Nick Cave, tout seul au piano et tout seul à l'Alexandra Palace pour revisiter son répertoire.
Cela fait désormais un certain nombre d’années que l’on sait que rien ne peut abattre Nick Cave. Le temps qui passe, les crises d’inspiration, les turpitudes du music-business, les blessures affectives, la perte de proches et celle d’un fils fauché dans son adolescence n’ont pas eu raison de lui, ce n’était donc pas une pandémie mondiale qui allait le faire taire. Au printemps, dès que les premiers concerts ont été annulés, Nick Cave a été un des premiers à annoncer le report complet de sa tournée en 2021 et, si on ignore encore si elle aura finalement lieu, il ne s’est de toute façon pas arrêté là. En mouvement d’adaptation perpétuel face à l’adversité, notre homme a alors décidé de se produire tout seul au piano dans l’immensité blafarde de l’Alexandra Palace de Londres, de faire filmer l’évènement et de le diffuser dans un premier temps en streaming payant puis dans un second temps de sortir le film en salles et, enfin, de publier un album. La pandémie nous ayant rattrapés, la phase 3 (sortie de l’album), est devenue pour nous la phase 2 puisqu’il faudra attendre que les cinéma ouvrent de nouveau et programment le film pour aller le voir.
On se retrouve donc avec un album « live » de plus de Nick Cave et, comme à chaque fois, pas de redite. Parce que c’est la première fois qu’il se livre ainsi absolument tout seul au piano, parce que c’est l’occasion pour lui de revisiter sa carrière et d’interpréter, au cours de la même performance, à côté des titres des Bad Seeds, quelques titres de Grinderman (Palaces Of Montezuma, Man In The Moon), parce qu’il passe de l’évidence (Black Hair, Into My Arms, déjà très dépouillés dans leurs versions d’origine), à d’autres moments qui le sont beaucoup moins (Papa Won’t Leave You, Henry, Sad Waters, qui exigent beaucoup plus de « réadapatation »). Ce sont là des motifs qu’on peut citer avant même d’avoir mis le disque sur la platine mais, comme toujours, c’est l’écoute en elle-même qui en révèle d’autres. Même si on n’en doutait pas beaucoup, la capacité de Nick Cave à « remplir l’espace » laisse toujours admiratif. Cherchez l’accord de piano de trop, le moment où ça brode un peu pour étirer la sauce, vous ne le trouverez pas. Et puis encore une fois, il y a la voix, d’une incroyable justesse et d’une force colossale.
C’est d’autant plus important de le souligner qu' »Idiot Prayer », à cet égard, marque une nouvelle étape pour Nick Cave. Il faut en effet se rappeler qu’il y a quatre ans, sur « Skeleton Tree », le chagrin lui faisait par instants quasiment perdre sa voix. L’an dernier, sur « Ghosteen », il se lançait dans un exercice extrêmement périlleux en modulant sa voix comme jamais, laissant s’exprimer toutes les failles, au risque de déstabiliser son public. « Idiot Prayer » marque donc le retour d’un Nick Cave maître de lui-même à tous les niveaux, ce qui peut être interprété comme une façon de refermer un nouveau chapitre de sa vie et de sa carrière. Mais, évidemment, quand on emploie le mot « retour » en parlant de Nick Cave, l’aspect rétrospectif du terme s’accompagne toujours d’une facette nouvelle. Ainsi, loin d’être en pilotage automatique, il nous propose de nouvelles dynamiques inédites et passionnantes. Girl In Amber, peut-être le morceau qui symbolisait le plus le moment où Nick Cave sentait sa voix l’abandonner devient ici un sommet d’émotion pure de par la nature intrinsèque du morceau, mais aussi parce qu’ici, Nick Cave a gardé la beauté pour le chant et glissé les larmes dans ses accords de piano. Man In The Moon, habité et solennel, est un sommet d’équilibre entre force et fragilité. Une force hors du commun qui transparaît dans les versions grondantes et intenses qu’offre Nick Cave à des titres comme Jubilee Street ou Higgs Boson Blues, pour n’en citer que quelques-uns. Notons enfin que sur « Idiot Prayer » cohabitent des titres publiés l’an dernier, d’autres qui ont plus de trente ans. Mais bien malin celui qui saurait les distinguer sur cet album. Une fois de plus, « Idiot Prayer » souligne le caractère unique d’une oeuvre qui, livrée dans son plus simple appareil, laisse éclater la qualité d’une écriture sans égal, mais aussi la singularité d’un artiste capable de se mettre à nu sans rien céder au mystère qui l’entoure. Car la force qu’il dégage, on peut s’en inspirer, mais seul lui sait d’où il la tire.
Nick Cave sur la route
Tracklist
- Spinning Song - Live at Alexandra Palace, 2020
- Idiot Prayer - Live at Alexandra Palace, 2020
- Sad Waters - Live at Alexandra Palace, 2020
- Brompton Oratory - Live at Alexandra Palace, 2020
- Palaces of Montezuma - Live at Alexandra Palace, 2020
- Girl in Amber - Live at Alexandra Palace, 2020
- Man in the Moon - Live at Alexandra Palace, 2020
- Nobody's Baby Now - Live at Alexandra Palace, 2020
- (Are You) the One That I’ve Been Waiting For? - Live at Alexandra Palace, 2020
- Waiting for You - Live at Alexandra Palace, 2020
- The Mercy Seat - Live at Alexandra Palace, 2020
- Euthanasia - Live at Alexandra Palace, 2020
- Jubilee Street - Live at Alexandra Palace, 2020
- Far from Me - Live at Alexandra Palace, 2020
- He Wants You - Live at Alexandra Palace, 2020
- Higgs Boson Blues - Live at Alexandra Palace, 2020
- Stranger Than Kindness - Live at Alexandra Palace, 2020
- Into My Arms - Live at Alexandra Palace, 2020
- The Ship Song - Live at Alexandra Palace, 2020
- Papa Won't Leave You, Henry - Live at Alexandra Palace, 2020