Tarwater

Cette étrange suspension du temps, qui disque après disque, définit une identité aussi forte que vaporeuse...

Il y a dans « Adrift » quelque chose d’inquiétant. L’on retrouve tout ce qui fait le charme vénéneux de Tarwater depuis toujours, avec une noirceur plus prononcée. L’album sonne plus organique, moins métallique. Et c’est peut-être ce supplément d’humanité qui, paradoxalement, met en relief la mélancolie, parfois masquée par le chant robotique, si caractéristique de Tarwater. Avec The Notwist, ce groupe est, évidemment, l’autre fer de lance d’une scène électro allemande, qui dans la lignée-descendance de Kraftwerk, tissent une musique transhumaine, où l’homme et la machine ne font plus qu’un. Il y a une singularité dans le son de Tarwater, c’est la lenteur, cette étrange suspension du temps, qui disque après disque, définit une identité aussi forte que vaporeuse.

Ce n’est pas une musique d’ambiance, ou alors ce serait une ambiance moite et froide tout à la fois. Pesante et aérienne, tout en même temps. Ce n’est pas non plus une musique dénuée de puissance, elle est seulement souterraine, comme de la lave courant sous la glace. Elle parcourt depuis quelques décades nos vies, semant des albums aux goûts immuables. Il faut les réécouter pour s’en convaincre : tout est intact. La magie noire opère à nouveau.

Cette extrême fidélité pourra déplaire, voire lasser. Cette constance, à quelques évolutions près, apparaître comme une régression, un manque d’imagination, un conservatisme assumé. Ce n’est pas ça. Ce n’est pas comme cela que l’on écoute « Adrift ». On le reçoit plutôt comme la recherche assez incroyable d’un son millimétré, pour être hors du temps. Comprendre : s’extraire du temps. Donc de la mode. Quelque chose d’immuable. Musique intemporelle, oui. Tour de force inaltérable, qui dit le temps qui passe, et fixe sur son passage des bornes pérennes. Elles délivrent alors, au fil des années, leur message lancinant et nostalgique.