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Voilà déjà quinze ans que la Route du Rock est l’un des lieux essentiels pour tout festivalier passionné d’indierock et musiques affiliées. C’est toujours avec un plaisir certain que l’on retrouve le charme du Fort de Saint-Père, pour un festival à visage humain.
Pour cause d’anniversaire, la programmation cette année fait la part belle aux années 1990, c’est pourtant avec des groupes bien actuels que s’ouvre la soirée, puisque ce sont les Anglais d‘Art Brut, tout droit sorti de l’écurie Fierce Panda, qui s’emparent du micro. Au programme un bon moment de rock, accent cockney droit devant pour Eddie Argos et sa joyeuse bande, qui offre aux premiers spectateurs une bonne entrée en matière.
Rock toujours avec les Hollandais de Alamo Race Track dont nous avions déjà apprécié le travail sur leur premier album, « Birds at Home » (lire la chronique). Les Bataves enchaînent des chansons pop qui ne sont pas sans rappeler celles d’Interpol, notamment en raison du chant. La deuxième partie du set tombe malheureusement dans des penchants blues-rock plus aléatoires et donnant à l’ensemble une hétérogénéité décevante. Le groupe sait néanmoins se faire séduisant et laisse entrevoir un bel avenir, si celui-ci arrive à maîtriser un peu plus ses écarts.
Alors que la nuit tombe sur le site, le premier groupe emblématique de la décennie précédente fait son entrée sur scène. The Wedding Present offre à un public déjà acquis, un set énergique mené par une section rythmique efficace, grosse caisse et basse étant mises trop en avant pendant l’ensemble de la soirée. Mais sans aucun doute sous le charme de Terry de Castro, des Fender jaune et turquoise de Simon Cleave, noisy et abrasives, alors que David Gedge se bonifie sans aucun doute avec le nombre des années et c’est tant mieux.
Autre pilier de cette soirée, Yo La Tengo aura sans doute déconcerté les auditeurs les moins aguerris, tant la diversité est développée par le groupe comme un art de vivre et de pensée. Ainsi s’enchaînent morceaux parfois lo-fi, clavier deux batteries, puis rock noisy dans des crépitements et autres déflagrations sonores. Des jeux vocaux à trois, une petite chorégraphie, un pas sur le côté et le groupe d’Oboken nous dépayse par son approche musicale atypique et sa tendre bonhomie.
On est pourtant encore loin du bonheur simple que va nous procurer Mercury Rev. En effet, sur fond de vidéos et citations cinématographiques des plus variées, allant de « E.T. » au « Rocky Horror Picture Show » en passant par « 2001, L’Odysée de l’Espace », le groupe nous entraîne au pays de la pop ultime. Des mélodies d’orfèvre pour de petits bijoux indés avec un chant caractéristique qui s’envole dans les attitudes théâtrales de Jonathan Donahue. Que dire si ce n’est que tout est parfait dans cette pop symphonique, moment de pur délice.
Un peu compliqué alors de terminer la soirée après cette prestation. The National s’y colle malgré tout, réalisant un set pas désagréable, mais dont le rock élégant, souvent mid-tempo et un peu trop linéaire, fait retomber le charme auquel nous avions succombé. Dommage que les Américains n’aient pas été programmés plus tôt dans la soirée, nous les aurions sans doute appréciés plus à leur valeur.
Journée phare du festival. La prestation de Camille, dans l’après-midi, au Palais du Grand Large, affichait déjà complet puisque « Le Fil » est, dans l’année, rapidement devenu d’or. Cette nuit, ce sont prêt de 12 000 personnes qui ont fait le déplacement pour l’événement. Conséquence de cette vague curiste, une file de voitures qui avancent au pas de la sortie Route du Rock sur la N 137 au parking champêtre. Et le site du Fort de Saint-Père compte presque deux fois plus de public que la veille. Malheureusement tout ce retard privera notre équipe de la première prestation en France des Canadiennes de The Organ dont l’album « Grab That Gun » est sorti chez Talitres, ainsi que celle du parisien Marc Nguyen Tan a.k.a Colder.
Cet enfermement automobile a créé un certain énervement dans le public que The Raveonettes vont vite canaliser à leur avantage. En effet, les Danois assurent un set rock qui aime lorgner du côté des sixties. Entre énergie rêche et douceur subtile, on se laisse prendre par ces mélodies accrocheuses délicieusement portées par l’attractive et plantureuse Sharin Foo, qui prépare idéalement le terrain pour la tête d’affiche de cette quinzième édition.
Sans pour autant être ma ‘bête noire’, The Cure, outre quelques incontournables singles, m’a toujours laissé relativement froid. Pourtant c’est bien Robert Smith et sa (vieille) bande que le public, déplacé en masse, est venu voir. De moins en moins de corbacks mais beaucoup de couples, la quarantaine avec enfants (« Papa, c’est qui la grosse dame qui chante ? ») mais lorsque la lumière s’éteint, chacun retrouve sa ligne et son âme d’adolescent. Le groupe enchaîne alors les titres de l’ensemble de sa discographie et plus particulièrement de la fameuse trilogie « Seventeen Seconds », « Faith », « Pornography ». La réactivité reste néanmoins plus grande sur les incontournables Lullaby, 10-15 et en dernier rappel, Boys don’t cry. Pour ce seul concert en France cet été de The Cure, avec à la guitare l’indispensable Porl Thompson de nouveau au poste, autant dire que les 2h15 ont comblé les fans. Peut-être un peu long dans le cadre d’un festival, surtout lorsque que ce n’est pas le groupe qui conclue la soirée? Beau cadeau néanmoins des organisateurs aux fidèles de la Route du Rock !
