Bijoux post-mortem.
Ecrire sur son idole, du moins son influence la plus forte, neuf ans après sa mort pour un nouvel album, la tâche n’est pas des plus aisée, l’impartialité non plus. Ne vous attendez pas à cette dernière quand j’écris sur l’éminent Alain Bashung…
Dans les faits, Bashung a encore en magasin des quantités de titres inachevés, des ébauches ou juste des titres qui ne le comblaient pas, et Dieu que l’homme était exigeant. A en juger des rééditions de « Osez Joséphine » ou « Fantaisie Militaires » et leur foultitudes d’ « essais » qui auront guidé jusqu’aux tracklists finales, on se rend compte qu’une des marques de fabrique de l’artiste était que l’homme n’était pas aisément satisfait. Ce qui aux yeux de certains pourrait sembler un paroxysme artistique n’était pour Bashung qu’inspirations fugaces, au mieux, ou juste une bande bonne pour la déchetterie. Alors, à l’image des rééditions sus-nommées, on peut s’interroger sur le respect fait à l’artiste d’exhumer des productions qui n’ont pas trouvé grâce à ses oreilles sur le moment. D’emblée, cette question restera sans réponse, de notre part du moins.
« En amont », à la différence des rééditions, est constitué de onze titres parfaitement inédits (aucun son, aucune parole en commun avec ce que l’on a connu de l’artiste). Onze titres donc, de Dominique A, Daniel Darc, pour ne citer qu’eux, qui on fait l’objet d’enregistrements pour le dernier album studio de l’artiste « Bleu Pétrole ». Ceux-ci, et peut-être est-ce là la respectabilité du projet, ont été ré-arrangés et réalisés par Edith Fambuena. Cette même Edith Fambuena, alors membre des Valentins, fut une des chevilles ouvrières de « Fantaisie Militaire », album marquant et remarqué de Bashung. Elle-même s’est, de son propre aveu, interrogée sur la pertinence d’une telle démarche, mais s’est résolue au fait que la matière était magnifique et qu’ils n’étaient pas nombreux à pouvoir prétendre à la légitimité d’œuvrer à sa production.
Voilà déjà beaucoup de lignes pour une simple introduction, mais M. Bashung mériterait une encyclopédie en plusieurs tomes bien fournis… Parlons donc du contenu de ce « En Amont ».
Tout démarre par Immortels, de Dominique A, titre connu pour être un morceau très orchestré, grandiloquent de l’album « La Musique » de l’auteur. Ici, c’est principalement de la guitare sèche en fond, écrin léger au brin de Bashung. On retrouve, notamment par comparaison, la manière unique du chanteur à poser ses syllabes entre deux temps, fort de sa diction à la fluidité si particulière. On retrouve également l’incapacité de l’artiste à reprendre au mot près un texte. Il y a des essais, des modulations essentielles à l’appropriation. Sur ce point, à l’image d’un Trent Reznor pour Hurt version Johnny Cash, Dominique A considérerait-il Immortels comme désormais un titre de Bashung ? Nous n’avons pas la réponse, mais nous n’en serions pas choqués, bien que l’on ait une préférence pour la version de l’auteur. Mais à ce titre, la version épurée de Seul Le Chien semble bien plus correspondre à cette réappropriation totale. Sur l’ensemble, les conditions et le contexte de sortie de cet album donnent un peu par essence des airs de testament et de bilan comme le magnifique Nos âmes à l’abri, qui clôture l’album, et derrière lequel se cache Doriand.
Est-ce Manset derrière le sublime Les Salines ? Par acquis de conscience, nous vérifions. Surprise, il s’agit de Raphaël… Quelque peu surpris également par l’approche orientale, peu présente dans la discographie de Bashung, nous nous penchons sur la genèse du titre. Seul titre très peu produit de la liste à l’époque, c’est l’auteur qui a entrepris un travail de fond a posteriori sur la partie instrumentale. Bien que risqué, la parti pris assez radical fera du morceau un moment fort de l’album.
Alors tout n’est pas égal et « En Amont » n’a pas la consistance d’un album habituel de l’artiste. Ceci dit, il y a tout de même une belle réussite dans le travail de production car ce n’est en aucun cas comparable à une compile de raretés et faces B. Il s’agit d’un véritable album duquel se dégage un vrai sentiment. Un album cotonneux que l’on écoute dehors par nuit froide et brumeuse. La magie de la diction de Bashung opère comme à la première heure et à l’image de ce qu’avait pu offrir « Bleu Pétrole », l’homme nous berce de poésie comme nul autre. Le chanteur à l’époque avait déjà quelque peu laissé derrière lui les riffs acérés ou la pureté d’un rock virulent pour se livrer à une production plus apaisée, plus « grand sage », même si l’image ne lui sied pas au regard de sa vie. Paradoxalement, on sent une étape supérieure franchie par « En Amont », pourtant basé sur des enregistrements datant de cette période. Est-ce voulu ? Nous ne savons pas, mais la production nous offre une version parfaitement crédible de ce vers quoi l’artiste aurait pu évoluer, phrasé calme voir fatigué, et production plus épurée des arrangements qui ont pourtant longtemps fait de Bashung un artiste à part. Il n’y pas, ou rarement, le son que l’on ne remarque pas à la première écoute et qui pourtant fait à peu près tout, ce recours au mutlipiste qui aura fait des 4 derniers albums, au moins, de purs chefs d’oeuvre de production. On peut supposer que c’est voulu, par respect. Car il s’agit aussi d’un hommage respectueux, intéressant et avant tout d’un album qui arrive comme un magnifique cadeau inattendu pour tout fan, qui ne boudera pas son plaisir, peut-être avec un peu de recul mais les principes auront bien du mal à résister à la beauté de ces morceaux.
- Publication 5 747 vues26 novembre 2018
- Tags Alain BashungBarclay
- Titres recommandés Immortels La mariée des roseaux Elle me dit les mêmes mots Les Salines Seul le chien Un beau déluge Nos âmes à l’abri
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Tracklist
- Immortels
- Ma peau va te plaire #2
- La mariée des roseaux
- Elle me dit les mêmes mots
- Les Salines
- Montevideo
- Les arcanes
- Seul le chien
- Les rêves de vétéran
- Un beau déluge
- Nos âmes à l’abri