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Il était dit que cette soirée serait placée sous le signe de l’exigence et, en première partie, c’est Xylouris/White, soit un duo composé de Jim White, batteur des Dirty three, et Giorgos Xylouris, luthiste spécialiste de la musique crétoise, qui ouvre les hostilités. Dès les premières secondes, le duo impose des morceaux à la forme libre portés par une virtuosité qui impressionne. La complicité est totale du début à la fin, les quelques passages chantés un peu moins convaincants, mais la performance reste de haut vol.
Après un passage obligé côté bar, quand on revient dans la salle, un grand écran noir a envahi le fond de scène, un léger drone inquiétant vrombit doucement. Quand les lumières s’éteignent, l’attente est énorme, palpable, au point que c’est presque dans le silence que Godspeed You ! Black Emperor investit la scène au fur et à mesure. Sophie Trudeau au violon et Thierry Amar à la contrebasse sont les premiers en action, bientôt rejoints par les autres. De longues notes de violon s’installent tandis que vacille une image incertaine sur l’écran. En quelques minutes, le climat est posé, l’emprise totale. Le groupe enchaîne sur un long morceau splendide de tension retenue, on sent les guitares prêtes à exploser, le jeu de batterie d’Aidan Girt , qui contribue à faire imperceptiblement monter le crescendo, est époustouflant, et sur l’écran scindé en deux défilent des images de gratte-ciel en construction qui donnent le vertige, des séries de chiffres potentiellement absurdes. La troupe lâche ensuite sa fureur retenue dans une version cataclysmique de Mladic, puis enchaîne sans temps mort avec un morceau d’une beauté à pleurer qui s’ouvre encore une fois sur une longue plage splendide de violon. Sophie Trudeau assure d’ailleurs toutes les transitions entre les morceaux avec un aplomb et une justesse qui forcent le respect, la lumière de la soirée, c’est assurément elle.
Tandis que le groupe développe sa prestation, on comprend qu’il est entré dans une nouvelle ère : bien sûr, ce qui fait l’ADN de Godspeed est là, mais, comme sur disque, il délaisse son versant le plus symphonique (aucun morceau de « Lift Your Skinny Fists… » ou de « Slow Riot… » au programme) au profit de constructions plus tendues, plus tenues, à l’image de Peasantry Or Light…, morceau d’ouverture du dernier album en date. C’est néanmoins avec un retour à son premier album qu’il clôt sa prestation, alliant beauté pure sur la première moitié avec une puissance dévastatrice sans égal sur le final. Un long larsen prolonge le moment tandis que, un par un, les musiciens quittent la scène, ou s’effacent, devrait-on dire, tant on sent une volonté chez eux de ne jamais passer avant leur musique. Un bref petit geste d’au revoir, c’est tout et c’est très bien. Pas de rappel, évidemment, la prestation a une telle unité dans sa construction que ce serait incongru, et plus de deux heures de concert sans aucun temps mort. Ce groupe est grand, très très grand.