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Interview de Witxes

Interview Witxes

Rencontré à Lyon pour la sortie de son second album, Maxime Vavasseur nous présente son projet solo Witxes. Récemment signé sur le prestigieux label Denovali Records, il revient sur sa musique et l’obscurité latente qui l’entoure. Quelque part entre ambient, sonorités jazz, pop et folk, ces travaux s’affranchissent de toutes frontières, et s’inspirent entre autres de sa fascination pour la géographie et les diverses croyances de nos sociétés.

Peux-tu revenir en quelques mots sur ton parcours musical avant Witxes ?

J’ai commencé à faire des concerts à l’âge de seize ans. Je jouais essentiellement des compos, mais aussi des reprises d’un seul mec Joseph Arthur. J’étais super fan de son écriture, de son univers poétique, onirique, mélangé à une sorte de folk très américaine. C’était aussi un des pionniers du looping en live. Il transformait sa guitare en boîte à rythmes, il utilisait plusieurs samplers, il pouvait créer plusieurs couches. Cette période-là a duré quatre ans. J’ai ensuite partagé mes idées avec des amis et de là est né un autre projet plus pop : Haunted Candy Shop. On était influencés par le post-rock. J’ai joué également dans СОЛЯРИС. Un autre projet très différent, instrumental, avec un côté plus brut, tellurique. Puis à un moment, tous ces groupes sont arrivés à leur fin plus ou moins simultanément, je me suis alors posé la question de quoi faire. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à faire de la musique seul, sans avoir de réelles directions, sans non plus m’imposer de quelconques barrières musicales. Witxes est né comme ça, des cendres de tous mes précédents projets.

 

Qu’est-ce qui t’a inspiré le nom de Witxes ?

Witxes fait référence à tout le concept qui peut exister autour des sorcières au sens large. C’est un sujet qui me fascine, j’aime ce qu’elles incarnent, ce qu’elles représentent, ce sont des figures d’émancipation, elles sont marginales. Ce qui est pertinent c’est que selon les mythologies, la conception des sorcières diffère : certaines la voient comme un être proche de la nature, sensible à ce qui l’entoure, je me sens connecté à ces sujets-là. Puis j’ai des carnets où je note des mots, des phrases, des impressions et le nom de Witxes m’est apparu comme ça.

 

Quelle est la raison première de ce projet ?

La raison première de Witxes c’était de travailler avec de nombreux artistes, à la croisée des arts et en particulier la danse. En ce moment, c’est vrai que je suis plus dans une logique album-concert. J’espère pouvoir remédier à cela à l’avenir et entrer en contact avec des chorégraphes.

 

Tu écoutes également beaucoup de musiques. Comment t’est venue cette passion ?

J’ai très rapidement baigné dans la musique en fait. Par les enfants des amis de mes parents qui me passaient des cassettes de musique vraiment extrêmes comme Napalm Death, Rage Against The Machine. Je me suis mis vite à faire propres recherches, en examinant les artistes de différents labels, en lisant des interviews. Radiohead a aussi été un réel déclencheur. Je les ai vus la première fois à 12 ans. C’est grâce à tout ce que je trouvais dans la presse sur eux et principalement par les interviews de Jonny Greenwood que j’ai découvert le hip-hop (Antipop Consortium), la musique contemporaine (Messiaen notamment), et le label Warp aussi. Je n’aime pas tout, mais j’aime des choses dans tout.

 

Parlons un peu de ta signature avec le label Denovali. Comment ça se passe concrètement pour toi maintenant ?

Je suis allé vers eux à la base pour faire quelques concerts en Europe de l’Est. J’avais joint à ma demande l’album Sorcery/Geography et ils m’ont répondu qu’il ne pouvait pas accéder à ma requête. Puis quelques mois plus tard, ils m’ont recontacté en disant qu’ils voulaient travailler avec moi. Désormais, j’ai plus de visibilité qu’avec le précédent label Humanist, mais il faut dire que les deux labels n’ont pas le même objectif non plus. Denovali vit des albums et des concerts alors que Humanist a un aspect plus associatif, ils s’occupent moins du côté presse. À cette époque, c’est moi qui gérais la promo de Witxes, cela dit ça n’enlève en rien au très bon travail qu’ils ont accompli. J’ai pu faire de très bonnes premières parties avec Humanist. Pour ce qui est du côté artistique, je suis très libre chez Denovali. Il ne m’impose rien dans mon travail, à aucun moment ils ne m’ont demandé des pré-mix. J’ai juste eu à leur envoyer le produit fini. Je trouve cela courageux de leur part en un sens de faire confiance à leurs artistes.

 

Revenons sur ton récent album A Fabric Of Beliefs. Combien de temps a duré le processus de composition ? Et dans quelles conditions tu l’as créé ?

