"> Nick Cave : le résilient, la muse et les chic types - Indiepoprock

Nick Cave : le résilient, la muse et les chic types

En février, Nick Cave a publié « Push the sky away », son nouvel album et, comme à chaque fois, on a attendu avec impatience de savoir ce qu’il allait nous offrir. Jusque-là, rien d’anormal. Quand on précise que ce disque est son quinzième en compagnie des Bad Seeds et qu’en sus, il a également publié deux albums avec Grinderman, composé six B.O.F et qu’avant de publier sous son nom, il a été le leader de The Birthday Party, un des groupes phares du post-punk qui compte trois albums à sa discographie, cela change un peu la donne. Et encore, on ne parle ici que de musique, car notre homme s’adonne aussi à l’écriture de scripts pour le cinéma et a écrit deux romans…  Nick Cave fait partie de ces très rares artistes qu’on révère pour ce qu’ils ont laissé derrière eux tout en espérant fébrilement qu’ils ouvrent une nouvelle page à chaque publication. Il a pourtant connu son lot de célébrations, de la réédition de l’ensemble de sa discographie en version deluxe à celle d’un best of il y a déjà quinze ans en passant par un coffret regroupant faces b et raretés, mais il a gardé son statut à part, dont il s’est toujours accommodé, voire félicité : celui d’un artiste reconnu, au public large et fidèle, mais qui n’a jamais couru derrière le succès de masse. Il l’a parfois tutoyé, notamment en 1996, avec le fameux Where the wild roses grow, single issu de « Murder ballads » et interprété en duo avec Kylie Minogue. Mais plutôt que chercher à enfoncer le clou, moins d’un an après, il publiait « The boatman’s call », son disque le plus intimiste, qui n’était évidemment pas destiné à truster les ondes des radios. L’intransigeance et la cohérence de l’oeuvre passent avant les considérations commerciales.

Where the wild roses grow

Pourtant, il serait faux de considérer que Nick Cave n’a pas connu de passages difficiles dans sa carrière, que l’inspiration a toujours été là comme par magie, que le doute ne l’a jamais accompagné. La charnière de la fin des années 90 et du début des années 2000 est même certainement le moment où il a le plus cherché un nouveau souffle. Symboliquement, la fin des années 90, c’est le moment de la sortie de ce fameux best of qui, par définition, a un goût de bilan, mais Nick Cave lui-même ne s’est que très peu investi dans sa réalisation. En revanche, après avoir édité « The boatman’s call », son dixième album, il pouvait légitimement se demander quoi faire alors qu’il s’était échiné à toujours plus affiner son songwriting, à explorer tous les aspects de sa passion viscérale pour le blues et la mythologie du Sud des Etats-Unis pour finir par se livrer lui-même sans fard. Ainsi, « No more shall we part » et « Nocturama », édités respectivement en 2001 et 2003, au regard de l’ensemble de son oeuvre, apparaissent comme ses albums les moins intenses, en tout cas sur la forme. Cependant, peu se hasardent à aller jusqu’à les qualifier de ratés. A bien des égards, ces deux albums sont même extrêmement attachants. Car sur « No more shall we part », si Nick Cave ne redéfinit pas son style, il livre son album le plus sophistiqué et soigné au niveau des arrangements. Mais surtout, les textes en font un album beaucoup moins « tranquille » qu’on a bien voulu le dire. Il y parle de rêves dans lesquels un homme est accusé d’avoir perdu son âme, d’histoires d’amour qui tournent mal mais auxquelles il faut continuer de croire… Evidemment, en creux, c’est le combat qu’il livre contre lui-même, la peur du découragement et de ne plus rien avoir à dire dont il est question. En 1988, Nick Cave avait qualifié « Tender prey », son album de cette année-là de « long appel au secours ». A l’époque, il se battait contre l’addiction à l’héroïne. Avec « No more shall we part », rien de cela et pourtant, même si on rapproche rarement ces deux disques, le faire n’est pas absurde. Sur « Nocturama », paru deux ans plus tard, Nick Cave adopte une approche contraire : l’album a été très vite enregistré, sans trop revenir sur les premières sessions, l’urgence succède à l’emphase, la simplicité à la sophistication. Mais, une fois encore, il va puiser en lui en revisitant un peu tout ce qu’il nous a offert en une vingtaine d’années, ce qui rend l’album à la fois familier et insaisissable. Mais plus que tout, « Nocturama » prouve que le panel que peut couvrir Nick Cave est large et riche. Cette caractéristique qui consiste à aller puiser dans ses ressources pour se pousser à aller de l’avant tient de la résilience et ce trait de caractère explique pour une large part sa longévité.

