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La nuit s’est engouffrée dans la ville. Pigalle revêt ses vêtements de lumière fanée et, alors que le Moulin Rouge ou le O’Sullivan reçoivent leur clientèle habituelle, avec son lot de touristes venus dans le quartier pour s’encanailler, c’est une faune à part qui pénètre dans la Locomotive. Vêtus pour la plus grande majorité de noir, look soigné, marqué, quelques vampires de rigueur et nous voici plongés en plein univers goth.
Pourtant la soirée était une spéciale Prikosnovénie, label world féerique, mais sans doute sous sa face la plus sombre. Et pour commencer, le groupe japonais Jack or Jive. Ou disons plutôt sa chanteuse, Chako, puisque Makoto Hattori reste backstage pour s’activer sur ses machines. L’ensemble est (potentiellement) intéressant : des basses et des tempos proches de l’infra, des lignes mélodiques relativement minimalistes qu’elles soient électros ou acoustiques, des murmures féminins ou masculins sur lesquels Chako, tout droit sortie d’un « Histoire de Fantôme Chinois » (enfin nippon), vient poser une voix de type heavenly parfois au bord de la performance. Tout ça pourrait fort bien fonctionner si celle-ci n’était pas fausse la plupart du temps. Ce qui est peu perceptible sur disque devient quasi constant sur scène. Dommage.
D’un duo caché, on passe à un duo réel, avec Clair Obscur qui entre sur scène après La ballade des Gens Heureux de Gérard Lenorman. Le groupe des frères Demarthe, reformé depuis novembre dernier après une absence de sept ans, emblématique de la scène hexagonale des années 1980, se partage entre des ambiances relativement post-rock grâce à une guitare très aérienne, et des mélodies électroniques. Des beats parfois tout à fait technoïdes viennent marteler l’ensemble. Peut-être un peu trop « arty », l’ensemble est plutôt séduisant. Le chant varie de simples paroles, à cris, en passant par des voix de tête, en allemand, en français et en anglais. Et comme, le groupe à toujours lié images et sons, celles-ci se projettent en fond de scène, tantôt militantes, exposant une vision crue de certaines situations ou conflits géopolitiques, parfois cinématographique avec l’utilisation d’extraits de « Vivement Dimanche » de Truffaut, enfin surréaliste avec ce ballet nautique issu d’un film américain des 60’s. Un tout intéressant.
Arrivent enfin les très attendus Collection d’Arnell-Andréa. Bien loin du néo-romantisme de « Tristesse des Mânes » qui finalement ne constitue qu’une parenthèse dans leur discographie, le septet dévoile un set cold wave énergique. C’est en effet une section rock puissante qui s’active sur scène. La basse va à l’essentiel, la guitare est saturée et assène des riffs hypnotiques, les machines assurent des rythmiques lourdes. Violon, violoncelle et claviers viennent le plus souvent appuyer cette base plutôt qu’ils ne s’en détachent. Seule la voix de Chloé Saint-Liphard s’élève des profondeurs pour nous séduire. Fragile en apparence, elle se révèle d’une étrange force de caractère, nous entraînant à se perdre avec elle. Si la formule est un peu trop systématique, elle n’en demeure pas moins terriblement efficace et on leur pardonne facilement tant le groupe prend un plaisir non dissimulé sur scène. Un plaisir partagé.