"> John Cale / Lou Reed - Songs For Drella - Indiepoprock

Songs For Drella


Un album de sorti en chez .

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En 1990, les deux génies du Velvet Underground mettaient fin à une dispute de plus de 20 ans pour rendre hommage à leur mentor, Andy Warhol. Un disque unique, un classique...

Lors de la parution de « Songs For Drella », en 1990, l’événement a surclassé le disque. Évidemment, alors que nous sommes aujourd’hui habitués à voir se succéder reformations et tournées dédiées à un seul album, cela paraît anecdotique mais de tels rabibochages étaient moins fréquents à l’époque. La réunion, le temps d’un hommage à leur pygmalion et mentor Andy Warhol, des deux génies du Velvet Underground, relevait du fantasme. De sorte que le poids du symbole a inhibé les arguments d’une critique peut-être pas tout à fait préparée à traiter pareille rencontre. L’appréciation devait être d’autant plus ardue que, sur la forme, la collection de chansons proposée par Cale et Reed est aussi éloignée de la musique du Velvet qu’il est possible de l’être – et c’est certainement une bonne chose.

De reformation du Velvet Underground il n’y a pas ici – cela viendra quelques mois plus tard. Sterling Morrison et Moe Tucker sont absents, on parle donc uniquement d’une rencontre entre Reed et Cale (certes, les deux membres les plus cruciaux du groupe). Le dialogue n’avait cependant rien d’évident, les deux protagonistes, forts caractères s’il en est, s’étaient quittés plus de vingt ans auparavant en très mauvais termes. Au sortir de l’enregistrement de « White Light / White Heat », en 1968, les dissensions entre Reed et Cale étaient au plus haut, le premier souhaitant maintenir un cap pop et le second aller de plus en plus loin dans l’expérimentation. Après le départ de Cale, le troisième album du VU, grandiose disque, éminemment pop, allait d’ailleurs marquer la prise de pouvoir de Reed… Mais c’est une autre histoire.

Les retrouvailles entre Cale et Reed ont fatalement un petit goût acide de rancœur. Pourtant voici deux musiciens qui ont soigneusement évité de s’adresser la parole pendant près de vingt ans et se retrouvent de nouveau complices comme aux premiers jours (et l’on ne comprendra à quel point que quelques années plus tard, lorsque le premier volume de l’indispensable coffret « Peel Slowly And See » nous donnera à entendre les deux compères répéter en acoustique dans un appartement new-yorkais en 1965). Cette complicité est le fait majeur de « Songs for Drella » : palpable tout au long du disque, elle est formidablement mise en évidence par l’approche calme, intimiste, retenue par le duo : piano ou violon, guitare, voix, rien de plus !

Les paroles, signées Lou Reed, font la part belle à l’impudeur. On ne sait pas si ce qu’il raconte sur les premiers mois du Velvet Underground est vrai : d’une part le doute est permis connaissant le personnage et, d’autre part, on s’en tamponne allègrement. Comme le dirait John Ford, « si la légende est plus belle que la vérité, chantez la légende ». La légende ici est grandiose : les premiers pas du Velvet narrés par ceux qui l’ont incarné en premier chef, voici une perspective à couper le souffle !

La musique est sobre, un rien académique, presque trop sage quand on connaît le passé des deux musiciens ; elle se trouve parfois reléguée au second plan derrière les textes qui sont, eux, clairement mis en avant. Dans certains cas, l’interprétation est tellement appuyée qu’elle en frise le scolaire mais certains morceaux sont empreints d’une véritable grâce (Open House, Style It Takes, Nobody But You, Faces And Names). On devine que le but est de capter une émotion et une sincérité aussi brutes que possible et d’éviter toute afféterie. On sent également un décrochage sur la deuxième moitié du parcours ; à ce moment, en effet, il ne s’agit plus de raconter un vécu commun mais de se réapproprier des instants de vie de Warhol. Reed s’en tire naturellement avec brio mais la différence d’implication émotionnelle est perceptible. Reste que lorsque l’album se clôt sur un « Goodbye Andy » asséné par Reed qui l’a d’ailleurs probablement retrouvé depuis, la gorge se serre pour de bon …

Evidemment, à l’orée de la cinquantaine, Reed et Cale sont bien conscients de leur impact sur l’histoire du rock et leur ego s’en ressent. Surtout, cela les amène peut-être à une relative indulgence quant à ce qu’ils produisent. Pourtant, malgré un ego aussi gonflé que leur CV, on voit ces deux mastodontes se faire de nouveau tout petit à l’ombre d’Andy Warhol : une situation qui en dit incroyablement long sur l’influence que cet artiste a pu avoir et sur l’importance de son rôle de mentor. A ce titre, le témoignage quasi-documentaire de Work devrait être asséné, rabâché à tous les impétrants rockers. De la part d’un artiste aussi iconoclaste que Warhol et pour encadrer une musique dont on pourrait parfois croire qu’elle relève du hasard et de l’improvisation, l’importance donnée sur l’acharnement au travail en dit long. Et l’on comprend que non, le Velvet Underground n’est pas la génération spontanée d’un style par le biais de la rencontre fortuite entre quelques talents. Il y a aussi, derrière, la vision d’un homme qui a su voir dans les balbutiement de ces types là tout le potentiel d’une approche novatrice … et surtout il y a le travail.

« Songs For Drella » est ainsi à l’image de la situation de ses créateurs : un peu prétentieux, trop professoral et marqué par la tendance naturelle de Reed à s’impliquer dans son rôle de parrain du rock. Malgré cela, cet hommage, unique dans l’histoire du rock, s’impose par son style intemporel et l’émotion palpable transmise par Reed et Cale. Avec vingt ans de recul, on peut le dire : c’est un classique.

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  • John Cale

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