"> Origami : Histoire secrète de sa pop complexe par Vivien Pezerat – Partie 2 - Indiepoprock

Interview de Vivien Pezerat

Origami : Histoire secrète de sa pop complexe par Vivien Pezerat – Partie 2

Incontestablement le disque d'une époque sens dessus dessous, pourtant riche de ses possibles et mutations.

Œuvre épique et concise de 9 titres qui aura nécessité 6 ans de travail, les 40 minutes de musique fourbies par Vivien Pezerat et Sylvain Fesson pour Origami valent le tour et détour. Avec ses plis, replis et sa sophistication pop indie, ce 3 e album de Sf exalte et exhale de mystères. Penchons-nous donc track by track sur ses secrets de fabrication du disque en compagnie de Vivien, compositeur de ces neuf instrus-écrins.

Notons à nouveau que l’album est en précommande ici.  Nous recommandons évidemment et vivement son acquisition. Au fil d’écoutes nombreuses et prolongées, sa puissance émotionnelle et poétique se renforce. Comme si le disque, fort d’une longue et précieuse genèse, délivrait ses arcanes, entre musique indé occidentale et volutes extrêmes orientales. Ce doux, mais profond, mélange se pose sur les fractures contemporaines comme un baume musical apaisant et étrange. Incontestablement le disque d’une époque sens dessus dessous, pourtant riche de ses possibles et mutations.

06. Caprice des Dieux : « M83, ice-cream et soundtoys »

Le premier jour, juste après la toute première mouture de « Amy », toujours dans l’idée de composer pour d’autres, est née ce qui allait devenir « Caprice des Dieux ». Mais cette fois j’avais envie de partir sur un terrainbeaucoup plus pop qui pourrait convenir à mon frère, le chanteur Thibaut Pez. J’ai alors pioché dans les prises de piano de mon album Prémices pour reconstituer une nouvelle suite d’accords, qui, passée à travers une réverbération au son de grains de sable, allait servir de matrice harmonique à ce nouvel instrumental, l’agrémentant de nappes de cordes qui m’évoquaient M83 et d’un beat rudimentaire. Finalement, c’est Sylvain qui l’a écouté en premier et s’en est emparé.

Il a tout de suite trouvé une mélodie exactement comme je les aime : très simple, qui répète les mêmes notes quand les accords changent, et qui laisse de la place à la musique (des ingrédients qu’on retrouve par exemple dans les couplets du « Wake Up » d’Arcade Fire). On a avancé assez vite sur ce morceau. Toute la partie onirique de l’instrumental est venue rapidement, notamment les sons de celesta passés par le génial plugin crystallizer de soundtoys. Seul le beat a demandé pas mal de retouches avant de trouver sa forme finale. Il fallait ensuite trouver la bonne formule pour l’agencement des voix : le parler-chanter central, les interventions mutines et sucrées d’Alexia. Cette chanson assez légère et réconfortante, très « ice-cream », comme dit Sylvain, arrive à point nommé dans la tracklist pour se remettre des montagnes russes d’Origami.

07. L’Amour au Soleil : « Les Enfants du Paradis et The War of Art »

Celle-là, c’était à la fois la plus simple et la plus éprouvante à créer.

La plus simple parce que la chanson existait déjà sous une forme fonctionnelle depuis 2012. Appelée « Young Man », dans un style encore une fois très M83, il était déjà question de partir dans les étoiles, plus métaphoriquement par contre. Les refrains étaient chantés en anglais et les couplets étaient des extraits de dialogue du film de Marcel Carné, « Les Enfants du paradis » (1945). Cette chanson c’était donc un mp3 non mixé qui dormait sur mon PC, je n’avais juste pas encore trouvé le bon projet pour la finaliser et la sortir.

La plus dure aussi parce que d’abord j’ai eu un peu de mal à la lâcher. Je m’imaginais la garder pour un projet perso, et Sylvain a flashé dessus, m’a demandé l’instru. C’est une fois qu’il avait posé son texte sur l’instru que j’ai compris qu’il voulait l’utiliser. Comme je n’avais pas de projet précis pour utiliser ma version on est parti là dessus, et on est arrivé rapidement à un prototype à peu près fonctionnel, « Amour au soleil 6 », à la prise de voix enregistrée à l’arrache avec un enregistreur Zoom H1, parfois difficilement audible, sans mélodie sur les refrains. On a rajouté les « ô dieu que j’aime ça », du sax sur le 1er refrain, et on a passé 4 ans à faire du surplace.

J’essayais de mixer proprement la chanson mais ça n’allait jamais. Il essayait de refaire sa prise de voix proprement mais ça n’allait jamais. Or, après repêchage et réécoute, il s’est avéré que la version brute des débuts (dont je ne retrouvais pas le fichier projet d’origine exact) battait à plate couture les centaines de versions challengers qui avaient vainement essayé de faire vivre cette chanson.

