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19H. Le premier concert du festival Mo’Fo commence pile à l’heure sur la scène Mo’, qui réunit les spectateurs les plus ponctuels.
Il s’agit de This Is The Kit, le projet de la chanteuse-guitariste Kate Stables. Ses chansons folk sont intimistes et délicates, sa voix est à la fois chaude et apaisante. Elle-même dégage quelque chose de touchant, avec son air malicieux et sa façon de chanter sur la pointe des pieds pour atteindre son micro volontairement placé un peu haut. Jesse D. Vernon (avec lequel elle officie également au sein de Morning Star) l’accompagne de façon discrète, tantôt à la guitare tantôt aux percussions, ce qui apporte une petite touche supplémentaire de fraîcheur.
Le show suivant peut alors prendre place sur la scène Fo, puisque la coutume proscrit ici le chevauchement de deux concerts ‘ avec en pratique quelques dérogations. Le trio Lapin Machin propose un véritable bric-à-brac acoustique, punkisant sur les bords, jamais très loin de la folie des Moldy Peaches et de la clique antifolk new-yorkaise. Débordant d’énergie et malheureusement très brouillon, le show de ces Parisiens dynamite les frontières musicales, mais frôle l’explosion en plein vol.
Le groupe français Cyann & Ben est habitué du Mo’Fo. Cette année, le public peut découvrir quelques titres inédits, en prélude à la sortie d’un nouvel album prévu pour septembre. Le quatuor réussit comme toujours à installer un climat chargé d’intensité et de tension, avec son post-rock d’abord lent et mélodique puis subtilement explosif. Il semble toutefois se diriger à présent vers une voie plus noisy, les déflagrations sonores prenant apparemment le pas sur les mélodies. Les morceaux s’enchaînent rapidement, sans véritable pause, ce qui maintient la pression latente. Mais ce set, resserré sur une bonne demi-heure, est décidément trop court.
The Frank & Walters ont connu leur (quart d’) heure de gloire au début des années 90, se payant le luxe à l’époque d’inviter Radiohead ou Suede en première partie de leurs tournées ! Sous une chaleur étouffante, le chanteur Paul Linehan mouille la chemise, qu’il ne tarde d’ailleurs pas à quitter. Très en forme, il agrémente une setlist nostalgique de commentaires décalés et rafraîchissants, dans une auto-dérision toute britannique. La guitare de Kevin Pedreschi égrène de jolis arpèges clairs ‘ malheureusement étouffés par un son médiocre ‘ au service d’une power-pop sous haute influence Wedding Present ou La’s.
Le public se presse en masse autour de la scène Mo’ pour le live de Why’. La prestation des Américains risque de faire monter un peu plus la température. Au centre de la scène, debout devant son clavier et épaulé par deux musiciens, Yoni Wolf livre un set très intense, oscillant entre un noisy-rock et un hip-hop hybride, flirtant toujours avec l’expérimentation et les bricolages sonores. Son interprétation, immédiatement reconnaissable par sa voix nasillarde et son flow de MC nonchalant, est tonitruante. Un univers loufoque, sombre et innovant. Un artiste un peu en marge du reste de la programmation de Mo’Fo, et dont la prestation restera à coup sûr l’un des temps les plus forts de ce festival.
The Gossip trio américain chouchou de Sonic Youth, propose une recette disco-punk ayant déjà fait ses preuves. Mais le groupe dispose d’un atout de taille : le charisme et la voix de Beth Gitto, au coffre soul sauvage et rageur. Des morceaux imparables, taillés pour mettre le feu dans une salle, et qui fonctionnent immédiatement, servis par une énergie débordante et tellement communicative’ Comment ne pas accrocher sur des titres aussi efficaces que Listen Up ou Yr Mangled Heart ‘ Beth Gitto est en nage mais maîtrise parfaitement son sujet, pour le plus grand plaisir du public qui en redemande encore. Et nous aussi !
