Sufjan Stevens renoue avec une forme délicate et dépouillée au contact d'Angelo De Augustine.
Sufjan Stevens, quand rien ne vient se mettre en travers de son chemin, est du genre prolifique et, depuis l’an dernier, il retrouve un rythme de publication qu’on ne lui avait plus connu depuis le milieu des années 2000. Deux albums expérimentaux de musique new age, « The Ascension » dans une lignée plus personnelle et maintenant cet album en collaboration avec Angelo De Augustine, le tout en l’espace de 18 mois. « A Beginner’s Mind » marque toutefois une première car, si Sufjan Stevens a multiplié les collaborations au cours de sa carrière, celles-ci étaient plutôt réservées à des projets, sinon dissociables, au moins différents de son oeuvre sous son nom propre et unique. Cette fois, l’album se compose de 14 morceaux en format chanson, a priori loin d’une approche expérimentale. Et c’est même la première fois qu’on retrouve une instrumentation classique, souvent acoustique, mise en avant depuis le délicat et ultra-intime « Carrie & Lowell » de 2015. Connaissant le parcours tortueux de l’homme du Michigan, on pouvait toutefois se demander quelle était la véritable finalité de cet album. Que le nom d’Angelo De Augustine, songwriter folk mélancolique hébergé par Asthmatic Kitty, le label de Sufjan Stevens, apparaisse directement sur la pochette au même niveau que celui de son glorieux « parrain » était-il un geste altruiste de la part de ce dernier, désireux d’offrir davantage de visibilité à l’un de ses protégés ? En vérité, les deux hommes se connaissent et sont amis depuis près de dix ans, l’envie de faire un album ensemble est déjà ancienne et la quasi-totalité des chansons de « A Beginner’s Mind » étaient écrites depuis 2019. Restaient seulement quelques détails à peaufiner pour que l’album paraisse pour de bon.
Une fois qu’on a compris que « A Beginner’s Mind » serait plus qu’un projet anecdotique, on pouvait encore se demander quelle serait la matrice de création des chansons, étant donné qu’Angelo De Augustine, et plus encore Sufjan Stevens, s’ils ont indéniablement des racines musicales communes, ont en revanche un univers créatif très intime. Là encore, on a la réponse : pour écrire les chansons de « A Beginner’s Mind », les deux amis ont visionné ensemble un grand nombre de films, de tous genres et de toutes époques, et ont écrit des chansons inspirées de ces visionnages. « A Beginner’s Mind » est donc un album cinématique, inspiré par « Le Silence Des Agneaux » (Cimmerian Shade), « Les Ailes Du Désir » (Reach Out), pour ne donner que quelques exemples. En complément, les deux comparses se sont aussi inspirés de philosophie bouddhiste, pour laquelle ils partagent là encore un intérêt commun. Une fois cela dit, précisons que, d’un point de vue formel, l’album reste composé de chansons folk/pop délicates, n’allez pas imaginer des envolées qui ressembleraient à de la musique de film ou des incantations de mantras répétitifs.
Au niveau de l’interprétation, les deux comparses ont opté pour une approche assez fusionnelle. Parfois l’un est en avant pour le chant, l’autre en soutien juste derrière, et inversement, avec des intonations très proches et il n’est même pas toujours évident de dire à qui appartient la voix « leader ». D’un point de vue purement musical, il est peut-être un peu plus évident de dire ce que l’on doit à l’un ou à l’autre. On osera ainsi plutôt attribuer les moments pop légèrement lymphatiques, qui ne sont pas sans rappeler Elliott Smith, à Angelo De Augustine. Des moments qui prennent la forme de morceaux inspirés, grâcieux, et même très emballants à leur meilleur. On pense au déjà dévoilé Back To Oz et son refrain aérien, en priorité, au délicat et touchant Murder And Crime. D’autres moments sont indéniablement « Sufjan Stevenesques » : The Pillar Of Souls, avec ses couplets qui ressemblent à une prière, ses choeurs en embuscade et son refrain céleste porte ainsi tout entier une patte impossible à copier. Ajoutons que c’est un morceau magnifique et sans doute le sommet de l’album. La même magie opère sur (This Is) The Thing ou Lost In The World, même si ce dernier peut apparaître comme un joli point de rencontre entre les deux pôles qu’on vient de distinguer. Distinguer n’est d’ailleurs pas forcément le bon terme car il faut préciser qu’à aucun moment l’album ne sonne « bancal » ou tiraillé entre deux approches. La plus belle réussite de « A Beginner’s Mind » est même certainement d’apparaître comme un exercice au départ assez périlleux ou deux personnalités se complètent sans se renier, dans une belle palette tout en nuances. Un album qui trouvera joliment sa place dans la discographie des deux protagonistes, tout en gardant une petite place à part.
- Publication 1 461 vues28 septembre 2021
- Tags Sufjan Stevens & Angelo De AugustineAsthmatic Kitty
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Tracklist
- ENTER: A BEGINNER'S GUIDE TO FAKING YOUR DEATH
- Needed a Change of Pace
- PRESSURE BOMB 3?!?!
- DEBT COLLECTOR
- Whose Eye Is It Anyway??? - Live from the Faraday Cage
- To Take for Granted. - Live from the Faraday Cage
- BAD LUCK!
- Flight of the Crows
- PRESSURE BOMB 2!!!! (Bonus Track)