Beth Gibbons

Trente après s'être révélée avec Portishead, Beth Gibbons publie son premier véritable album solo.

Cela fait trente ans qu’est paru « Dummy », le premier album de Portishead, vite devenu un classique et qui nous avait fait chavirer grâce notamment à la voix de leur chanteuse, Beth Gibbons, qui publie cette année en solo « Lives Outgrown ». Trente ans, de quoi, pour nombre d’artistes, avoir une discographie longue comme le bras, mais pas pour elle, qui au contraire se distingue par sa rareté. Trois albums au compteur de Portishead, un album en collaboration avec Rustin Man en 2002 et plus rien jusqu’à aujourd’hui. Une rareté qui n’a en rien entamé sa popularité, l’annonce de la sortie de ce nouvel album ayant été abondamment relayée. Quant à la tournée qui accompagne la sortie de l’album, la date parisienne à la salle Pleyel s’est remplie en l’espace d’une matinée à peine. Bien sûr, le schéma de l’artiste rare qui crée l’événement à chacune de ses apparitions n’est pas inédit, mais Beth Gibbons n’est pas de celles qui cultive la rareté en faisant savoir régulièrement qu’elle est toujours là, histoire de faire encore plus monter les enchères autour d’un come-back. Et cette rareté reste un paradoxe tant, à chaque fois qu’on entend sa voix unique, mélange inimitable de fragilité et de force, on a la sensation qu’elle chante comme si sa vie en dépendait. Mais, quelle que soit la place que la musique tient dans la vie de Beth Gibbons, elle n’est pas de ceux qui ressentent le besoin impérieux de tout partager en permanence avec le public.

Au point que, finalement, la question de savoir pourquoi elle publiait un album maintenant se posait. A quoi elle a répondu simplement que le temps passe, que des gens ne sont plus là. Une réponse qui pointe la mélancolie qui a toujours suinté de sa voix et de sa musique, avec Portishead ou pas, et qui naturellement baigne encore « Lives Outgrown ». L’album évoque les thématiques du temps qui passe trop vite et qu’on ne peut pas rattraper, les effets du temps sur le corps et l’âme, la mort qui rôde et fauche ceux qu’on aime. Un programme peu réjouissant ? Pas si sûr. Certes, l’émotion qui serre le coeur est présente tout au long du disque, mais sans aucune emphase ni complaisance. Et, au final, c’est toujours la beauté qui l’emporte. En cela, Beth Gibbons, dans sa rareté, installe l’idée, pas nouvelle mais toujours vivace et bonne à rappeler, que la musique a le pouvoir de transcender la souffrance, et celui de laisser une trace indélébile.

Musicalement, si « Lives Outgrown » est un album dit solo, Beth Gibbons est bien entourée, avec pour comparses de référence les producteurs James Ford et Lee Harris, également crédités, aux côtés d’autres, sur l’ensemble des morceaux pour divers instruments. Sans surprise, le climat sonore de l’album est très soigné et sans esbroufe. On parlera, faute de mieux, de folk sophitiqué, avec une base principalement acoustique sur laquelle viennent se greffer de beaux arrangements de cordes, de cuivres parfois, des percussions subtiles et toujours créatives. Les mélodies sont limpides, Floating On A Moment, le single lancé en éclaireur, nous avait placé en terrain connu, sans susciter la moindre lassitude, puis Reaching Out, le second, à la trame plus complexe, avait démontré s’il en était besoin que Beth Gibbons a cette capacité à se montrer virtuose et jamais prévisible, sans bousculer l’univers qu’on lui associe. Tout l’album est dans cette veine, avec Burden Of Life au tableau d’honneur de l’émotion, Lost Changes et For Sale à celui de la beauté. « Lives Outgrown » n’est certainement pas l’album qui annonce le redémarrage d’une carrière qui va voir son auteure désormais publier un disque tous les deux ans mais remplit parfaitement son office : celui de nous donner la sensation que, par sa publication, 2024 a été touchée par la grâce.