Eloge de la discrétion : le deuxième album de Junip, sous ses abords discrets et un peu ternes, recèle de véritables pépites ...
Personne ne s’intéresse réellement à Junip. Même ceux qui tenteront de protester le feront mollement, comme conscients de l’inanité de la tâche. Tout le monde se fiche plus ou moins de ce trio suédois et il y a à cela bon nombre de raisons, pas toutes mauvaises au demeurant. En particulier, il faut reconnaître que le style de Junip n’est pas véritablement propice aux envolées : on est en présence d’un groupe sage, sobre. Instantanément, on traduira « un peu chiant » – inutile de se leurrer, si la sobriété, le sérieux et la sagesse étaient sexy, on aurait été les rois du pétrole au lycée. Si l’on ajoute à cela le fait que le groupe œuvre dans un style pop-rock assez classique au premier abord, on n’est pas loin d’imaginer un puissant somnifère.
La vérité est bien plus subtile : sous ses abords un peu ternes, ce deuxième album de Junip s’insinue, l’air de rien, dans la tête de l’auditeur et revient finalement souvent sur la platine. Surtout, il recèle d’excellentes surprises, autant de récompenses pour ceux qui savent apprécier la différence fondamentale entre parler peu et n’avoir rien à dire.
La production, déjà, interroge, dès l’entrée en matière (l’excellent Line Of Fire) : le son est mat, assez marqué dans les basses, ce qui surprend pour ce style de musique. Qui plus est, les instruments se détachent peu les uns des autres et restent flous, regroupés derrière le voile d’une saturation d’ensemble qui ne peut qu’être un parti-pris de production. Un détail, certes, mais de ceux que l’on devine mûrement réfléchis, de ceux qui proposent à l’auditeur d’aller plus loin que la première écoute pour rechercher de nouveaux secrets.
A l’inverse, derrière ce son de verre dépoli, les chansons et les instrumentations montrent une véritable ambition, tant dans leur structure que dans leurs arrangements. Le lent crescendo de Line of Fire comme l’ad lib élégiaque de After All Is Said And Done ou l’intensité du refrain de Beginnings montrent particulièrement bien le soin apporté par le trio à la dynamique des morceaux. Bien entendu, on retrouve également la patte caractéristique de José González dans certaines enluminures de guitare où son style est clairement reconnaissable. Là encore cependant, l’auditeur devra fournir quelques efforts pour percevoir ces détails derrière des claviers qui sont placés au-devant de la scène sonore. Placer la guitare autant en retrait peut d’ailleurs interroger quand on pense que José González a justement rencontré en solo un succès plus qu’honorable en grande partie grâce à son jeu très habile : il s’agit probablement d’une façon de souligner, en creux, à quel point Junip doit être considéré comme un groupe en soi et non comme « le groupe de José González ». A l’inverse, on retrouve ici avec un plaisir non feint le timbre si particulier du Suédois, plaintif, doux, presque velouté parfois mais sans jamais verser dans le sirupeux, sans jamais s’aventurer vers des acrobaties de crooner. L’extrême élégance des mélodies et des arrangements contredit ainsi le choix d’une production un peu sale et ce contraste confère au disque une aura de mystère fort séduisante, qui ne s’estompe pas avec les écoutes, au contraire.
Sur la durée, ce deuxième album de Junip, maïeutique plutôt qu’assertif, s’enrichit de tout ses paradoxes et s’avère remarquablement long en bouche, là où bien des hypes sombrent après quelques écoutes à peine. En définitive, il ne manque à ce disque qu’un ou deux tubes ; Your Life, Your Call est peut-être ce qui s’en rapproche le plus mais même son formidable refrain n’envahira certainement pas les ondes. Junip restera un groupe discret, sans écart notable, doté d’une biographie aussi fadasse qu’une assiette de légumes vapeur. La presse préfèrera toujours accorder ses gros titres à d’autres sensations du moment, autrement plus tapageuses. Ce n’est pas une raison pour ignorer que ces chansons planent largement au-dessus de la mêlée.
- Publication 671 vues15 novembre 2013
- Tags JunipCity Slang
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