame Impala, on met tout ça de côté et on y court. Bon, sur scène, on ne peut pas dire que ça s’excite des masses mais ils sont tout excusés parce que, côté musique, il n’y a pas à dire, ça dépote quand même bien. Un groove prenant, un psychédélisme évident, et te voici dans une autre dimension. Solitude Is Bliss est là pour te convaincre, Runaway pour t’achever. Par contre, ils auraient gagné à se produire sur une plus petite scène ; l’emprise aurait été totale.
Direction Spectrals, où il fait bon grignoter des patatas fritas tout en se délectant de ballades pop qui semblent propulsées tout droit des 60’s et qui font des merveilles. La bande-son parfaite pour les vacances, la musique idéale pour succéder à Tame Impala. C’est tout beau, tout doux. La preuve avec I Ran With Love But I Couldn’t Keep Up qui ne manque pas de faire vibrer la corde sensible de son auditoire. Une chouette mise en jambe pour affronter cette troisième nuit de festival.
Avec Bombay Bicycle Club, ce sont plutôt les 80’s qui seraient à l’honneur. Non loin de toute la clique « Rakes-et-compagnie », le quatuor londonien mêle influences brit-pop et coldwave. Ce qui passe pour un groupe d’une banalité sans bornes s’en sort très bien. C’est l’avantage de les voir en direct live ; leurs morceaux prennent une autre dimension et trouvent une profondeur toute nouvelle. Gaffe cependant, trop de revival tue le revival…
Sur les Mumford & Sons je passerai rapidement. Il n’y a rien de très positif à évoquer. Distillant une sorte de folk fm pseudo larmoyant, ils offrent un concert qui semble complètement formaté mais le plus curieux dans cette histoire reste qu’ils demeurent encensés par une foule en délire qui se compacte de plus en plus devant la grande scène. Effet Arctic Monkeys ?
Puis Beirut. Avec son côté fête foraine, ses cuivres chaleureux et son rythme entraînant, c’est le groupe à festivals par excellence. Et ça n’a pas loupé ! Cette large formation de multi-instrumentistes sait comment réjouir les oreilles de son auditoire, si sensibles et si malmenées en cette période intense en concerts. A la croisée des cultures slaves et occidentales, Beirut délivre un spectacle joyeux, authentique et festif durant lequel résonneront les biens connus Elephant Gun et Nantes. Dommage que certains ne résistent pas à l’appel de la grande scène, sur laquelle les singes arctiques débutent tout juste leur performance…
Pour accueillir le phénomène Arctic Monkeys, je te laisse deviner l’état dans lequel se trouve la fosse. Faut dire qu’il se trouve environ cinquante pourcent de festivaliers britanniques, ici gonflés à bloc (comprendre tout plein de bières) pour soutenir leurs chouchous de Sheffield. Forcément, ça fait du bruit. Le quatuor n’est pourtant pas réputé pour la qualité de ses concerts. D’où un gros apriori. Puis, non, on semble éviter le pire. La machine à tubes est lancée et tout y passe, de When The Sun Goes Down à Brianstorm en passant par Crying Lightning mais oublie d’être convaincante. Et si ça a le mérite d’être efficace, ça a aussi le désagrément d’être chiant, autant se faire l’intégrale des singles chez soi.
Quant à Primal Scream, les choses sont d’un autre niveau. Si tu écoutes nos voisins de tente, c’est le meilleur concert de tout le festival. Sans aller jusque là, il faut bien reconnaître qu’il se hisse dans le top five sans problème. Bobby Gillespie, quoi. Ce mec est une légende ! Et si tu ne l’as pas compris ce soir avec une bonne dizaine de titres, c’est qu’il y a un souci. Accompagné d’une alliée de taille, une choriste à la voix puissante et imposante, le mythique « Screamadelica » retrouve ses lettres de noblesse et résonnera encore longtemps dans nos enceintes.
Enfin, comme à l’accoutumée, on finit par basculer du côté obscur de la force et se remuer salement sur le mix fiévreux de Fake Blood. Cependant, le son dancefloor du jeune britannique ne parvient pas à te faire oublier que tes pieds morflent depuis déjà dix petites heures. Quand ça ne veut pas, ça ne veut pas… retour au bercail imminent ; demain, ce sera fou.