Dans un style nettement moins euphorisant, les Silver Jews électrisent des spectateurs en état d’excitation. Pour leur premier set parisien depuis leur formation en 1989, David Berman et sa ravissante bassiste tiennent la vedette et se réservent les plus vives clameurs. Ces folk-songs chaloupées et électriques (pas moins de trois guitares sur scène) peuvent prêter à sourire, tant elles paraissent anachroniques, des années après la disparition des Pavement, Palace et autres Sebadoh. Et pourtant, leur charme bancal agit toujours. Une rythmique nonchalante, une voix oisive et dissonante, des mélodies qui font mouche, il n’en faut guère plus à David Berman ‘ le plus ancien barbu de la soirée ‘ pour s’offrir un véritable bain de foule à sa sortie de scène.
La seconde journée du festival démarre dans un maelstrom de décibels, avec le post-punk nihiliste de Lawrence Wasser. Affublés chacun d’un masque de lapins, ces Français s’adonnent à un rock arty dans la lignée des expérimentations bruitistes de Liars. Dérouté et sceptique, le public se dirige vers la scène Fo à la recherche de découvertes musicales moins hermétiques.
Friction se montre bien plus convaincant, avec un cocktail empruntant autant aux rythmiques saccadées du post-punk qu’à la fièvre incandescente du noisy-rock. Les montées électriques souffrent parfois de l’absence de débouchés mélodiques, mais l’ensemble reste extrêmement solide. En activité depuis 1992, ce trio bordelais se risque même à introduire quelques éléments électroniques bienvenus. En témoigne l’efficace Superior Being. Scéniquement, le groupe assure aussi le spectacle ‘ un batteur jouant debout, un chanteur à la gestuelle robotique. Sans conteste l’une des révélations du festival !
Le duo franco-américain The Berg Sans Nipple est épatant. Mélange torturé de douceur et de violence, ses explorations sonores se situent au carrefour du post-rock et de l’électronica expérimentale (sorte de mélange de Do Make Say Think, Sigur Ros et des Boards of Canada). Les morceaux en live reflètent parfaitement le climat à la fois envoûtant et oppressant qui se dégage de ses disques, tout en apportant une dimension supplémentaire : une intensité sonore foncièrement scotchante.
Membres de la communauté de l’Eglise des Perruches, sorte de secte virtuelle, les quatre membres canadiens de Duchess Says ont pour but de donner une représentation fidèle de leur Duchesse (c’est à dire la perruche spirituelle), à travers leurs performances live. Tout un programme qui en dit long sur l’état d’esprit du groupe ! Sur scène, ce punk-rock clash à la sauce new-wave est impressionnant’ tout particulièrement grâce à la personnalité de la chanteuse (Annie-Claude). Déjantée à souhait, elle hurle de façon hystérique, quitte la scène pour traverser le public sur les épaules d’un spectateur tout en continuant de chanter, et s’avère être une championne des interventions loufoques entre les morceaux.
Pas de répit, on enchaîne sur le concert des compatriotes des Duchess Says, les Georges Leningrad. On dit d’eux qu’ils sont le groupe le plus fou de Montréal, avec à l’appui un post-punk new-wave décadent et dévastateur. Alléchant mais au final, on tombe sur un tapage sonore indéfinissable et complètement bordélique. Too much. A ceux qui y voient un humour décalé et branché’ on répondra grosse farce de mauvais goût. On passe notre chemin, sans rester jusqu’à la fin.
Suivent d’autres Québécois, We Are Wolves, compagnons de route des précédents. Les guitares nerveuses sont toujours de mise, les rythmiques martiales ne faiblissent pas’ On finit par se lasser de ce chaos sonore interminable et sur-représenté ce soir.
Autre tête d’affiche du festival, chauve et sans barbe celle-ci, A Certain Ratio déboule devant un public moins nombreux que la veille. Quand Joy Division rencontre le funk et les musiques latines, voilà la formule d’ACR, un des premiers groupes à avoir rejoint en 1977 le label mythique Factory. Réussissant le grand écart entre la froideur de la new-wave (le socle du son ACR), l’aspect festif sud-américain (mis en avant par les différentes percus) et la profondeur soul (une chanteuse à la voix chaude), A Certain Ratio étonne en live tant l’alliage de sonorités métalliques et groovy fonctionne. La fin du concert vire carrément à une ambiance carnaval et samba. Il est vrai que le quart de finale France-Brésil du lendemain commence à hanter tous les esprits !