The ship song

Car dès ses débuts, cette résilience était là et ne l’a jamais quitté. Nick Cave n’est en effet pas devenu musicien par choix. Au départ, il voulait être peintre et a même intégré une école d’art. Mais sa peinture est vite devenue « trop négative », selon ses propres termes. Plutôt que se résigner à son sort, il a alors déversé toute son énergie et sa frustration dans la musique, en fondant d’abord les Boys Next Door en Australie, qui deviendront The Birthday Party et feront carrière en Europe. Puis en 1983, alors que le punk et les divers mouvements qu’il a engendrés à sa suite agonisent et que la grande majorité des icones de cette période s’effacent, se diluent ou disparaissent, Nick Cave, lui, fait de la résistance et se lance dans une nouvelle carrière sous son propre nom, rapidement rejoint par ce qui deviendra les Bad Seeds. Sans renier son passé, il va alors faire sa mue, laisser éclater sa passion pour le blues et entamer sa quête, à savoir devenir un véritable chanteur, mais aussi un songwriter accompli qui n’aura de cesse de traquer l’esprit, l’âme, l’essence-même de cette musique tout en affirmant sa singularité. A la fin des années 80, il quitte Berlin et le Kreuzberg alternatif, dont il était devenu une des figures, pour le Brésil. Un drôle de choix ? Oui et non. Car au-delà de la destination en elle-même, Nick Cave le résilient s’est éloigné de Berlin, de l’Europe et ses trop grandes tentations pour gagner un nouveau combat, celui contre son addiction à l’héroïne, ce qui aura aussi son importance sur le plan musical car, pour lui, l’enregistrement de « Tender Prey », son dernier album berlinois, n’existe pas dans sa mémoire. En 2004, c’est une autre épreuve qu’il va surmonter, celle de la perte de Mick Geyer, son meilleur ami et conseiller précieux auquel Nick Cave se fiait énormément. Et, si « Abattoir blues/The lyre of Orpheus » est un double album, c’est parce que Mick Geyer, grand supporter des Bad Seeds, était certain qu’ils pouvaient toujours faire plus. Alors plutôt que se lamenter ou sombrer dans la prostration, Nick Cave a décidé de prendre son ami défunt au mot et de transformer sa perte en énergie positive et écrire deux disques plutôt qu’un seul. En 2007, c’est l’épreuve de l’âge que Nick Cave terrasse. Cette année-là, il a 50 ans, et au lieu de rentrer dans le rang pour devenir un type « respectable », il lance Grinderman avec une partie des membres des Bad Seeds, se met à la guitare électrique, lui qu’on a toujours connu au piano, et sort un album débraillé et mal élevé dans lequel il tourne en dérision les dérives de la « middle-life crisis ». Par la même occasion, il régénère son inspiration et sa façon de composer en découvrant des dynamiques nouvelles qui irrigueront « Dig, Lazarus, dig !!! », édité en 2008 avec les Bad Seeds.

Dig, Lazarus, dig !!!