En cette dernière nuit de festival, c’est le rock expérimental surpuissant du quatuor And So I Watch You From Afar qui te salue à ton arrivée. L’artillerie lourde est sortie et ça marche plutôt bien pour te mettre en jambe. Le flux musical progresse, présentant un ensemble finalement assez subtil et harmonieux, mais finit par lasser et taper sérieusement sur le système ; je ne résiste pas plus longtemps à l’appel du hot dog du stand d’à-côté.
Pas moins bruyant mais nettement plus accessible pour le festivalier moyen, on file bien vite retrouver les gallois de Joy Formidable. Leurs petites mines pâlottes contrastent avec celles de l’assemblée (bronzées avec option sur le rouge tendance écrevisse) mais leur set va à toute vitesse et injecte une dose de peps impressionnante. Rien n’arrête la bande de la volcanique miss Ritzy Bryan si ce n’est les trois quarts d’heure réglementaires du set… dommage !
On passe la troisième vitesse avec Veronica Falls, un groupe tout mignon tout plein. Entre pop et shoegaze, les quatre jeunes londoniens font rosir nos oreilles de plaisir avec des petites merveilles de l’acabit de Found Love In A Graveyard. C’est frais, pile ce dont tu as besoin pour te remettre de tes émotions avec les deux poids lourds du haut. Et un bon point, un.
Quitte à faire dans le stéréotype, autant y aller à fond. Avec moult « Get ready for Professor Green! » beuglés à tord et à travers sur des titres dance dégoulinants de mauvais goût en guise d’introduction, soit sûr que l’énergumène ne t’épargnera rien. Un rap creux au possible, un flow médiocre et un attirail tout ce qu’il y a de plus cliché. Bref, un concert à fuir. La foule en redemande, c’est trop, on s’arrache.
Portishead, c’est brut d’émotions. C’est sensuel aussi. Avec le timbre presque défaillant de Beth Gibbons, qui ne fait qu’un avec le micro, un vent de bonheur souffle sur la grande scène. Comme si tu flottais hors du temps, le trip-hop du groupe t’envoute avec Hunter, Glory Box et Cowboys. Malgré cela, difficile de prêter à Portishead un set à la hauteur des plus réussis de ces derniers jours. Il semble davantage adapté à une salle à taille humaine et à une atmosphère plus cosy, intime qu’à l’ambiance festoche où il prend le risque de devenir plombant, surtout à la veille de la clôture du festival.
Ce à quoi The Go! Team remédiera sans aucun problème, porté par l’extravagante et l’énergique Ninja. La température remonte subitement, encouragée par les morceaux funky à souhait qui s’enchaînent sans trêve, repris en chœur par la foule, et le rythme fou qu’imposent les percussions. C’est une véritable T.O.R.N.A.D.O. qui s’abat sur la moyenne scène du festival, un concert sur lequel il fait bon se trémousser. D’ailleurs, je mets au défi quiconque de rester de marbre devant un show aussi vif et prenant. Un sans faute, donc.
Direction Arcade Fire pour finir le festival en grandes pompes. Il faut dire que les canadiens n’ont pas pour habitude de taper dans le minimal. Le show ouvre sur un Ready To Start grandiloquent. Sur scène, rien de très spectaculaire, quelques guirlandes de fête foraine seulement, force est de constater que le temps de la grand-messe est révolu. Finalement, le spectacle réside davantage dans l’émotion véhiculée. Et tu parles d’une émotion, ça marche à tous les coups ! Des chœurs emphatiques taillés pour te faire chouiner, une effusion de mélodies poignantes et, pour résultat, une bouffée d’adrénaline qui te rend tout chose. La foule est en adoration ; un culte unique, plusieurs milliers de fidèles.
Mention spéciale pour les funkeux de Pigbag (big up James Brown, tu l’auras compris) qui se voient contraint de faire face à un festival qui désemplit de plus en plus. Leur groove imparable ne manque pas d’accompagner et de rythmer nos derniers pas sur le sol du festival. La fin se fera sur la playa, à boulotter moult donuts (spécialités hispaniques bien connues) face à un royal lever de soleil, puis cette petite station balnéaire, royaume des britanniques pour un temps, retrouvera le calme. Et si tu veux en savoir plus sur l’envers du décor, plonge-toi dans la lecture de cet article : http://societe.fluctuat.net/blog/49860-au-festival-de-benicassim-les-anglais-sont-rois.html
Crédit photo : Louise Bonnard