La façon dont Mercer polarise la créativité des Shins a de quoi décevoir ceux qui attendent d’un groupe la camaraderie créative, le partage équitable des tâches, ceux qui s’attendent à ce que le bassiste soit l’auteur de sa ligne de basse. "Port of Morrow" plane haut-dessus de ces considérations matérielles, pour ne laisser que le […]
La façon dont Mercer polarise la créativité des Shins a de quoi décevoir ceux qui attendent d’un groupe la camaraderie créative, le partage équitable des tâches, ceux qui s’attendent à ce que le bassiste soit l’auteur de sa ligne de basse. "Port of Morrow" plane haut-dessus de ces considérations matérielles, pour ne laisser que le goût du travail accompli, et sa qualité évidente. Mercer, marié, père de deux enfants, et un projet avec Danger Mouse (de Gnarls Barkley) dans les jambes, passe l’année 2011 à la conception minutieuse de cet album. Tout est dans le détail : émotion et technique doivent trouver dans chaque chanson leur point d’entente.
Le claviériste Marty Crandall et le batteur Jesse Sandoval ont quitté les Shins au printemps 2009. Le groupe existait depuis 1996, et l’on pouvait s’attendre à ce qu’il disparaisse. Quand il reparaît en 2011, le bassite/guitariste Dave Hernandez est absent à son tour. Heureusement, James Mercer a tout de l’artiste patient, que la crise de la quarantaine (il est né en 1970) n’ébranle pas. La disparition de musiciens (qui sont restés ses amis) n’affecte pas les Shins ; Mercer les renouvelle, et sait que, s’il ne change pas sa manière d’aborder la musique, le ‘groupe’ ne s’altèrera pas. Les chansons naissent dans son esprit, gardien d’une création paisible et assurée. La culture musicale alternative est ancrée en lui, et plus spécialement celle des groupes à auteurs qui se sont paisiblement fait une place plus que décente dans le canon rock ; Neutral Milk Hotel, The Lilys. Il aborde un disque par l’écriture, sans que ce soit en réaction à une expérience, mais plutôt avec la curiosité de celui qui veut faire le point sur ce qu’il a à raconter. Capable de mélancolie sur le précédent "Wincing the Night Away" (2008), il est désormais enclin à écrire de belles phrases qui commentent la vie de façon plus générale.
On sent rapidement que Mercer a voulu porter les Shins à une nouvelle perfection en termes de palette sonore et de structures. Les chansons sont produites avec goût et diversité par Greg Krustin (Red Hot Chili Peppers, Flaming Lips), chaque couplet, chaque pont faisant l’objet d’une attention particulière ; percussions diverses, cordes, chœurs discrets mais pourtant remarquables. Ainsi que le chanteur l’a voulu, ce luxe sonore permet de souligner la qualité des compositions sans les alourdir. Les couplets sont aussi clairs que sophistiqués, de telle sorte que l’auditeur est en confort, et ressent même une sorte d’euphorie lorsque un morceau se laisse aller à des sinuosités (les superbes September et 40 Mark Strasse). La plupart d’entre eux sont cependant ramassés autour de trois minutes, pour devenir des tubes (It’s Only Life, No Way Down) et font de "Port of Morrow" l’album grand public que tout producteur rêve d’offrir à son groupe indie favori. Les clins d’oeil harmoniques à Queen ou David Bowie ne sont rendus possibles que grâce aux belles capacités vocales de Mercer. En matière de voix, on pense aussi à l’enthousiasme balayé d’un soupçon d’amertume de Avi Buffalo, un jeune groupe qui nous avait enchantés en 2010 avec son premier album et en particulier la chanson What’s in It For.