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Interview de SASAMI

Interview de SASAMI

N'importe quel label peut signer des artistes féminines mais quand il y a des femmes à des postes importants dans une société, ça veut dire qu'il y a une vraie volonté de changer les mentalités.

Cela fait plusieurs années que vous apercevez Sasami derrière ses claviers dans le groupe Cherry Glazerr mais depuis quelques mois, elle a décidé de prendre son envol. Après un seul single sorti en 2018, c’est à l’occasion d’un concert au Pop-Up du Label où elle présente son premier album que la chanteuse s’est livrée lors d’un long entretien où elle prouve qu’être une nerd, comme elle se qualifie, n’empêche pas d’avoir une sensibilité musicale et une conscience politique.

Bienvenue! Qu’est-ce que ça fait de revenir à Paris après ton concert en novembre dernier ? 

Les parisiens aiment pas mal le rock’n’roll donc c’est toujours fun de venir jouer ici!

Tu as obtenu un diplôme en musicologie dans une université de New-York en 2012, qu’as-tu fait depuis ?

J’a enseigné la musique à des enfants d’une dizaine d’années ; ils apprenaient à utiliser le glockenspiel, le xylophone et les percussions. En parallèle, j’ai aussi crée des musiques de films et de publicités ainsi que des arrangements pour des groupes comme Wild Nothing et Avi Buffalo. Ensuite, à partir de 2015, j’ai intégré Cherry Glazerr avec qui j’ai parcouru le monde et enregistré un album qui est sorti après que j’ai quitté la bande. Faire partie d’un groupe m’a permis de me sentir plus libre, d’ailleurs, c’est avec les filles que j’ai appris à jouer de la guitare.

Pendant mes recherches, j’ai appris que tu avais composé l’album en tournée. Quand as-tu décidé de la jouer solo ?

Ce n’était pas du tout prévu au départ. En fait, quand j’étais dans le tour bus, je m’ennuyais beaucoup et c’est là que j’ai commencé à enregistrer des percussions (elle imite un « poum/tchack ») et des lignes de guitare sur mon Ipad. C’était un peu une thérapie d’écrire des chansons, quelque chose d’intime. L’écriture permet cela et quand tu ajoutes une partie musicale, tu te sens deux fois mieux !

Qu’est-ce que ça fait d’être seule en studio avec tes propres compositions pour la première fois ?

Un sentiment de fierté et de liberté car j’avais le contrôle sur tout. Quand je suis rentrée en studio, j’avais trop de chansons pour un seul album mais elles sonnaient beaucoup mieux après les avoir travaillées. C’est ce que je préfère dans le processus, quand j’arrange les morceaux : le son des guitares, les harmonies vocales.

Est-ce que c’est un reste de ton passé de joueuse de cor d’harmonie qui ressort ?

Effectivement. La seule différence, c’est qu’on ne peut pas chanter et jouer de cet instrument en même temps. Mais, cette pratique m’a appris à être assidue dans ce que je fais. Il faut savoir que tout est plus facile quand tu survis à la musique classique, c’est un peu comme un camp militaire. Aussi, j’ai toujours voulu faire partie d’une bande, que ce ne soit pas toujours moi qui soit mise en avant. D’ailleurs, quand j’ai crée l’album, je souhaitais qu’il y ait des moments où les guitares soient plus calmes, que la voix prenne le dessus, parfois ; finalement, je garde en tête la dynamique d’un orchestre quand je travaille les arrangements en studio.

Les collaborations t’ont permis de créer cette dynamique sur ton album ?

Oui, par exemple, pour le morceau « Free », j’avais besoin d’une voix plus grave pour remplacer la basse et contraster avec les guitares qui étaient très aigües. C’est pour ça que j’ai fait appel à mon ami, Devendra Benhart.

Et avec Dustin des Beach Fossils ? Je trouve que ton album ressemble à celui qu’ils ont sorti en 2017, « Somersault », notamment au niveau de l’utilisation des cordes et l’ambiance générale.

On a les mêmes goûts musicaux avec Dustin donc c’est sûr qu’il y a des ressemblances avec leur album. Il traînait dans le studio quand j’enregistrais avec mon frère Joo-Joo (leader de Froth) et je lui ai demandé de chanter sur un morceau. Je dois dire que j’ai eu de la chance de travailler avec Joo-Joo car il est vraiment talentueux ; il sort un album bientôt avec son groupe.

Justement, un de tes morceaux, Callous, m’a fait penser au deuxième album de Froth, par l’aspect shoegaze.

Je l’ai écrit quand Cherry Glazerr faisait la première partie de Slowdive donc c’est sûr qu’il y a eu une influence à l’époque : j’aime beaucoup leur manière de gérer la progression de leurs titres, au début c’est calme et ça explose ensuite.

Sasami_digitalPackshot3000 (Photo par Riley Blakeway)

Tu parlais de liberté tout à l’heure, pourquoi avoir choisi de signer sur le label Domino Records et pas chez Bayonet, celui de Dustin, ou un autre ?