Mais si Nick Cave dure, c’est aussi parce qu’il a su s’entourer, lui qui avoue qu’il n’aurait jamais pu tout faire seul. Les Bad Seeds, définitivement baptisés à l’occasion de la sortie de « The firstborn is dead » en 1985 peuvent davantage apparaître comme un concept qu’un groupe si on considère qu’aujourd’hui, plus aucun des membres d’origine n’en fait encore partie. Pourtant, tous ceux qui sont autour de Nick Cave sur son dernier album l’accompagnent depuis quinze à vingt ans en moyenne. Les Bad Seeds sont donc un subtil équilibre entre fidélité et renouvellement. Une fidélité qui assure la cohésion du groupe, qui ne s’est jamais démentie, que ce soit sur disque ou sur scène, un renouvellement qui a permis à Nick Cave de s’ouvrir à d’autres sonorités, à toujours progresser. Parmi les nombreux musiciens qui l’ont accompagné ou l’accompagnent, deux noms se détachent : celui de Mick Harvey, qu’on a souvent appelé le bras droit de Nick Cave, et qui a été de tous ses projets de ses débuts à « Dig, Lazarus, dig !!! ». La contribution de Mick Harvey à la discographie de Nick Cave, d’un point de vue purement formel, n’est pas directement évidente, mais elle est fondamentale. Car Mick Harvey, c’est un peu une charpente. Multi-instrumentiste et très impliqué dans la production (Mick Harvey a aussi travaillé avec P J Harvey, même s’il n’y a aucun lien de famille entre les deux) c’est lui qui est pour beaucoup dans l’ambiance générale des albums, de l’aspect expressionniste de « Your funeral, my trial » en 1987, au dépouillement extrême et à la discrétion absolue du groupe sur « The boatman’s call » dix ans plus tard. Et, en 1988, quand Nick Cave n’avait plus toute sa lucidité en permanence, c’est lui qui a assuré l’essentiel du boulot pour offrir à « Tender prey » tout le lustre qu’il méritait. Pour bien comprendre l’importance de Mick Harvey, on peut également noter que sur « Push the sky away », Nick Cave a souhaité ne pas combler son absence en donnant une importance marginale à la guitare, son instrument de prédilection. Comme un hommage par défaut… Mais si Mick Harvey a quitté les Bad Seeds sans heurts et en partie pour des raisons purement personnelles, c’est néanmoins aussi parce que, depuis la fin des années 90, Nick Cave s’est rapproché de celui qu’on considère désormais comme son collaborateur privilégié, Warren Ellis. On le connaissait déjà comme membre des Dirty Three, groupe à la musique assez inclassable, au sein duquel il tenait et tient toujours le violon. Au milieu des années 90, il a commencé à faire quelques apparitions en live aux côtés de Nick Cave et a formellement intégré les Bad Seeds en 1997. Sa présence s’est faite plus forte au fil des albums et, au départ, il n’était pas évident que ce soit une bonne chose. Car, si sur « No more shall we part », album où les cordes étaient à l’honneur, sa place était toute touvée, son jeu de violon, très présent sur « Nocturama », était à la limite d’être envahissant. Mais « Abattoir blues/The lyre of Orpheus » a marqué une première évolution, car, sur ce double album, par petites touches, Warren Ellis initie des sonorités différentes (une flûte sur Breathless, des boucles sur O children). C’est cependant l’aventure Grinderman qui va sceller définitivement la relation Cave/Ellis. Sur ce projet, chacun se débarrasse de ses habitudes, les cartes sont redistribuées et toutes les expérimentations deviennent possibles. Warren Ellis se révèle ainsi maître ès sons en tous genres, « Dig, Lazarus dig !!! » le confirme et le récent « Push the sky away » est à cet égard un véritable accomplissement. Parallèlement, la B.O.F de « The assassination of Jesse James… » que Nick Cave et Warren Ellis signent ensemble en 2007 démontre de façon éclatante le niveau de compréhension qu’ils ont atteint au fil des années. Sur ce disque, chacun retrouve son instrument préféré, piano pour Nick Cave, violon pour Warren Ellis, mais les échanges entre chaque instrument sont d’une limpidité et d’une pertinence jamais démentie. Avec des chic types de ce calibre, Nick Cave peut donc continuer à voir venir.

D’autant qu’on peut légitimement penser que sa muse n’est pas prête de le quitter. Elle lui a peut-être parfois fait la tête, mais il l’a toujours su la convaincre de revenir, car il a toujours su la faire briller. La B.O.F de « Lawless », parue en 2012, en est un bon exemple. En position d’ordonnateur; Nick Cave, une fois de plus flanqué de Warren Ellis, convie Mark Lanegan ou Emmylou Harris entre autres à la fête, pour un disque vibrant porté par une passion intacte pour la musique traditionnelle américaine et qui à aucun moment ne glisse vers la nostalgie ou le passéisme. Car il ne faut pas s’y tromper, Nick Cave veut être de son temps, peut-être parfois plus qu’on le croirait. Récemment, à la sortie de « Push the sky away », évoquant la forme de l’album, il se demandait si à l’époque du streaming et de la dématérialisation, écrire des chansons destinées à s’écouter dans un ordre précis, chercher à donner une unité à un ensemble aurait encore longtemps un sens. Interrogation légitime, à laquelle on aurait trouvé normal qu’il réponde en déplorant les évolutions récentes de la diffusion de la musique. « Je ne suis pas du genre à me braquer, je saurai trouver les moyens de me faire entendre », préfère-t-il pourtant déclarer. Avouons qu’être animé du même feu sacré, de la même détermination au bout d’un peu plus de trente ans de carrière, ça laisse admiratif.

Jubilee street live, Paris, le Trianon

 

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  • Publication 1 261 vues13 mars 2013
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