Finalement, après avoir recommencé 4 fois depuis le début, on a gardé la prise de voix au Zoom H1 et j’ai réussi à retrouver à tâtons le réglage de compresseur qui donnait sa puissance à cette fameuse démo 6. À partir de là, heureusement, on a pu avancer un peu plus sainement sur les refrains, les voix additionnelles et les effets du solo de sax. Personnellement, ça faisait bien longtemps que je n’en pouvais plus de cette chanson, mais Sylvain avait encore régulièrement des petites idées pour l’améliorer, jusqu’à la version finale que je trouve au bout du compte
très satisfaisante.

Ce fut donc la chanson la plus éprouvante, celle où il a fallu faire passer l’intérêt du morceau avant toute chose. La chanson se fichait qu’on ait perdu autant de temps en tentatives avortées. Seul le résultat comptait. C’était une mise à l’épreuve de l’éthique de travail que m’avait inspiré la lecture de « The War of Art » de Steven Pressfield, un livre-boussole en terme de discipline créative.

08. Sentima : « piano, minimalisme et lâcher-prise »

Un piano, une voix, un sax, et basta.

C’est ainsi qu’on pourrait résumer la production de cette chanson qui amorce la fin de l’album. À l’origine, c’est une improvisation au piano que j’avais enregistrée en 2012, à un moment un peu charnière de ma vie. J’avais une semaine de vacances entre mon précédent et mon nouveau travail. La maison de mon père était vide, J’avais donc prévu d’y passer deux jours afin d’enregistrer du piano pour mon album. C’est ce jour-là que j’ai commencé à échanger par messages avec celle qui allait devenir ma femme et la mère de mes enfants. De ce jour est resté une relique d’instru. Intitulée « piano piano », elle fut déterrée 5 ans plus tard au moment de chercher des musiques pour Sylvain.

Il a chanté dessus sans chercher à en faire des tonnes, dans un minimalisme qui rappelle un peu, à mon avis, ses précédents albums. Une histoire d’amour et de rendez-vous manqué, toute en pudeur. Et c’était ce qu’il fallait. Après toutes ces chansons passées à imaginer des stratégies de production complexes, ça faisait vraiment du bien de lâcher prise, de laisser les accords de piano résonner tels quels, de rajouter simplement un petit effet sur la voix et quelques réponses au sax. Le plaisir de retrouver la maison après un long voyage.

09. Sakin : « Tarkovski et territoire slowcore »

Le temple blanc.

C’est cette image qui me vient en tête quand je pense à cette chanson. Sylvain devait passer un après-midi à la maison pour qu’on travaille sur une version chantée de son texte « Les Oiseaux », déjà mis en musique en clôture de son album Sonique-moi. Il n’y avait pas plus de consigne que ça. Le matin même, histoire qu’on ait une base de travail, j’essaye de trouver une mélodie qui convienne au texte ainsi que quelques accords de piano. Sylvain a l’idée de rajouter des bruits de gong à l’instrumental pour asseoir un peu plus l’ambiance, puis au moment de poser sa voix, il commence par le mantra « toute âme est le tam-tam de toute âme », déjà étrenné en concert dans une version embryonnaire de « Parfois », et chante le texte des oiseaux avec ma mélodie mais en attendant beaucoup plus entre les différentes lignes du texte. Je sens qu’on est parti pour une chanson longue et lente en mode film de Tarkovski, quelque chose qui va forcer l’auditeur à ralentir son rythme d’attention pour entrer dans l’émotion.

Comme on avait déjà plein de morceaux beaucoup plus rythmés en cours, le contrat de« popisation » entre nous était rempli. Je me dis donc que ça pourrait être intéressant d’explorer cette fois le territoire slowcore de Sylvain. Et quitte à faire un morceau lent et répétitif, autant y aller à fond.

Sylvain envoie ce qu’on a enregistré à son amie chanteuse et poète Lila Lakehal pour qu’elle y fasse quelques improvisations vocales. Elle nous envoie ça et un texte, pour nous sorti de de nulle part, en anglais. À partir de là ce fut un délice. Ses chœurs ont permis d’ornementer délicatement toute la première partie où Sylvain chante, il nous a juste fallu un peu de temps pour en trouver l’agencement exact, et son texte qu’on attendait pas, son histoire d’oiseau recueilli quand elle était petite, est venu « récifier » toutes les émotions lentement déployées jusque-là.

Sur ce titre j’étais souvent dans le rôle du cadreur qui ne veut pas laisser trop de mesures sans qu’il ne se passe rien et Sylvain dans celui qui voulait faire durer son côté « séance de méditation ».

C’est une des leçons que j’ai apprises lors de la composition du disque : si on arrive à dépasser une certaine forme d’ennui initial, on peut entrer dans une sphère où la beauté jaillit, immaculée.

Yan
Chroniqueur