J’ai de très bons rapports avec Susan Busch qui s’occupe de la découverte de nouveaux talents chez Domino US et il y a beaucoup de femmes dans cette société donc c’était un choix évident. Je pense que n’importe quel label peut signer des artistes féminines mais quand il y a des femmes à des postes importants dans une société, ça veut dire qu’il y a une vraie volonté de changer les mentalités. Tu sais, j’ai l’habitude de jouer dans des festivals où la plupart des techniciens, des roadies sont des hommes. La musique reste un microcosme essentiellement masculin mais c’est en train de changer. Tant que cela ne paraîtra pas naturel d’avoir une scène ou un studio rempli de femmes, il n’y aura pas d’égalité des sexes. Aujourd’hui, si une artiste décide d’engager d’autres musiciennes dans son groupe, ça peut rétablir la parité à notre échelle. C’est à elles de faire cet effort aussi.

Très bien, le message est passé. Un point qu’on a pas abordé à propos de ton nouvel album, c’est à quel point tes textes me paraissent mélancoliques, c’est voulu ?

Pas vraiment, en fait ; j’ai toujours lu de la poésie et j’en ai écrit aussi, alors quand il a fallu trouver des paroles pour mes compositions, c’était quasiment automatique ou même improvisé. Pour un morceau, je passe 80 % du temps sur la musique donc ça en laisse peu pour le reste. Par exemple, dans la chanson « Hollywood », tout est sarcastique voire même du non-sens. Quand tu penses à cet endroit, tu as l’impression que tout est superficiel et clinquant ; j’ai voulu montrer le concept plutôt que de décrire l’endroit.

J’avais l’impression que tu nous invitais à y venir ?

Après avoir vécu toute mon enfance à Los Angeles, j’ai quitté l’endroit et j’ai pas mal voyagé ; je suis plutôt déconnecté de cette ville, finalement. Par contre, quand j’ai crée l’album, j’écoutais Elliot Smith qui est décédé là-bas.

Effectivement, j’avais aussi senti une influence de ce musicien. Des livres t’ont inspirée, tu parlais de poésie tout à l’heure ?

Je lisais quelques livres d’un humoriste, David Sedaris (spécialisé dans l’absurde de la vie quotidienne) mais dernièrement, j’étais plongée dans « All About Love » par Bell Hooks. C’est surtout la musique qui m’occupe l’esprit actuellement, ça me rend heureuse.

Tu parlais de créativité tout à l’heure, si je te dis que j’ai pensé à Tarantino en regardant les deux clips que tu as co-réalisés ?

Je connais quelqu’un de ses films mais je ne crois pas que ce soit volontaire. La vidéo de « Jealousy » est un hommage à Matilda, réalisé par Dany DeVito ; notamment la scène où la principale ordonne à un enfant de manger un gâteau devant toute l’école.

Sinon, tu penses qu’être au devant la scène peut être difficile à gérer pour un artiste ? Quid de l’utilisation des réseaux sociaux, ça fait partie du job ?

Clairement. J’ai de la chance car à 28 ans, j’ai déjà fait ma crise d’identité mais je pense que cela peut être dangereux pour des plus jeunes artistes quand iels deviennent connu(e)s. A mon âge, je ne m’occupe pas de ce que pensent les autres. En tout cas, j’aime beaucoup contrôler mon image ; je crée des vidéos Instagram car pour moi c’est une bonne plateforme pour partager du contenu. Je m’en sers aussi pour chercher des musiciens ou des vidéastes quand je suis à Los Angeles. Chaque artiste à une façon de gérer sa carrière, j’ai choisi celle-là car je voulais attendre pour pouvoir être fier de mon premier album. Je n’ai pas écrit de chansons jusqu’à mes 26 ans.

En discutant de la place des femmes avec toi dans le milieu musical, j’ai eu l’envie de te poser une question plus personnelle encore. Que penses-tu de la représentation des People Of Coulour (« poc ») dans le milieu indie ?

Le monde culturel a connu d’énormes changements, notamment avec le succès du rap ; c’est une forme de réappropriation car les Blancs ont inventé le rock en volant le jazz et le rythm’n’blues des Noirs au 20e siècle. C’est plutôt cool qu’on soit surpris aujourd’hui, de voir un groupe rempli d’hommes blancs de 50 ans sur scène ; en tout cas, à Los Angeles, c’est devenu inhabituel. Le plus souvent, il y a au moins une femme et un « poc » et c’est important de le souligner. Le milieu de la musique est un endroit où il doit y avoir de l’inclusivité de toutes les populations sinon c’est impossible de faire changer les mentalités à plus grande échelle. S’il n’y a pas de diversité ethnique dans le secteur culturel, comment en avoir dans la société au sens plus global ? La question de la représentativité est au gôut du jour et c’est en train d’évoluer, lentement. Je me souviens que quand j’ai commencé à écouter de la musique indie, je ne voyais pas beaucoup de femmes asiatiques dans les groupes, à part Karen O des Yeah Yeah Yeahs et Kazu Makino des Blonde Redhead.

Aujourd’hui, il y a plus de « poc » et les gens comme toi et moi sont heureux de voir des personnes qui leur ressemblent sur scène.

 

SASAMI sera de retour à l’automne en France. En attendant, vous pouvez lire la chronique de l’album écrite par John, le CM du blog, qui a apprécié son équilibre teinté de fantaisie que j’ai aussi observé en interview.

Je vous conseille de la suivre sur Instagram pour ne rien rater de son actualité et de ses stories souvent étonnantes.

 

 

Chroniqueur
  • Date de l'interview 3 978 vues 2019-03-06
  • Tags SASAMI
  • Remerciements Jennifer et Christophe de Domino Records
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  • Pas de concert en France ou Belgique pour le moment