Je n’avais pas beaucoup de temps pour réaliser A Fabric Of Beliefs. Je ne vais pas me plaindre c’est un défi que je me suis lancé à moi-même dans le sens où si j’avais dit à Denovali que je ne voulais rien sortir pendant deux ans j’aurais très bien pu le faire. Mais après Sorcery/Geography, je sentais que quelque chose se passait, qu’il fallait que je sorte un album rapidement pour que les choses avancent et que je reste dans une cette dynamique. Je me suis donc fixé de faire A Fabric Of Beliefs en trois/quatre mois. Six mois avant d’enregistrer, j’avais tout de même commencé à réfléchir, à organiser mes idées sur papier de manière à former ce que j’appellerai une trame narrative. Pour atteindre mon objectif, je me suis isolé dans le Morvan et je me suis imposais un rythme de travail. Un rythme avec des échéances cela dit, je savais à l’avance qu’à telle date je devais aller en studio. Tout ça été stimulant et le paradoxe c’est que malgré ce temps restreint, A Fabric Of Beliefs me paraît plus construit que le premier. J’ai encore un peu de mal ceci dit à me détacher de Sorcery/Geography, j’aime beaucoup ce que j’ai réussi à creuser de par le temps que j’avais à ce moment-là. J’ai pris un an et demi pour le faire. Je m’autorisais des pauses pour d’autres projets pendant lesquels je réécoutais les mix de Sorcery/Geography, les idées avaient le temps de mûrir dans ma tête.

 

Comment as-tu vécu cette période d’isolement pendant que tu composais ?

Je ne vis pas du tout mal la solitude. Ce qui était dur en revanche c’était plutôt d’être seul face à la musique. Au début, j’idéalisais un peu l’idée d’être seul pour composer, pour me concentrer, et rapidement quand un truc ne marche pas, t’es seul face à ça. Tu peux pas voir des gens pour vraiment décompresser. Ce que je faisais, c’est marcher en forêt, mais très vite la musique et son lot de problèmes revenaient à moi. Ça devenait une obsession, j’avais un peu de mal à prendre du recul. Je suis content d’avoir travaillé de cette façon-là cette fois-ci, mais ce n’est pas ce que je préfère.

 

Tu as principalement travaillé de nuit sur ton dernier effort. On ressent d’ailleurs bien la tension et un aspect plus sombre à l’écoute. Qu’est-ce que signifie d’ailleurs le titre de cet album ?

J’ai travaillé de nuit principalement, il y a quelque chose de très introspectif sur ce disque tu as raison. Sorcery/Geography était à l’inverse très lumineux, proche de ce que les anglo-saxons appellent le « daydream », ce rêve éveillé de jour. À Fabric Of Beliefs ça signifie « un tissu de croyances ». L’idée c’était un peu de montrer comment chacun dans la vie de tous les jours se démène dans une société où les superstitions, les mythes, les croyances de chacun s’imbriquent. Tous ces éléments qui ne sont pas rationnels et le fait que des personnes se construisent là-dessus m’intriguent. J’ai fondé ma trame sur tout ça, sur le fait que des gens en quête d’identité sont parfois façonnés par des mauvaises croyances. Les titres de mes morceaux me permettent de donner des indices à mes auditeurs sur la trame narrative en question. Ils viennent d’ailleurs avant la musique et sont simplement évocateurs pour inciter ceux qui écoutent mes albums à se fabriquer leur propre fil directeur. Je suis donc simplement là pour suggérer, orienter.

 

Justement, A Fabric Of Beliefs se termine comme Sorcery/Geography, par un morceau où tu chantes seulement accompagné par ta guitare. C’est pour rejoindre ton idée de trame narrative ?

Oui entre autres. Mais quelque part ça a toujours été là vu que je faisais ça déjà avant Witxes. Puis je suis parti aux Etats-Unis, j’ai voyagé en bus en lisant le livre d’ Alan Licht sur Bonnie Prince Billy. Je me suis replongé dans sa musique, j’étais dans une période folk ce qui m’a amenait à intégrer une chanson guitare-voix. C’était un peu mon dilemme en effet, mais je n’ai pas non plus envie d’en faire une habitude. C’est une signature un peu facile, j’ai longuement hésité avant de faire ça, mais au final je trouve que ça marche plutôt bien.

 

Tu as donc une nouvelle fois enregistré au studio Mikrokosm à Lyon. Pourquoi tu retournes à chaque fois là-bas ?

J’ai en effet enregistré tous mes albums au studio Mikrokosm. Avec Benoît qui l’a créé, on a fait nos études d’ingénieur du son ensemble. Moi j’ai arrêté pour faire d’autres choses et lui a continué. On s’est retrouvés sur l’opus d’Haunted Canded Shop qu’il a enregistré. Ça a marqué le début de notre collaboration, et au final je me suis toujours tourné vers lui pour mes enregistrements. Il fait des enregistrements typés, pas standards, il recherche un son en particulier et c’est ce que je voulais. Côté mastering j’ai bossé avec Lawrence English. C’est quelqu’un qui conçoit cette activité comme un art. Et de plus en plus les ingénieurs se distinguent et se font un nom à travers le mastering qui n’a plus cette connotation un peu péjorative, de quelque chose de très clinique, systématique même.