?!? ? non ! C’est !!!, prononcez Chk Chk Chk, qui conclue cette soirée sur les chapeaux de roues. Joyeuses bandes qui, pour reprendre deux groupes de l’édition précédente, lieraient l’ambiance bordélique du Beta Band à l’énergie non-stop de Peaches. Mais les comparaisons s’arrêteront là, car les Américains, signés sur le label Warp, font une musique qui réunit une rythmique, parfois triple, des plus percutantes, une basse groove à la rondeur entraînante et un funk-electro qui animera -outre son chanteur en t-shirt rose, mini-short bleu et boucle folle- la fosse jusqu’à trois heures du matin. Une belle idée pour finir sa journée et sans doute un album à se procurer pour faire frissonner le dancefloor de votre prochaine soirée.
Derrière journée du festival qui commence par la prestation de Boom Bip, lui aussi hébergé par Warp via sa division Lex. Bryan Hollon est néanmoins passé d’un hip-hop bariolé à une electronica qui correspond un peu plus aux habitudes de la maison. Il va lorgner du côté du rock sur scène, se défaisant ainsi des étiquettes pour mieux renouveler, comme son ami Buck 65, un genre par trop souvent sclérosé. Un artiste sans aucun doute à suivre.
Dans la lignée de Franz Ferdinand, Maxïmo Park pratique un rock teigneux qui n’est pas non plus sans rappeler Interpol ou même certaines chansons des Smiths. Les guitares sont tranchantes et accentuent l’efficacité des mélodies de cette bande de Newcastle. Arriveront-ils néanmoins à survivre parmi cette vague rock qui voit tous les jours apparaître un nouveau meilleur groupe de l’année ? Nous le leur souhaitons en tout cas.
Sans aucun doute l’une des révélations de cette édition, The Polyphonic Spree ont enchanté le public avec leurs chants d’amours, grand messe de la pop psychédélique. Ces vingt-deux texans, vêtus de toges turquoises, puisent dans la multiplicité de leurs instruments (guitares, piano, deux batteries, violon, harpe, cor, flûte ou choeurs à gogo), de quoi tirer des sourires béats aux plus réfractaires. La fête et la joie de faire de la musique ensemble sont partagées aussi bien sur scène, que dans le Fort de Saint-Père, plongé dans une machine à remonter le temps bloquée sur la fin des sixties et la première moitié des seventies. Un régal à voir de toute urgence !
On est alors bien loin des expérimentations sonores de Sonic Youth, mais la famille indé est grande et (on l’espère le plus souvent) tolérante. C’est donc avec un plaisir non dissimulé que le public accueille nos quadras new-yorkais, groupe symbole des années 1990. Ils n’en ont pas pour autant perdu leur créativité, notamment avec l’arrivée dans leurs rangs de Jim O’Rourke qui alterne désormais guitare et basse avec Kim Gordon. Au programme, aussi bien des morceaux récents que des extraits des mythiques « Goo » et « Dirty ». Bien de quoi satisfaire les fans de toutes générations, même les plus extrêmes, avec toujours entre deux chansons, des déflagrations et autres explosions de guitares en larsens. Ils nous rappellent ainsi à qui refuserait de l’entendre, que c’est ainsi qu’ils pratiquent le rock, exigeants, depuis toujours !
On avait découvert Metric sur la BO de « Clean » d’Olivier Assayas, depuis on s’est laissé prendre par le charme de l’album « Old World Underground, Where Are You Now ? » et sans aucun doute, pour certains, par celui de sa chanteuse Emily Haines, désormais blonde, qui entraîne ses drilles dans un rock, souvent electro, concentré de vitalité accru par ses déhanchements mécaniques. Fragile en apparence, elle devient le véritable maître de jeu, lorsque la musique se met en marche. Metric confirme ainsi sur scène tout le bien que l’on pouvait déjà penser du groupe sur son album.
C’est bien loin d’être le cas de Vive La Fête, sans aucun doute le seul véritable point noir de cette Route du Rock qui jusque là frôlait la perfection. Il va falloir penser à arrêter de s’extasier devant ce groupe (trop) tendance qui cache derrière sa nationalité belge et son leader, ancien membre de dEUS, un bien affligeant spectacle. Sous couvert d’étiquette arty et de défilé Chanel, la vulgarité d’Els Pyroo n’est pas sans évoquer une Brigitte Bardot de seconde zone, assurant, grâce à un non-chant poussif sur des beats technoïdes, l’animation d’un quelconque stand d’auto-tamponneuses de fête foraine à Namur. Certains y verront peut-être un second degré, il faudra le chercher bien plus loin, et en tout cas, sans nous !
Pour cette édition anniversaire, la Route du Rock bat malgré cela ses records d’affluence avec près de 27 000 personnes sur les trois jours. En préservant cette exigence et qualité de programmation, sans pour autant jouer sur un élitisme ou sur les effets de mode, le Festival s’assoit définitivement comme l’un des points forts de l’été musical. Encore bravo !