Quand Kae Tempest nous désarme.
Vous la connaissiez sous le nom de Kate Tempest, avec un verbe haut et un style aussi percutant qu’éloquent. Qu’elle s’exprime sur scène ou dans des romans dont l’incroyable « Ecoute la ville tomber« , Kate est une voix singulière qui décrivait alors à merveille la société anglaise qu’elle voyait à travers ses vitres.
Désormais assumée non-binaire, Kae Tempest revient avec un album plus personnel, mais toujours aussi brillant.
Sur ce quatrième album « The line is a curve » Kae lâche prise, littéralement, sur ce qui l’habite, et les fardeaux qu’iel porte, mais toujours avec lyrisme et talent. Car si l’artiste est inclassable, pour nous, iel est avant tout plein.e de poésie. Le « spoken word » dans lequel iel excelle est mis au service de textes moins révolutionnaires que dans « The Book Of Traps and Lessons », mais tout aussi habités et profonds.
Sur cet album l’artiste s’est entouré.e d’autres voix pour proposer des titres aux univers variés :
No Prizes avec Lianne La Havas se fait soul quand More Pressure avec l’Américain Kevin Abstract est plus électro et rugueux.
Mais même lorsqu’iel est seul.e aux manettes les univers explorés sont variés, en témoigne le sublime These Are The Days avec une orchestration si parfaite qu’on ne serait pas surpris d’entendre y pleurer la guitare de David Gilmour entre deux nappes hypnotiques.
Quel que soit l’univers qui les habille, les textes de Kae Tempest sont des merveilles de poésie moderne. Tous. Si bien qu’on en vient à regretter le temps des livrets des albums CD, où l’on pouvait accompagner l’écoute de la lecture des textes des chansons, tant il est évident que s’en priver ne permet d’en saisir qu’une infime partie.
Et c’est ce qui rend Kae si singulier.e, la multiplicité des plaisirs à parcourir son univers, aussi littéraire que musical, à mesure que « The Line is a Curve » se déroule. Ca et là nous sommes cueillis par ses fêlures, sa vision, ses détresses, ses émotions, titre après titre, portés par sa déclamation parfaite, lourde, puissante, habitée et surtout pleine d’humilité. Chaque mot nous est servi sur un plateau musical, avec un raffinement et une intensité rarement égalés.
A cet exercice, Kae excelle et nous emmène tout au long de cet album, jusqu’au titre de fin, Grace, d’une sensibilité désarmante et qui imprime définitivement les frissons sur notre épiderme et nous laisse avec l’ineffable certitude que c’est une masterpiece qui vient de couler dans nos oreilles.
« The Line is a Curve » est une démonstration supplémentaire, si besoin était, que cet artiste est « la voix de notre époque » comme l’a déclaré le New York Times. La voix certes sans doute, mais surtout, la plume, sublime.
- Publication 1 438 vues15 avril 2022
- Tags Kae TempestRepublic Records
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