 

Le travail de texture est très important dans ta musique. Comment façonnes-tu ta matière sonore ?

Il y a des tonnes de techniques. Moi par exemple je joue beaucoup sur les différentes qualités de sources sonores pour donner du relief. Je combine des sons hi-fi avec des prises enregistrées par des micros bas de gamme, un iPhone par exemple. Ça me permet de créer des grains et des perspectives particulières. J’aime également travailler sur les couleurs sonores en enlevant certaines bandes de fréquence du son.

 

Est-ce que tu passes par un travail d’écriture de la musique ?

Je note principalement les accords. Je n’écris pas ma musique à proprement parler. Beaucoup de musiciens actuellement ne connaissent même pas le nom des accords, et ça ne les empêche pas de faire des choses géniales. Bien au contraire même, ça leur permet d’être libres, d’expérimenter. Ça m’aide aussi de passer par le piano ou la guitare pour me rendre compte de mes idées.

 

Tu composes en pensant au live ou pas du tout ?

Lorsque je suis en studio, je ne pense absolument pas à la performance live. Dans le temps de la performance, mon processus de création est totalement différent : je travaille beaucoup sur des effets de couches, d’accumulation/soustraction ou encore de sampling. J’ai quelques samplers également et j’essaie au maximum de tout générer avec mon synthé et ma guitare.

 

Tu envisages d’intégrer des effets visuels pour tes performances live futures ?

On me demande régulièrement d’amener des effets visuels lors de mes concerts. Mais c’est une pratique envers laquelle je suis plutôt sceptique. Je réponds souvent à ceux qui me disent ça de fermer les yeux et de se fabriquer leurs propres visuels, ma musique est faite pour être suggestive. En même temps je peux comprendre cette volonté chez les auditeurs, car ce genre de musique est difficile à appréhender en live. J’essaye autant que possible d’être dynamique, d’utiliser ma guitare, mais il n’y a pas une grande énergie ni un charisme particulier qui va se dégager comme on peut le voir dans d’autres styles musicaux. Je préférerais sortir du cadre typique du concert, que les gens n’aient pas à regarder la scène. De plus en plus les artistes utilisent la vidéo à mauvais escient, chez certains ça ne veut même plus rien dire. Honnêtement, je ne suis pas pressé de travailler avec ce support, j’attends une collaboration qui ait du sens.

 

La géographie occupe une place de premier plan dans Witxes. D’où te vient cette fascination ?

J’adore les cartes, les lieux. L’idée de l’expérience vécue que l’on rattache à un lieu en particulier est vraiment intéressante. C’était d’ailleurs le sujet de Sorcery/Geography, montrer qu’un endroit précis vit par ses informations factuelles, mais aussi par l’image collective qu’on t’en donne. Ça peut aussi être rattaché à un souvenir, des sensations. Pour chaque morceau, je note les coordonnées précises de l’endroit où il a été composé. Je suis conditionné par le lieu où je crée ma musique. Il y a des personnes qui te diront qu’ils font la même musique, peu importe le contexte. Ce n’est pas mon cas. Je me laisse totalement, et presque de manière volontaire, pénétrer par mon environnement.

 

Le contexte de composition est donc très important. À ce titre, l’écoute de tes albums suppose-t-elle un contexte particulier ?

Je ne pense pas qu’il y a un contexte prédominant pour écouter ma musique, mais plutôt des conditions particulières d’écoute. Ce qui est sûr, c’est que c’est quelque chose d’assez personnel qui demande de l’attention et qui est difficilement partageable. Elle demande un certain isolement.

 

Tu as d’autres projets qui se préparent en ce moment ?

J’ai beaucoup de nouvelles idées, mais je ne vais rien sortir avant longtemps. J’ai beaucoup de demandes de remix aussi. C’est un exercice qui me plaît beaucoup, notamment sur des morceaux où il y a de la voix. Il y a tout de même un split avec Dale Cooper Quartet & The Dictaphones qui devrait bientôt voir le jour sur Denovali.

 

J’ai une dernière question à te poser, penses-tu qu’artiste c’est quelqu’un qui n’a pas le choix ?

J’ai un peu de mal en réalité avec le mot artiste. Il veut dire tellement de choses et de plus en plus il a une espèce de connotation prétentieuse. J’ai besoin de composer, de transmettre des choses, c’est très égoïste en fait. Mon but c’est d’être le plus honnête par rapport à moi-même. Je m’accomplis à travers ça, car je sais que je toucherais toujours quelqu’un, surtout dans la société hyper médiatisée dans laquelle on vit, où la communication et surtout internet permettent une diffusion mondiale. Ainsi, je pense qu’il y a forcément une personne sensible aux mêmes choses que moi, et donc par extension à ce que je mets dans ma musique.

Chroniqueur
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